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Full text of "La folle du lac d'Oo"

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LA   FOLLE 


LAC     D'OO 


LA  FOLLE 


LAC  D'OO 


ElIlLi:  IVEGRIA. 


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TOULOUSE 

IMPRIMERIE    V»    SENS    ET     P.       SAVV 

Rue  Saint-Rome  ,  4, 

1857 


Allez  ,  heureux  du  siècle  ,   arllez  l'aire  les  courses 
Pendant  que  le  plaisir  puise  l'or  dans  vos  bourses  , 
Si  le  pauvre  à  son  tour  y  puise  le  denier  , 
Allez  ,  et  vous  serez  bénis  du  peuple  entier  ! 
L'aumône  loin  de  vous  repoussera  l'envie. 
Alors  que  le  destin  vous  a  doré  la  vie  , 
Faites  que  sous  vos  pas  ,  où  brillent  tant  de  Ikuib  , 
Jamais  l'infortuné  ne  répande  des  pleurs, 


Oh  !  j'aime  a  rappeler  au  milieu  de  \05  fè(e/? 
Que  sous  le  poids  du  sort  d'autres  courbent  leurs  téte^  , 
Que  d'autres  ,  sur  le  seuil  d'un  somptueux  festin  , 
Souvent  rongent  leurs  doigts  et  murmurent  :  j'ai  iaim  ! 
Au  souille  du  malheur  mon  luth  encore  vibre  j 
Mais,  puisque  pour  tout  bien  j'ai  ma  pauvretb  libre, 
Je  voudrais  qu'à  ma  voix  ,  je  voudrais  qu'à  mes  chaula 
Le  riche  sans  compter  donnât  aux  ifidigents. 
Tant  de  grandeur  ici  ,  tant  de  luxe  s'rtale  ! 
La  gaze  et  le  damas  ,  le  rubis  et  l'opale , 
La  moire  et  le  satin  ,  venus  de  tout  côté  , 
Composent  de  Luchon  la  parure  d'été. 
Or  ,  devant  ce  grand  monde  éblouissant  de  fastf  , 
Je  regarde  plus  bas  et  je  vois  le  contraste  ; 
Et  je  viens  dire  a  ceux  qui  n'ont  jamais  souffert 
Qu'arrosé  de  sueur  le  pain  est  bien  amer. 
?l*eut-être  quelques-uns  ,  séduits  par  ma  parole  , 
"Dans  une  main  qui  tremble  iront  glisser  l'obole  : 
Et  moi  j'aurai  des  vers  reçu  le  plus  beau  prix  ! 
Les  sous  que  vous  donnez  dans  le  ciel  sont  inscrits  , 
-Noble  dame  ;  on  rachète  une  saison  d'ivresse 
En  versant  rrculcnient  au  rein  de  la  détresse 


Les  miettes  de  la  table  ;  et  plus  tard  ,  lorsqu'un  jour 
Les  glas  feront  pour  vous  gémir  la  vieille  tour  , 
L'auguste'  Charité  ,  s'ofTrant  alors  sans  voiles  , 
Vous  prendra  par  la  main  à  travers  les  étoiles  , 
Et  vous  énumerant  tous  vos  bienfaits  passés 
A  Dieu  vous  conduira  pour  qu'ils  vous  soient  pa\e^  !. 


Et  vous,  ma  saur,  ma  mère,  objets  de  ma  tendresse, 
Vous  que  le  ciel  remplit  d'une  sainte  allégresse  , 
Qui ,  près  du  riche  trône  où  la  divinité 
Des  vastes  univers  règle  l'activité  , 
Unissant  votre  voix  à  la  voix  des  archange?  , 
Et  célébrez  son  nom  et  chantez  ses  louanges  . 
Vous  qui  du  roi  David  tenez  la  harpe  d'or  , 
Venez  ,  venez  aider  mon  poétique  essor  ; 
Prêtez  à  mes  accents  ,  à  défaut  de  génie  ,  ■ 
De  vos  hymnes  sacrés  la  suave  harmonie  ; 
Oh  !  jetez  quelques  ileurs  sur  ces  rudes  sentiers 
Qui  mènent  a  la  gloire  en  meurtrissant  les  pieds  ! 


—    19  — 
Poui'  gtikler  ici-bas  la  marche  du  poète  , 
Que  du  nimbe  de  feu  qui  pare  votre  tête  , 
Comme  dans  le  de?cil  la  nuée  auv  Ilébicux  , 
Un  subîimo  rayon  vienne  luire  à  mes  yeux  I... 


Allez  ,   heureux  du  siècle  ,  allez  faire  les  courses  î 
D'un  lleuvc  magnifique  allez  goûter  les  sources  , 
Allez  du  val  du  Lys  voir  le  gouffre  maudit  , 
Voir  le  Chaos  célèbre  ou  le  loup  se  blottit  , 
Voir  Venasque  ,  l'Hospice  et  ces  immenses  crêtes 
Qu'anime  seulement  le  cri  des  gypaètes.  {*) 
Ce  fantôme  tout  blanc  ,  c'est  la  Maladetta 
Que  la  terre  bouillante  autrefois  souleva  : 
Sur  son  antique  front  ceint  de  neiges  splendides 
L'if  au  branchage  noir  semble  former  les  rides. 


{')  Le  gypaùlc  est  le  plus  fort  des  aigles.  La  puissance  de  son  vol 
est  si  grande  qu'après  avoir  enlevé  un  mouton  ,  il  le  dépèce  et  le 
mange  dan^  les  airs. 


—  1î  — 

"Osi^rez-vous  gravir  les  daiigercux  sentiers 
Do  l'isard  ,  de  l'ours  brun  ;  par-dessus  les  glaciers 
Chasser  le  bouquetin  aux  cornes  gigantesques  ? 
Sinon,  du  vieux  Cazeaux  les  peintures  grotesques  (*; 
Avec  moins  de  danger  offrent  d'autres  plaisirs. 
Allez  ,  d'émotions  remplissez  vos  loisirs  ; 
Chez  un  hôte  charmant  ,  allez  à  Valentine 
Voir  l'ouvrier  fabriquer  les  bijoux  de  la  Chine  : 
Bysance  ,  l'Etrurie  à  leurs  vases  fameux 
^'e  donnèrent  jamais  un  tour  plus  gracieux. 
Montez  à  Cazaril  ,  où  de  Supevbaguc're 
Gagnez  en  serpentant  la  gentille  Chaumière  .  (**) 


(*)  Nous  renvoyons  nos  lecteurs  ,  pour  les  descriptions  topograplii- 
ques  de  ces  villages  et  de  ces  courses,  aux  Bains  et  Courses  de  Lxichon, 
par  M.  Nért^e  Boubée.  C'est  l'ouvrage  le  plus  clair  ,  le  plus  complet  , 
le  plus  sa\aiit  et  le  plus  méthodique  qu'il  soit  possible  de  trouver  en 
v,c'  g-^nre. 

(**)  La  Chaumière  a  éld  bâtie  un  peu  au  dessus  de  la  Fontaine 
d'Amour  qui  était  auparavant  le  but  de  toutes  les  promenades.  De 
petits  et  charmants  cabinets  y  sont  offerts  aux  étrangers  qui  jouissent 
de  là  d'un  panorama  superbe.  La  vallée  de  Ludion  présente  parfaite- 
ment de  ck'tte  hauteur  la  configuration  d'un  ancien  lac,  Les  baigneurs 
vont  déjeùniT  et  rire  à  la  Chaumière  ,  comme  les  Marseillais  vont  à  la 
B^serve  se  procurer  le  même  plaisir.  Nous  ne  parlons  pas  du  quart- 
d'Iieure'dc  Habelais  :  les  montagnards  s'enlendfnt  aussi  bien  que  les 
fils  des  Phocéens  à  se  transformer  en  Gascons,  dans  cette  circonstance 
solci.nclle  où  les  chiffres  de  la  carte  viennent  troubler  la  di^çestion. 


\/.\  Chaumière  ,  posoe  aux  iliwr^  ombreux  du  .u  /,:i 
Comme  un  autel  de  fleurs  où  sautillent  en  rond 
Les  Amours  et  les  Ris  !  Partez  ,  l'iieure  est  venuc^  ; 
La  gorge  dont  la  Pique  au  loin  borne  la  vue  , 
Pleine  encor  de  vapeurs  qui  brillent  au  soleil  , 
Dans  une  mer  de  feu  vous  montre  Castelvieil  ; 
A  travers  les  rochers  déjà  le  jeune  pâtre 
Pour  paître  ses  troupeaux  a  déserté  son  âtre  ; 
Déjà  ,  chassés  du  nid  par  les  premiers  rayons , 
Les  oiseaux  ont  chanté  leurs  premières  chansons  • 
Parlez  gais  et  sans  crainte  :  au  haut  des  Pyrénées 
Se  succèdent  toujours  de  si  belles  journées  î 


Sur  le  cours  d'Etigny  quel  bruit  !    quel  mouvcmeii 
De  costumes  divers  quel  mélange  charmant  ! 
D'y  galopper  défense  ;  et  malgré  les  alcades 
Passent  en  galoppant  toutes  les  cavalcades. 
Le  fouet,  sceptre  burlesque  à  la  main  du  dandy, 
De  claquements  aigus  perce  les  airs.  On  rit  , 


-   13  — 

On  se  prépare  ,  on  court  ,  on  appelle  ,  on  se  p]'.c^^i' 
Une  bonne  épigramme  accueille  la  paresse  , 
Des  groupes  animes  sortent  de  toute  part  ; 
Chacun  brûle  d'ouïr  le  signal  du  départ. 
Comme  la  tige  penche  au  souffle  des  automnes  , 
Sur  le  cou  du  destrier  penchent  les  amazones. 
L'animal  semble  fier  de  l'aimable  fardeau  ; 
Il  pialTe  ,  il  écume,  il  hennit  et  bientôt , 
Sous  la  petite  main  qui  le  flatte  et  l'excite, 
Aux  regards  indiscrets  dérobera  sa  fuite. 
Qu'une  femme  a  de  grâce  et  d'atlraits  à  mes  yeux  , 
Quand  le  coursier  l'emporte  et  que  les  plis  soyeux 
De  sa  robe  flottante,  au  loin  ,  dans  la  poussière  .. 
Laissent  sur  son  passage  un  sillon  de  lumière  ! 
Enfin  dans  tous  les  sens  les  guides  sont  partis  , 
Entraînant  avec  eux  ces  folâtres  amis. 
Alors  que  du  Larboust  la  fertile  vallée  , 
Quand  Luchon  est  dans  l'ombre  ,  encore  est  éclairée 
Nous  les  verrons  rentrer  ;  un  bruit  plus  éclatant 
De  leur  joyeux  retour  indiquera  l'instant. 


—  Ti- 
nt moi,  pendant  qu'ils  voient  les  rocs,  les  précipioes, 
IMoi  ,  n'aurai-je  donc  pas  une  part  des  délices  ? 
Comme  ces  malheureux  qui  demandent  au  bain 
Contre  des  maux  cruels  un  remède  certain  , 
Passerai-je  le  jour  à  rêver  sous  l'ombrage  ? 
Rêver  !  plaisir  divin  tu  n'es  plus  de  mon  ûge  ! 
Maintenant  sous  le  coup  de  la  réali'.é 
Dois-je  ,  puis-jc  rêver?  Ces  beaux  temps  ont  été, 
Mais  hélas  !  ils  ont  fui  comme  le  trait  qu'on  lance. 


Qui  me  rendra  ,  Seigneur ,  mes  rêves  de  l'enfance 
Qu'est  devenu  le  toit  qui  couvrit  mon  berceau  ? 
0  soleil  de  Provence  ,  ô  ciel  si  pur  ,  si  chaud  ; 
Piivage  sohtaire  où  j'égarais  mon  âme  , 
Où  mes  pensers  suivaient  les  pensers  d'une  femme  ; 
Délicieuses  nuits  où  ma  lyre  vibrait , 
Où  d'espoir  ,  où  d'amour  mon  être  frémissait  , 
Oj  les  étoiles  "d'or,  ut  la  mer  infinie, 
Et  ses  sables  roulés  ,  et  sa  triste  harmonie 


Dans  le  recueillenieut  plongeaienl  mon  jeune  cœur  ; 

0  pins  de  la  Crosettc  à  la  sauvage  odeur  , 

Souille  ardent  clu  mistral  ,   vagues  capricieuses 

Qu'effleure  l'alcyon  de  ses  ailes  joyeuses  , 

Ile  dont  les  saints  borJs  portent  un  vieux,  castol 

Comme  un  géant  debout  sur  l'abîme  éternel  ; 

0  Cannes  ,  mon  pays  ,   ma  charmante  patrie  , 

Oasis  d'orangers  ,  temple  de  poésie  , 

Eden  où  le  Zéphyre  avec  Flore  ,  où  l'Amour  , 

Pour  rendre  l'homme  heureux  ont  placé  leur  séjour, 

Qu'êtes-vous  devenus  ?  E-t-il  quelque  poète 

Qui  puisse  comme  moi  de  la  ro])e  de  fête 

Dont  partout  la  nature  a  paré  votre  sein 

Et  comprendre  et  chanter  toute  la  grâce  ?  En  vain 

Les  étrangers  ,  d'un  fils  montrent  l'enthousiasme. 

Votre  air  toujours  si  doux  guérira  leur  marasme  ; 

.Mais  pour  glorifier  vos  beautés  ,  vos  trésors  , 

L'enfant  de  votre  plage  aura  seul  des  accords. 

Ah  !  pleurez  ,  pleurez-moi  comme  ici  je  vous  pleure  ! 

La  mousse  verte  hélas  !  doit  couvrir  à  cette  heure 

Cette  roche  isolée  où  tant  de  fois  le  soir  , 

Quand  la  lune  brillait,  je  revenais  m'asseoir  ! 


—    K)    — 

Sur  son  humble  tombeau  peut-être  de  ma  mért 
L'ombre  vient  réclamer  mon  tribut  de  prière  ! 
Ah  !  le  pain  de  l'exil  est  bien  noir  et  bien  dur  ! 


Non  ,  non.  A  la  prêtresse  il  laul  un  vase  pur 
Au  rossignol  il  faut  un  tranquille  bocage  , 
Au  nautonier  il  faut  une  mer  sans  orage  : 
De  même  pour  voler  aux  régions  des  esprits, 
Au  barde  il  faut  une  âme  exempte  de  soucis. 


Que  dcNenir  alors  ?  Que  faire  ?  J'ai  ma  lyre  , 
J'en  vais  tirer  des  sons  ,  je  vais  tâcher  d'écrire 
Au  milieu  du  silence  et  loin  de  tout  regard  , 
L'histoire  que  m'a  dite  un  ancien  montagnard. 
Ces  lieux  dont  Sévigné  prédisait  la  ruine 
Et  qui  devaient  passer  comme  le  grand  Racine 
Ne  sauraient  procurer  un  si  doux  passe-temps. 


—    17    — 
Au  Casino  du  Tir,  les  cors  relcnlissants  (*) 
Éveillent  à  l'enlour  Vecho  de  chaque  cime  ; 
L'ombre  du. Paladin  sans  doute  se  ranime 
A  ce  son  qui  jadis  aux  monts  Pyrénéens 
De  sa  lutte  annonçait  U's  eflbrts  surhumains. 
Laissons-y  les  chasseurs  ,  sous  un  habile  maître  , 
Apprendre  à  mieux  guider  le  plomb  et  le  salpêtre 
Et  d'Irma  dont  la  mort  a  coûté  tant  de  pleurs  , 
De  cette  pauvre  Irma  racontons  les  malheurs. 


(*)  Toutes  les  années  de  nouveaux  centres  de  réunion  se  forment 
à  Luchon.  Le  Grand  Casino  ouvre  le  soir  ses  salles  ,  son  théâtre  et  ses 
jardins  ;  durant  le  jour,  dans  un  local  conligu,  le  Musée  Pyrénéen  per- 
met d'admirer  toutes  les  curiosités  de  la  chaîne  réunies  et  classées  dans 
un  ensemble  agréable  et  intelligent.  Non  loin  de  là  ,  le  Casino  du  Tir 
ne  désemplit  jamais  :  les  messieurs  et  les  dames  qui  ne  sont  pas  allés  en 
courses  s'exercent  au  pistolet  et  à  la  carabine;  un  salon  splendide  , 
percé  de  plusieurs  fenêtres  sur  les  quatre  points  cardinaux  ,  servi  par 
le  meilleur  restaurateur  de  Toulouse,  procure  aux  riches  désœuvrés  lu 
plaisir  de  la  table  après  le  plaisir  des  armes.  Le  directeur ,  31.  Sapènc, 
donne  lui  même  des  leçons  d'escrime  et  de  tir  et  se  met  à  la  disposi- 
tion de  ses  hôtes  nombreux  avec  une  gracieuseté  toute  avenante.  Aucun 
récit  ne  peut  donner  une  idée  de  l'animation  cl  du  confortable  de  ces 
magnifKjues  élablissemcnls  pendant  la  saison. 


Z'Z. 


L'âtre  noirci  brûlait  clans  l'auberge  rustique  ; 
D'un  flambeau  résineux  la  lueur  fantasli(iue 
Jetait  sur  la  muraille  un  mystérieux  jour  , 
Comme  ceux  de  Rambrand  ;  attablés  tout  autour 
D'une  mense  où  trônait  un  broc  de  vin  d'Espagne 
Nous  prêtions  l'oreille  aux  conteurs  de  montagne 
Au  dehors  ,  la  tempête  et  sifflait  et  hurlait; 
Sur  un  volet  mal  joint  que  la  bise  ébranlait  , 


h\  \\\uw  et  Ii'S  grêlons  vrei>ilaient  avec  rago  . 

De  démons  ,  on  vùl  dit  qu'une  troupe  sauvage 

Gambadant  ,  et  sautant  .  cl  criant  dans  les  airs  , 

Pour  diriger  sa  course  allumait  des  éclaivs  ; 

Kt  la  foudre  ,  ce  sombre  et  terrible  murmure  , 

Connue  un  va-^te  soupir  de  toutj  la  nature  , 

Comme  un  choc  de  soleils  .  comme  les  craquements 

Des  vieux  monts  ébranlés  jusqu'en  leurs  fondements 

Par  des  milliers  d'ecbos  mille  fois  répétée  , 

Laissait  de  son  fracas  notr.-  âme  épouvantée. 

C'est  alors  qu'une  fable  inspire  à  l'auditeur 

Tn  intérêt  réel  pour  la  moindre  douleur  , 

Qu'on  croit  au  maléfice  ,  au  sorcier  ,  au  vam[>ire  . 

Que  l'on  prend  pour  des  dieux  les  guerriers  de  l'Empire 

Et  qu'ici  la  légende  au  sourire  enfantin 

Rapporte  le  grand  saut  du  pieux  Aventin. 


Nous  étions  attentifs  ,  et  dan-  riunnble  veillée 
Nous  trouvions  le  plaisir  des  salons  de  l'allée. 


—  'Àli  — 

l,rs  ;;iii<l<'^  nous  (lisiiicnl  li-  hiMii    |i;iM<)r:itii;i 
Q(l(j  r(i;il  voildii  soiaiiicl  di;  hi  Miiliiili:ll:i. 
Les  chassiiir.s  nKtonlaicnl  leur  ^^'loiicii  c  liitlc 
Avec  l'oins  ,  (|ii:in(l  j'iiivci'  l;i  l^iitn  \r.  iK-isériilc. 
Na;i;n(''ro>  ,  d'une  ^'roll(!  en  expioriinl  l'iihoKJ  , 
I/un  (i'enlrc  eux   est  sui|)iis  par  la  liélc  (|ui  sorl. 
Kllc  inarelie  sers  lui  ,  deboul  ,  Irnlc  ,  irn|)assilil('  ; 
Mlle  ollVe  le  comltal  ,  la  liiilc  csl  iinpossihic  ; 
Il  a  laissé  son  ainie  ,  il  laiit  donc  acceplcr. 
<Mi(d  niunifnt,  !  (|uc  le  ('(i>ui'  alois  doit  palpiict'  ! 
I,es  voilà  «-orps  ,i  coi'ps  ,   coidondanl  leuf  haleine  , 
Se  serrant  ,  se  poussaid  ,  se  .«•oulmanl  a  prine  , 
r.ointne  elie/  li's  ancien^  deux  x)sli(|in's  puissaids. 
l/onrs  î^ronflail  cl  grinçait  de  foitiiidahlcs  dents  , 
l/lH»nin>"  se  dctciidait  «mi  silence  ;   a  la  fa;.'e 
Il  ta<diaiL  d'oppo^ei'  l'adi'ose  {\\.  le  coura;»e. 
S.  s  forces  redoidilaient  eu  laci'  de  la  mort. 
Mais  le  uionsli'c  a  la  (in  ,  d'un  violeid  (  tTort. 
I.e  reuNçrsc  ,  cl  lou>  deu\  ronleid  dans  la  poussière. 
Crand  Dieu  !  du  nionta;;nard  est-ce  l'iieiire  deniitM'e  ? 
Sou  ixui  aii;^e  veillait  et  prit  |)itie.  de  lui. 
D'autres  lraqueur>  cpars  accoururent  im  \,v\\\[ 


Vingt  fusils  à  la  fois  lâchèrent  leur  détente, 
Et  ranimai  blessé  ,  sur  la  terre  sanglante 
Se  débattit  ,  rugit  et  bientôt  expira. 
La  trompe  tout  le  soir  dans  le  pays  sonna  , 
Pendant  que  la  victime  était  ,  selon  l'usage  , 
Sur  un  char  triomphal   apportée  au  village. 
Que  de  beaux  faits  ainsi  passent  inaperçus  î 
Par  ces  héros  obscurs  que  de  périls  vaincus  ! 


Chacun  avait  hvré  sa  part  de  souvenance. 
Un  vieillard  seul  encore  observait  le  silence  , 
Un  de  ces  bonS'  aïeuls  dont  l'imposant  aspect 
Commande  aux  jeunes  gens  les  égards  ,  le  respect  , 
Dont  les  cheveux  tout  blancs  révèlent  les  années  , 
Et  que  l'on  trouve  en  nombre  au  sein  des  Pyrénées, 
J'avais  ,  à  ce  récit  d'un  combat  dangereux  , 
Vu  dun  dernier  éclat  briller  ses  faibles  yeux. 
Sans  doute  ,  avant  que  l'âge  eût  incliné  sa  tête  y 
Il  avait  su  comme  eux  chasser  le  gypaète  , 


—  25  — 
Se  battre  avec  les  ours  et  prendre  dans  leurs  nids 
Les  ignobles  vautours  par  l'Afrique  vomis. 
Vers  ce  roi  du  fover  se  tourna  l'auditoire  : 


—  ((Vous,  père,  dont  cent  ans  ont  meublé  la  mémoire, 
IS'allez-vous  pas  narrer  céans  à  votre  tour 
Quelque  ancienne  aventure  ? 


—  Aujourd'hui ,  c'est  le  jour, 
Répondit  le  vieillard  d'une  voix  lente  et  grave  , 
Où  le  sort  à  mes  vœux  mit  la  première  entrave  , 
C'est  le  funeste  jour  où  Tanière  douleur 
Pour  la  première  fois  a  déchiré  mon  cœur. 
A  mon  oreille  aussi  votre  joie  est  légère. 
Dieu  vous  préserve  ,  enfants ,  d'un  tel  anniversaire  ! 
Voyez  le  ciel  :  le  ciel  semble  s'en  souvenir. 

3 


—  2(i   — 
—  O  père  ,  niioux  que  lui  nous  savons  ooinpcitir. 
Qiiaml  l'étoile  d'un  mort  au  ciel  n'a  phn  de  llanime  . 
N'avons-nous  pas  toujoursdes  pleurs poin-  -a  p;ui\ re  ame ? 
Dites-uous  vos  chagrins. 


—  Mes  ehaarins  sont  bien  lourds  . 
Enfants  ;  ils  jetteraient  le  deuil  sur  vos  discours. 


—  D'Irma  serait-ce  enoor  la  triste  rcmembrance  ? 
Père  ,  dites  toujours  ,  d.tes-nous  sa  souffrance. 
L'étranger  l'entendra  ;  peut-être  l'étranger  , 
Coiniaissant  vos  douleurs  .  sain-a  les  soulager. 


—  Votre  désir  ,  enfants  ,  et  me  plaît  et  ma  touche 
Mais  dois-je  dans  ce  but  ouvrir  ici  la  bouche  ? 


—    27  — 
Dois-je  ici  reiimcr  les  cendres  du  i)asse  ? 
Et  ne  craignez-vous  p;i5  ,  quand  vous  in  aurez  laisse  , 
De  revoir  en  dormant  l'image  de  la  l'olie  ? 


—  L'impie  et  le  méchant  ont  une  peur  tViv»  le 
Cependant  que  le  thym  et  le  laurier  bénits 
Gardent  noire  sommsil  au  chevet  de  nos  lils. 


—  Hé  bien  !  enfants  ,  daignez  écouler  une  liisl.oire 
Bien  touchante  ,  bien  simple  et  bien  facile  a  croire. 
Ma  barbe  sous  l'acier  tombait  moins  blanche  alors  , 
Caria  Pique  depuis  a  vu  ses  jolis  bords 
Trente  fois  s'émailler  de  douces  violettes  ; 
Mais  déjà  je  cédais  la  faulx  et  les  serpettes 
Aux  paysans  plus  que  moi  lestes  et  vigoureux, 
•l'ai  connu  cette  Irma  ,  nul  ne  la  connut  mieux. 
Ah  !  vous  pouvez  rêver  de  belles  fiancées  , 
Sous  un  berceau  g;trni  de  lleurs  tinti'clacee.-  , 


—    28   — 

Livrant  leur  sein  de  neige  à  vos  brûlants  transports  ; 
Vous  pouvez  du  harem  épuiser  les  trésors  ; 
Vous  pouvez  évoquer  ces  Nymphes  ,  ces  Naides 
Qui  jadis  habitaient  les  flots  de  nos  cascades  , 
Ou  ces  êtres  divins  ,  qui  souvent  à  vos  yeux 

Sur  l'écharpe  d'Iris  semblent  venir  des  cieux 

Jamais  ,  jamais  ,  d'Irma  vous  n'obtiendrez  la  grâce. 
Son  pied  sur  le  gazon  ne  laissait  pas  de  trace  , 
Tant  elle  était  légère  ;  elle  eût  de  Murillo 
Elle  seule  inspiré  le  sublime  tableau  ; 
Son  œil  limpide  et  grand  était  un  jet  de  flamme  ; 
Son  sourire  exprimait  la  candeur  de  son  âme  ; 
Son  front  avait  toujours  la  pureté  de  l'air  ; 
E?  ses  cheveux  ?....  je  crois  que  le  Gouffre  d'Enfer, 
A  l'heure  où  les  hiboux  chantent  dans  les  masures, 
Devait  être  moins  noir.  Des  plus  riches  parures 
Son  cou  ,  ses  blanches  mains  auraient  doublé  l'éclyt. 
Aussi  ,  le  croirez- vous  ?  lorsque  la  jeune  Irma  , 
Durant  les  mois  de  bain  ,  traversait  les  allées  , 
Que  de  fois  ,  en   passant   les  dames  échpsécs 
Jetaient  sur  la  pauvrette  un  envieux  regard  ! 
Personne  mieux  qu'Irma  ne  nouait  ce  foulard, 


29  

Qui  de  vos  sœurs  encor  compose  la  coillurc  , 
Personne  ne  portait  la  mantille  de  bure 
Avec  le  même  goût  ;  et  chacun  dans  Luclion 
Admirait,  chérissait  la  fille  de  Raymon  ; 
Et  Raymon  était  fier.  Sans  parents  ,  sans  famille 
Il  n'avait  pour  son  cœur  que  l'amour  de  sa  fille  : 
Elle  était  tout  pour  lui ,  sa  gloire  ,  son  soutien  , 
Sa  consolation  ,  son  plus  précieux  bien. 


Or  il  voyait  sans  crainte  approcher  la  vieillesse. 
Pour  elle  il  avait  tant  amassé  de  richesse  ! 
Comme  un  roi  de  Grenade  il  eût  pavé  le  sol 
De  ces  pesants  doublons  qu'apporte  l'Espagnol  ; 
L'ardoise  recouvrait  ses  courtaous  innombrables;  (*) 
Les  mules  de  Castille  emplissaient  sesétables  ; 
De  valets ,  chaque  aurore ,  un  groupe  adulateur 
Saluait  son  réveil  en  lui  disant  :  Seigneur  ! 
De  ses  bois  l'aigle  seul  voyait  les  deux  lisières  ; 
Ses  chars  de  fruits  creusaient  de  profondes  ornières  ; 

(*)  Fciuiss  datts  les  monts  ordinairement  rccouvcrlos  de  cliaiimc. 

3. 


—  30  — 

Dans  SCS  champs  ({u"oii  metfait  vingt  jours  à  moissonner 

Les  pauvres  bien  longtemps  trouvaient  de  quoi  glaner; 

El  lorsque  ses  troupeaux  de?eenJaient  dans  la  plaine 

Le  mont  qu'ils  recouvraient  frissonnait  comme  un  chêne 

Sur  lequel  a  passé  la  rafale.  Quel  sort  ! 

Quel  beau  sort  !  direz-vous.   Hélas  !  Voyez  la  IMort 

Approcher  de  son  toit  plus  près  que  la  Fortune  ,; 

Ses  armes  ,  ses  limiers  .  voyez  ,  tout  l'importune  ; 

L'ombre  d'un  être  cher  semble  suivre  ses  pns  ; 

Assis  sous  les  cyprès  il  rêve  le  trépas  ; 

Dans  toute  la  contrée  ,  ou  l'on  aimait  sa  fille  , 

Il  prodigue  ses  biens  ,  se  fait  une  famille 

Des  mille  malheureux  qui  bénissent  son  nom 

Mais  n'anticipons  point. 


Le  modeste  Baymon 
Avait  su  conserver  les  mœurs  de  ses  ancêtres. 
Le  vin  de  l'Hiberie  ,  à  ses  repas  champêtres  , 
Dans  une  peau  de  bouc  ,  procurait  le  plaisir  ; 
Les  pommes  ,  qu'au  verger  Irma  courait  choisir 


Sur  un  lin  qu'elle-même  avait  tile  naguère?-  , 
S'ajoutait  au  produit  des  chasses  journalières  , 
Et  ,  comme  chez  Jacob  ,  aux  voyageurs  perdu?? 
De  l'hospitalité  les  soins  étaient  rendus. 
Leurs  habits  n'avaient  pas  de  superbe  apparence  ; 
Rien  ne  les  distinguait  de  leur  ami  d'enfance  , 
Sinon  qu'ils  pouvaient  mieux  secourir  le  prochain 
Encore  cachaient- ils  leur  bienfaisante  main. 
Irma  s'était  formée  aux  brises  des  montagneS; 
Ainsi  que  l'églantinc  ,  et  parmi  ses  compagnes 
Elle  marchait  la  reine  en  sagesse  ,  en  beauté  ; 
Vierge  timide  ,  à  peine  avait-elle  compte 
Seize  printemps.... 


Jeunesse  !  à  Jeunesse  !  ô  bel  âge 
Qu'on  regrette  toujours,  dont  le  brillant  mirage 
Dans  le  passe  toujours  resplendit  à  nos  yeux  , 
Jeunes.^e  à  qui  sourit  l'ange  du  haut  des  cieux  , 
Jeunesse  cfont  la  sève  est  un  torrent  de  llammes 
Allumé  par  l'amour  pour  consumer  deux  âmes  j 


Jeunesse  qui  se  livre  a  tous   les  sentinieuls  , 
Comme  l'oiseau  de  mer  se  li\rc  à  tous  les  vents, 
Sans  calculer,  j^ans  voir  ,  sans  craindre  les  obstacles, 

El  qui  de  sa  franchise  espi-re  des  miracles  ! 

t'est  elle  qui  d'Irma  détruisit  le  bonheur. 

Pauvre  enfant  ,  elle  crut  aux  mensoni^es  du  cœur. 


Je  vous  ai  dit  combien  alors  leur  exi>lence 
Était  tranquille  ;  au  sein  des  fleurs  qu'elle  balance 
L'haleine  du  zéphyr  puise  moins  de  parfums  ; 
Le  chantre  des  forêts  ,  loin  des  cris  importuns  , 
Fait  entendre  la  nuit  des  notes  moins  joyeuses  ; 
L'onde  de  Bercugnas,  sous  les  vertes  yeuses. 
Coule  moins  doucement  ;  et  dans  un  ciel  d'azur 
De  l'astre  qui  se  couche  un  rayon  est  moins  pur. 
Sans  doute  c'était  trop  d'ivresse  pour  un  père  ; 
Dieu  refuse  la  paix  et  la  joie  à  la  terre  , 
Connue  l'ombre  au  désert  ;  tout  finit  par  changer. 
Qui  donc  jeta  chez  eux  le  trouble  ?  Un  étranger. 


—  33   — 

Il  est  mort.  Uespectons  le  repos  de  la  tombe. 
Mais  sur  les  siens  au  moins  que  son  crime  retombe 
Que  le  jour  où  Raymon  mit  la  main  dans  sa  main 
Soit  oublié  ,  maudit  ;  et  que  sur  leur  chemin 
Ceux  qui  le  même  jour  entrèrent  dans  la  vie  , 
Puissent  n'avoir  foulé  que  la  ronce  et  l'ortie  !  »  — 


Il  dit  et  s'arrêta  pour  essuyer  son  front. 
Nous  observâmes  tous  un  silence  profond. 


^S2, 


Le  bon  vioill;»rd  ropril  :  —  «  il  ost  un  tVoid  rivii-i- 
Ou  li»  soleil  jamais  ne  brunit  lo  visage. 
Le  peuple  qui  l'habite  ,  entouré  par  les  eaux  , 
Pour  chaque  mer  du  globe  a  construit  des  vaisseaux 
Et,  s'emparanl  ainsi  du  trident  de  Neptune  , 
A  dans  le  monde  entier  poursuivi  la  Fortune  : 
Et  depuis,  la  Fortune  ,  aux  quais  de  loua  ses  ports 

4 


—  ;;8  — 
Des  pliB  loiiiUiins  pays  débarque  les  trésors. 
La  ,  même  sans  pouvoir  entamer  leurs  richesses  , 
Des  Lords  font  constamment  de  royales  largesses  ; 
Mais   sous  un  ciel  brumeux  ils  naissent  maladifs. 
Aussi  \crs  nos  climats  ces  pâles  fugitifs  , 
Avant  qu'un  givre  épais  ait  blant^hi  leurs  tourelle» 
Partent-ils  tous  les  ans  comme  les  hirondelles. 
Vous  les  voyez  ici  ,  je  les  vis  autrefois. 
L'humanité   toujours  se  plie  aux  mêmes  lois. 


Prêtez- moi  maintenant  une  oreille  attentive, 
Vous  tous,  enfants  ;  car  c'est  de  cette  sombre  rive 
Que  l'astre  du  malheur  se  leva  pour  Ray  mon. 
Trente  ans  déjà  passés,  sur  le  sable  Breton 
L'Océan  ,  au  milieu  d'écumeuses  épaves  , 
De  son  immense  sein  où  courent  tous  nos  gaves 
Vomit  un  de  ces  Lords.  Il  venait  parmi  nous, 
Contre  un  précoce  mal  tenter  un  air  plus  doux. 
Or  ,  lorsque  pour  gravir  nos  vastes  Pyrénées  , 
De.  Ravmon  abordant  les  treilles  fortunées  , 


—    o'J    — 

Il  (leniauda  le  guide  ,  un  noir  pressentiment  . 

Dans  le  cœur  de  Ray  mon  fit  affluer  le  sang. 

Telle  la  blanclie  hermine  aux  bois  pressent  l'orage 

Et  cherche  par  instinct  un  asile  sauvage. 

Oui  ,  mes  enfants  ,  un  brave  ,  un  sensible  étranger 

Devait  être  du  sort  le  fatal  messager. 

Il  avait  nom  Edward.   Son  antique  noblesse 

D'un  merveilleux  éclat  enlourail  sa  jeunesse  ; 

Sa  prodigahté  ,  ses  taleats ,  fa  douceur  , 

De  ceux  qui  l'approchaient  soudain  gagnaient  le  cœur  j 

Il  était  bel  et  grand  ;  et  je  crois  qu'une  femme 

De  lui  pour  être  aimée  aurait  damné  son  ûmc. 

Ce  dût  bien  être  ainsi ,  puisque  la  gente  Irma 

A  son  premier  abord  lui  sourit  et  l'aima. 


Un  jeune  homme  ,  Bruno  ,  depuis  la  tendre  enfance 
Recevait  de  Raymon  une  aimable  assistance  ; 
La  mort  avait  jadis  isole  son  berceau  , 
Quand  Raymon  se  chargea  de  l'innocent  fardeau  ; 
Celui-ci  l'entourait  de  tous  les  soins  d'un  père  , 
Et  d'Irma  l'orphelin  semblait  être  le  frère. 
C'est  donc  lui  que  l'Anglais  pour  guide  avait  choisi. 


—   iO  — 

Ils  parlent  un  malin.  Vers  le  IMc  du  .Midi 
Ils  lancent  le  coursier  au  mors  tout  blanc  d'écume  , 
Et  le  coursier  alors  sur  sa  croupe  qui  fume 
Du  ménage  emporta  les  Larves  prolecteurs. 
Telle  est  la  vie.  Un  astre  au  ciel  perd  ses  lueurs 
Tour  une  simple  nue  aux  vents  abandonnée; 
Sous  une  goutte  impure  une  rose  est  fanée  , 
Un  caillou  trouble  seul  l'onde  des  clairs  ruisseaux  ; 
De  même  a  nos  plaisirs  succéderont  les  maux 
Parce  qu'un  inconnu  traverse  notre  route. 
Quels  motifs  pour  le  fuir  ?  L'avenir,  plein  de  doute, 
Kst  un  livre  secret,  où  le  regard  humain 
S'efforce  vainement  de  lire  le  destin. 


Je  ne  vous  dii-ai  pas,  diiiant  cette  journée  , 
Conmient  des  jeunes  gens  l'aficction  est  née. 
Bruno  ,  franc  et  joyeux  ,  fut  bien  vite  séduit 
Par  les  charmes  du  Lord  ,  franc  ,  joyeux  comme  Im. 
Le  riche  .\nglais  jetait  l'argent  sur  son  passage  , 
Et  partout  ils  lrou\aieul  un  radieux  \isi«ge. 


_  il  — 

Or  devant  la  nature  au  grandiose  aspect. 
Le  naïf  montagnard,  rendu  moins  circonspect 
Et  comblant  par  le  cœur  les  distances  humaines  , 
Eut  bientôt  confié  ses  projets  et  ses  peines. 
11  parla  de  l'arrêt  qui  le  fit  orphelin  , 
Du  bienfaiteur  dont  Dieu  sans  cesse  ouvrait  la  m:*in 
II  lui  parla  d'Irma.  Fallait-il  davantage  ? 
Le  soir  ,  en  retournant  ,  de  notre  gai  village 
Ils  n'avaient  pas  encor  vu  la  fumée  au  loin  , 
Et  le  Mylord  déjà  bridait  d'être  témoin 
De  tant  de  piété  ,  de  tant  de  modestie. 
Irma  de  la  maison  ,  par  hasard  fut  sortie  ; 
Mais  ^ur  son  compagnon  ,  au  moment  du  repas  , 
En  éloges  pompeux  Bruno  ne  tarit  pas. 
Sans  qu'ils  pussent  se  voir  ainsi  trois  jours  passèrent 
Et  des  lèvres  du  guide  à  chaque  instant  coulèrent, 
Comme  un  poison  subtil  à  du  miel  mélangé  , 
Comme  un  feu  de  volcan  par  du  lierre  ombragé  , 
Les  louanges  ...  d'Amour  trop  redoutables  armes  ! 
De  la  fille  des  monts  Edward  rêvait  les  charmes  ; 
Et  la  fille  des  monts  ,  dans  un  vague  désir 
Trouvait,  san?  le  comprendre  ,  un  inconnu  pl-^i^ir 

i 


Tisse  virent  enfin.  La  sainte  Providence 
Aurait-elle  ici-lwsoinl  et  marque  d'avance 
Ceux  qui  doivent  s'unir  ?  Une  égale  rougeur 
Annonça  que  tous  deux  claient  frappés  au  cœur. 


V^ous  dirai-je  à  présent  comment  avec  mystère 
Leur  passion  grandit  ;  comment  loin  de  son  père 
La  pauvre  Irma  ,  cédant  aux  élans  naturels  , 
Dans  une  coupe  d'or  buvait  des  sucs  mortels; 
Conmient  ils  ont  goûté  cette  ivresse  suprême 
Daimer  et  d'être  aime?  Je  l'ignore  moi-même. 
Souvent  des  plus  beaux  fruits  cueillis  dans  le  verger  , 
Sur  des  pampres  de  vigne  ,  au  charmant  étranger 
Llle  fit  don  ;  souvent  l'œillet  et  l'eglantinc 
Pour  lui  vinrent  remplir  les  pois  de  Valentinc  ,  (*) 


\*)  Valenlinc  est  un  jtetit  hameau  ,  dans  les  enviions  île  SaiiK- 
daudens.  C'est  là  que  se  irouv»  la  vaste  et  célèbre  fabrique  <le  jtorcc- 
liiiies  de  M.Fouque,  dont  les  produits  aux  expositions  universelles 
diit  figuré  à  côté  des  produits  de  Sèvres  cl  de  la  Bohème.  On  nous  a 
lerlifié  qu'il  part  de  Valentine  des  chargements  considérables  jiour 
l'étranger  d'où  ils  reviennent  complètement  nationalisés  chinois.  C'est 
une  des  belles  choics  à  voir  dans  les  IN  renées. 


Et  ,  près  de  son  chevet  mis  avant  son  réveil  , 
Embaumaient  son  tranquille  et  paisible  sommeil  ; 
Souvent  il  eut  sa  part  des  produits  de  la  chasse  ; 
Même  ,  pour  que  U'ur  loi  pût  laisser  quelque  trace  , 
Au  tronc  d'un  vieux,  tilleul  ,  fidèle  gardien  , 
Souvent  elle  grava  son  nom  avec  le  sien. 
Lui  n'était  pas  ingrat  :  de  mille  prévenances 
llsa\ait  l'entourer;  peines  ,   marches  ,  dépenses  , 
Il  ne  regrettait  rien  ;  et  chaque  nouveau  jour. 
Par  (le  nouveaux  présents,  augmentait  leur  amour. 


Raymon,  sur  des  hens  qui  se  montraient  .-aiisllin'j 
Pouvait-il  concevoir  des  sou[;çons  et  des  craintes  ? 
Pouvait-il  redouter  ces  innocents  rapports  ? 
Oh  !    non.  Sa  conscience  ignora  les  remords. 
Son  fils  d'adoption  ,  qu'un  caractère  aimable 
Avait  toujours  gardé  de  tout  acte  blâmable  , 
N'était-il  pas  admis  à  partager  leurs  jeux  ? 
Et  la  neige  bientôt  ,  par  l'autan  iiirieux 


*4     

l'ortoe  à  gros  llocoiis  sur  nots  loils  ([u'cllo  aiïiiis.'^f  , 

^"allait-cllc  pas  mettre  un  terme  à  leur  lendre^!*(;  ? 

La  saison  s'avançait.  De  l'oublieux  Edward 

Jas  feuilles  en  tombant  annonçaient  le  dépari; 

Pour  la  deu\it'me  fois  ,  depuis  son  arrivée  , 

De  l'astre  de  la  nuit  allait  être  athe\ée 

la  révolution  ;  et  les  tristes  frimas 

Chassaient  nos  visiteurs  vers  de  plus  cîiauds  cl i mais. 

Bien  loin  d'ici  ,  dit-on  ,  C.annes-la-Belle  et  Nice 

D'un  piititemps  éternel  leur  olîreut  le<lclice. 
Il  devait  doue  s'enfuir  à  son  tour.  Ni  l'aymoji  , 

ISi  Bruno  ne  pou \ ait  comprendre  la  raison 

De  ce  retard.  Tous  deux  croyaient  qu'a  leur  vallœ 

Par  l'Amitié  son  ûme  avait  été  gagnée  ; 

Et  tous  deux  éprouvaient  ce  divin  sentiment. 

ïlélas  !  c'était  1  amour  ,  c'était  un  doux  serment. 

Irma  l'aimait.  Un  noir  Gitano  de  Sévile 

Lui  prédit  qu'il  auraif  la  vierge  au  sein  nubile. 

Comment  se  séparer  alors  ?  comment  partir  ? 

Comment  la  condamner  a  pleurer  ,  à  souffrir  ? 

Comment  abandonner  une  fleur  délicate 

Dont  le    premier  parfum  vous  ;illirc  et  \«:usllatle  f 


—    j5   — 
0  mes  enfants  ,  mallieur,  malheur  ,  si  nous  aimez 
Des  êtres  dont  le  rang  vous  sépare  à  jamais  ! 
Que  ,  semblables  plutôt  à  des  tiges  fauchées  , 
Les  fibres  de  vos  cœurs  soient  toutes  desséchées  î 


Or  l'instant  arriva.  L'intrépide  Rruno 
N'avait  plus  qu'à  mener  Edward  au  lacd'Oo  , 
Et  des  courses  ainsi  terminer  la  série. 
Encor  deux  jours.  D'Irma  la  sombre  rêverie 
Parut  dès  ce  moment  voiler  un  vif  chagrin. 
Pauvre  ange  !  Elle  avait  cru  qu'elle  serait  sans  (in  , 
(À'tte  félicité  dont  le  ciel  est  avare. 
Que  de  déceptions  un  rêve  nous  prépare  I 


Avant  donc  de  mmiter  a  notre  lac  fameux. 
Le  Lord  vint  voir  Irma.  De  la  Pique  tous  deux 
On  les  vit  aborder  la  rive  solitaire, 
(l'était  l'heure  où    l'aiguail  brille  dans  la  fougère  ^ 
L'astre  naissant  ,,  à  peine,  autour  du  frais  Lu<^hon  , 


—  40   — 

D'une auiculo  tlor  couronnait  chaiiuo  mont, 
Lo  silence  dos  bois,  si  doux  pour  ceux  qui  s'aiment 
Sur  le  tondre  gazon  que  les  Nymphes  y  sèment , 
Protégeait  leurs  aveux  ,  leurs  regrets  ,  leurs  soupirs. 
I!s  devisèrent  là  d'amour  5  et  les  zéphyrs, 
Avec  la  feuille  morte,  au  creux  de  la  vallée 
Emportaient  les  discours  de  l'amante  éplorée. 
Qui  jamais  entendit  des  propos  !-i  touchants  ? 
Leurs  lèvres  distillaient  et  le  miel  et  l'encens. 
Ecoutez.  Trop  de  fois  hélas  !  dans  sa  folie 
Elle  les  répéta,  pour  que  je  les  oublie. 


i 


^If'o 


Le  jouiio  hoiniii;'  disait  ;  «  Je  pars  oi  je  pars  sfui 
<'  >fon  Irma  ;  c'est  rlcniaiii.  L'érorco  du  tilleul 
'(  Reste  de  notre  foi  riuimble  dépositaire.,. 
'(  Deux  noms  entrelacés  ...    quel  contrat  plus  sincènï 
u  Tu  viendras,  n'est-ce  pas  ?  t'isoler  en  ces  lieux 
«  Ou  nous  nous  ^adressons  le  dernier  des  adieux  v 
H  II  me  semble  te  voir,  à  l'ombre  de  ces  charmes, 
u  Aux    larmes  du  matin  join<lre  tes  saintes  larmes  ; 

o 


—  :;(>  — 

a  II  me  semble  l'enlondre  interroger  l'oiseau  , 

(«  Demander  si  son  aile,  en  rasant  le  coteau, 

«  De  ton  Edward  chéri  n'eflleura  point  la  trace. 

«  Tiens  ,  mon  Irma  ,  vois-tu  ce  nuage  qui  passe  ? 

«  Comme  un  mantel  de  rois  il  est  pourpre  et  brillant; 

«  Il  est  tout  plein  encor  des  feux  de  l'Orient  ; 

«  Sans  doute  d'Italie  il  a  longé  "les  plages  : 

«  Eh  bien  !  quand  tu  verras  de  semblables  nuages 

«  Pense  à  moi  ,  car  d'Edward  ces  rapides  coursiers  (*) 

«  T'apporteront  aussi  la  pensée.  A  tes  pieds 

«  Vois  ce  cristal  qui  roule  ,  écoute  ce  murmure  : 

«  Ces  mouvements  qui  sont  le  pouls  de  la  nature  , 

«  Ces  chants  lointains  du  pâtre  isolé  sur  les  monts  , 

«  Ce  bruit  d'in.sectes  d'or  mêlés  à  des  rayons  , 


(')  D'ordinaire  on  fait  trois  syllabes  des  mots  coursier,  tablier  , 
peuplier,  etc.  ,  c'est  la  prononciation  des  gens  du  Nord.  Riais  dans 
tout  le  Midi  on  n'en  fait  que  deux.  Par  contraire  ,  ils  disent  ffardien 
et  nous  disons  gardi-en.  Or  ,  il  n'y  a  pas  plus  de  raison  pour  les  un; 
que  pour  les  autres.  Nous  avons  vu  des  exemples  des  deux  manières 
cher  les  poètes.  Si  l'on  dit  entier  ,  pourquoi  dire  coursi-er  ?  Si  l'on 
dit  iî'en,  pourquoi  dire  li-en  ?  Jamais  dans  la  conversation  on  n'a  osé 
prononcer  hi-tr  :  Cela  est  trop  dur;  cependant  cet  horrible  hiatus  esi 
usité  dans  la  poésie  ;  de  sorte  que  la  langue  des  dieux  devient  plus  dure 
que  la  prose  de  M.  Jourdain.  Nous  croyons  plus  naturel  et  plus  com- 
mode de  faire  de  nos  sortes  de  mots  ,  des  mots  nd  libitum  comme  ou 
latin.  La  question  e«t  ainsi  tran'-ln-c  cture  Io<  liiioraienrï  du  Nord  et 
ceux  du  Midi. 


«  Ce  frùleinciit  des  fleurs  au  contact  du  Ze[)hyre  , 

«  Tout  cela  te  dira  qu'EdNvard  ainsi  soupire. 

«  Mais  ,  Irma;  je  l'envie  un  douloureux  bonheur  : 

u  Les  jasmins  n'oti'rent  point  la  ravissante  odeur 

«  Qua  le  buis  des  sentiers  foulés  par  ceux  qu'on  aime 

«  N'est-ce  pas?  Or  toujours  ce  val  sera  le  même  , 

«  Toujours  lu  reverras  ce  que  mes  yeux  ont  vu  , 

«  Toujours  tu  pourras  boire  à  la  tasse  où  j'ai  bu  ; 

«  Et  moi  ,  quand  je  serai  sur  la  terre  étrangère  , 

«  Qui  me  rappellera  celle  qui  me  fut  chère  ? 

«  Qu'aurai-je  ?  Des  bouquets  depuis  long-temps  flétris 

«  Des  lettres  ,  des  cheveux  en  souvenir  ravis.... 


«  Ah  :   si  tu  le  Noulais  ,  fille  des  Tyrenees  , 
i'  Si  lu  voulais  d'Edward  suivre  les  destinées  , 
«  Si  lu  voulais  ,  cédant  à  son  fidèle  amour  , 
«  Accompagner  ses  pas  vers  un  autre  séjour, 
«  Edward  pour  te  payer  vos  nobles  jouissances  , 
«  N'aurait  jamais  assez  de  plusieurs  existences. 


0  Viens  ,  lu  verras  un  peuple  humain  et  généreux  j 
«  Chez  qui  de  tous  pays  accourt  le  malheureux. 
«  Le  sol  de  noire  England  ,  si  plein  de  poésies  , 
«  Te  bercera  bientôt  de  longues  rê\  cries  ; 
((  Kt  le  soir  tu  croiras  entendre  avec  le  vent 
«  Résonner  dans  les  airs  la  harpe  d'Ossian  ; 
«  Et  nos  pâles  brouillards,  peuplés  d'âmes  guerrières, 
a  Sembleront  frissonner  au-dessus  des  bruyères. 
«  Viens  ,  à  mon  vieux  castcl  lu  dicteras  les  lois , 
«  Mon  castel  où  jadis,  pour  recevoir  des  rois  , 
«  Les  sombres  ponts- levis  en  grinçant  s'abaissèrent 
«  Et  les  cors  des  archers  en  fanfares  sonnèrent  ; 
«  Car  ,  Irma  ,  j'ai  des  rois  au  rang  de  mes  aïeux. 


«  Tu  voudrais  le  soleil  peut-être  !  Aimes-tu  mieux 
«  De  l'Inde  où  ma  patrie  a  porté  ses  conquêtes 
«  Voir  les  pagodes?  Viens,  viens  :  les  rames  sont  prêles, 
(•  Une  nef  nous  attend.  Oh  !  jamais  nos  destins 
«'  >"e  seraient  j)lus  heureux  (pie  sur  ces  bords  lointains  ; 


«  Le  palmier  ,  l'aloës  nous  prêteraient  leur  ombre  ; 

«  Autour  de  nos  tapis  des  esclaves  sans  nombre 

((  Avec  des  ésenlails  nous  rafraîchiraient  l'air  ; 

«  Tu  foulerais  la  peau  des  tigres  du  désert, 

<(  Comme  ici  je  te  vois  fouler  la  blanche  laine 

(I  De  tes  brebis.  Là-bas  l'indous  au  teint  d'ebène  , 

«  Dans  des  conques  de  mer  ,   du  frais  et  pur  ruisseau 

«  Pour  chasser  le  sommeil  viendrait  l'apporter  l'eau  ; 

«  Et  ,  sur  un  éléphant  plus  blanc  que  son  ivoire  , 

«  Plus  blanc  que  tes  perdrix,  plusblanc  queleciboireC) 

((  De  nos  plantations  tu  parcourrais  les  champs. 

«  Là-bas,  toi  dont  j'ai  su  des  actes  si  touchants  , 

o  Des  Parias  qu'un  dieu  poursuit  de  sa  colère  , 

«  Tu  pourrais  adoucir  l'accablante  misère. 

«  Là-bas  ,  le  ciel,  toujours  inondé  de  rayons  , 

«  Par  des  fruits  diflcrcnts  distingue  les  saisons. 


{*)  La  periliix  Jfs  Pyrciiccs  ,  grise  en  été  ,  liigarrée  en  autoninp  , 
'•îrviciu  complètement  blanche  en  hiver,  t'est  alors  une  petite  béte 
'ou(-j-fail  gracieuse. 


Ok     

«  Crois-moi ,  ce  ne  î?ont  point  des  songes  iHnsoirrs. 
«  Viens  ,  lu  te  baigneras  avec  les  filles  noires 
«  Dans  le  Gange  où  Brama  lui-même  est  descendu  ; 
'«  Comme  elles  si  tu  crains  de  montrer  ton  corps  nu  , 
«  Viens  ,  de  tes  longs  cheveux  tu  te  feras  un  \oile... 
"  Ce  bonheur  ,  ces  plaisirs  que  mon  coeur  te  dévoile , 
«  Irma  ,  ne  sont-ils  rien  ?  ne  te  tentent-ils  point  ?  » 


Et  la  \ierge  disait  :  «  M'expatrier  si  loin  ! 
«  Est-ce  possible,  Edward?  Quand  pour  me  faire  instruire, 
«  En  la  cité  mon  père  a  daigné  me  conduire , 
«  IS'a-t-il  pas  résolu  de  former  mon  esprit 
f(  Afin  d'avoir  plus  tard  quelqu'un  qui  le  comprit  , 
»  Qui  l'aimât  ,  qui  reçût  toutes  ses  confidences  , 
«  Qui  préparât  le  baume  à  toutes  ses  souffrances  ; 
('  Qui  ,  riche  sans  éclat  ,  ne  rougît  pas  de  lui 
«  Et  fût  de  ses  vieux  ans  un  agréable  appui  ? 
<(  Et  vous  voulez  qu'Irma  le  quitte  ,  le  délaisse  ?..  ,- 
¥  Quelquefois  ,    il  est  vrai  ,  je  lis  avec  iNresse 


—    bD     — 

«  Ces  livres  de  voyage  a  travers  l'Orient  , 

t<  Je  rêve  leurs  palais  d'or  et  de  diamant  ; 

«  Je  rêve  qu'à  mon  tour  une  fée  ,  un  génie, 

«  Dévorant  dans  son  vol  la  dislance  infinie  , 

«  M'y  porte  tout-à-coup  sur  ses  ailes  de  feu  ! 

«  Mais  c'est  un  rêve,  ami,  ce  n'est  qu'un  simple  vcvu, 

«  Jamais  ,  même  pour  voir  ces  rives  fortunées  , 

«  Je  ne  déserterai  nos  froides  Pyrénées  , 

«  Je  n'abandonnerai  mon  père.  11  est  si  bon  : 

»  Vous  le  savez  ,  Ed\vard  ,  vous  connaissez  Raynion. 


«  Comment  nous  repaver  ?  Vivre  loin  de  son  pcrc  , 
«  De  toutes  les  douleurs  est  bien  la  plus  amère  ! 
«  Moi  partir...  moi  le  fuir...  moi  lui  coûter  des  pleurs., 
«  Et  qui  viendrait  après  essuyer  les  sueurs 
f<  Que  le  travail  arrache  à  son  front  vénérable  ? 
«  Qui  dans  ses  faibles  mains  mellruit  le  bois  d'érable. 


—  iiG  — 

f<  tt  5Ur  h-  (.our.x  irait  le  proinener  ,  le  î^oir  '/ 

«  (le  coupable  abandon  ferait  son  désespoir  ; 

«  Qui  le  consolerait?  qui  ,  le  jour  d'une  fêle  , 

«  Pourrait  comme  sa  fille  arranger  sa  toilette  , 

«  Peigner  ses  cheveux  blancs  et  puis  avec  orgueil 

»  Ou  temple  sous  son  bras  aller  franchir  le  seuil? 

n  D'un  péri'  lorsqu'enfin  sonne  la  dernière  heure  , 

"  Si  l'enfant  n'est  point  là  qui  gémit  et  qui  pleure  , 

«  C'est  un  grand  crime,  EdA\ard  :  alors  sis  yeux  mouianls 

«  Cherchent  l'objet  chéri  parmi  les  assistants  , 

«  Sa  main  voudrait  bénir,  et  cette  main  glacée 

c<  Ne  peut  par  son  enfant  pas  même  être  pressée  ! 

«  Oh  !  l'agonie  alors  doit  être  lourde  !  Et  moi  , 

«  Moi  ,  sa  fille  ,  à  présent  ,  sans  regrets  ,  sans  ctVroi  , 

«  Je  lui  préparerais  une  fin  si  cruelle  :  ! 

«  >'on  ,  je  veux  recevoir  sur  sa  lèvre  mortelle 

«  Le  suprême  soupir  ,  je  ne  fuis  pas  ,  non  .    non  ; 

«  Car  pour  Irma  le  ciel  n'aurait  plus  de  pardon  , 

«  Car  nos  amis  nn  jour  au  fond  du  cimetière  , 

v  >'e  voyant  pas  de  fieurs  près  de  son  himible  pierre  , 

«  M'appelleraient  ingrate.  Oh  î  non  ,  plu'.ôt  mourir  ^ 

"  riutôl  NOUS  perdre,  EdNAard.  non.  je  nepuisj-arlir  !...>> 


viirge  ai 

La  voix  du  ménestrel  errant  de  ville  en  ville 
Etait  moins  entraînante  ;  aussi  le  jeune  Lord 
Quand  elle  avait  fini ,  l'écoutait-il  encor  ! 
Et  tous  les  deux  ,  assis  sur  l'herbe  de  la  rive  , 
En  rêvant  soupiraient ,  et  leur  àme  craintive 
IS'osait  plus  exprimer  trop  de  sensation. 
Cependant  dans  leur  cœur  bouillait  la  passion  ; 
L'atmosphère  ,  d'amour  exhalait  un  arôme. 
Sur  l'épaule  d'Irma  la  tête  du  jeune  homme 
S'appuyait  mollement  ;  ils  se  tenaient  les  mains  , 
Ainsi  qu'aux  saints  autels  deux  pieux  séraphins  ; 
Et  les  cheveux  d'Edward,  blonds  comme  un  ciel  den 
Et  ceux  d'Irma  plus  noirs  que  le  jais  de  l'Ariége  , 
A  flots  mêlés  tombant  de  deux  gracieux  fronts  , 
Semblaient  faire  un  tableau  d'ombres  et  de  rayons. 


«  Laisse-moi  pour  adieux  ,  ô  femme  bien-aimee, 
«  Cueillir  un  ^eul  baiser  sur  la  bouche  embaumée  ; 


—     08  — 

«  C.'ei^t  le  sccl  que  le  cœur  en  loul  leiups  doit  po-er 

«  Si  la  sic  au  berceau  s'ouvre  par  un  baiser, 

«  Au  cercueil  n'est-ce  pas  un  baiser  qui  rachève  ?  » 


Irma  ne  vivait  plus  ,  elle  vivait  en  rêve  ; 
Elle  écoutait  distraite  ,  elle  n'entendait  pa-. 
Trouble  délicieux  !  Il  la  prit  dans  ses  bras  , 
La  serra  ,  la  retint  sur  sa  poitrine  ardente  ; 
M  pria  ,  supplia  la  colombe  innocente  ; 
Au  milieu  des  soupirs  il  répandit  des  pleurs  ; 
Il  lui  parla  de  foi  ,  de  serments,  de  douleurs; 
Puis  de  l'éloignement  il  peignit  les  alarmes. 
Et  la  vierge  séduite  ,  entraînée  à  son  tour  , 
S'abandonnant  entière  aux  élans  de  l'amour  , 
Pour  montrer  ,  pour  prouver  une  égale  tendresse 
Fit  au  noble  Mylord  la  plus  douce  promesse. 


Elle  promit.  Soudain  s'éveilla  la  pudeur  ; 
L'iKiIcmcnt  ,  le  bois ,  l'onde  .  tout  lui  lit  peur 


—  59   — 
Elle  voulut  s'enfuir  et  regagner  la  ville. 
Sa  conscience  ,  hélas  !  devenait  moins  tranquille  ; 
Mille  pensers  divers  s'y  livraient  des  combats. 


«  Ce  soir  ,  lui  disait-elle  appuyée  à  son  bras  , 
0  Ce  soir  je  suis  à  vous  ;  me  voilà  résolue  , 
«  Edward.  Mais  pour  calmer  un  remords  qui  me  lue  , 
«  Après  ce  sacrifice  éternel  ,  accablant , 
«  Au  moins  dites-moi  bien  que  vous  serez  content. 
«  Il  faut  que  je  le  sache  ,  il  faut  que  je  le  croie. 
«  Qu'importe  ,  quand  ma  honte  aura  fait  votre  joie? 
«  Allez  ,  soyez  heureux  ;  en  ne  rêvant  qu'amour  , 
«  Parcourez  notre  lac.  Que  l'heure  du  retoiu- 
«  Parl'.Vngelus  lointain  vous  soit  vile  annoncée. 
«  Mais  quand  vous  quitterez  la  roche  crevassée  , 
a  Qu'une  dernière  fois  ,  de  ce  flot  toujours  pur  , 
«  YoU3  penchant  sur  les  bords,  vous  voudrez  voir  l'azur. 
'  Prenez bion  garde.  Edward,  que  cette  coupe  immense,. 


it  Comme  iiii  miroir  veiip;oiirde  ma  rhrro  iimorom-t- 

«  Tout-à-coup  ne  reflète  à  voscoupalili^s  yeux 

«  .Mon  ange  gardien  qui  s'en  relrninie  luix  cieux  !  » 


i 


i 


Avant  de  s  élancer  sur  le  coursier  rapide  , 
Edward  contre  l'oubli  voulut  prendre  un  égide; 
Dans  un  vase  qu'Irma  soignait  à  son  balcon  , 
D'une  fraîche  pensée  il  cueillit  le  bouton  , 
Et  puis  en  le  donnant  à  celle  qu'il  adore  : 
«    Sous  tes  baisers  ,  dit-il  ,  tu  le  feras  éclore 
'(  Si  tu  penses  à  moi.  »  Doux  gage  de  laniour  î 
("adeau  que  ne  vaut  pas  tout  l'argent  d'une  ("our  \ 


—   ()i   — 

Comme  au  fond  de  l'aulel  on  cache  une  relique  , 
Elle  cacha  la  Heur  dans  sa  gorge  pudique. 
Aimable  enfantillage  !  Une  dernière  fois 
En  de  tendres  serments  ils  mêlèrent  leur  voix  ; 
Une  dernière  fois  ,  d'une  longue  caresse 
Us  scellèrent  l'aveu  de  leur  vive  tendresse  ; 
Et,  quand  Bruno  s'en  vint  annoncer  le  départ, 
Tous  deux  lurent  l'espoir  dans  un  dernier  regard. 
Fol  espoir  !  Après  l'heur  dont  gémit  la  vallée  , 
Les  gens  qui  des  Soupirs  avoisinent  l'Allée  , 
Dirent  que  sur  les  pas  du  guide  et  du  M  y  lord 
On  avait  vu  courir  ,  en  hurlant  à  la  mort , 
Le  chien  du  vieux  Raymon  ,  celui  qu'aux  pâturages 
N'osaient  pas  attaquer  les  loups  les  plus  sauvages  , 
La  nuit  ,  quand  pour  goûter  les  charmes  du  repos  , 
Les  bergers  le  laissaient  gardien  des  troupeaux. 
Quel  instinct  put  apprendre  à  l'animal  fidde 
Que  déjà  sur  Edward  la  mort  ouvrait  son  aile  ? 
>ul  ne  le  sait ,  enfants  ,  c'est  un  sublime  instinct. 


—  g;j  — 

Ils  disparurent  donc  à  l'angle  du  chemin. 
F.ongliMnps  la  jeune  fille  accoudée  aux  treillages 
Regarda  s'élever  en  fantasques  nuages 
La  pondre  que  leurs  pieds  avaient  lancée  au  vent  ; 
Son  œil  fixe  et  rêveur  dans  ce  prisme  mouvant, 
Inonde  de  rayons  comme  un  palais  de  lees  , 
Semblait  chercher  encor  l'ange  de  ses  pensées. 
Des  craintes  l'assiégeaient.  Sans  motif,  sans  raison  , 
Elle  eût  voulu  qu'Kdward  n'eût  pas  quitté  Luchon. 
Elle  aussi  ,  n'écoutant  que  son  instinct  de  femme  , 
Freesentait,  redoutait  quelque  terrible  drame. 
Or  ,  ces  vagnes  tourments  ,  ce  précoce  regret, 
Enfants  ,  du  Seigneur  Dieu  sont  un  avis  secret. 
Croyez-en  mon  grand  âge  ,  auquel  l'expérience 
Sait  faire  apprécier  la  joie  et  la  ^ouflVancc. 
De  même  l'ak^yon.  aux  hardis  matelots 
Annoiii-e  la  tempête  en  elilcuranl  les  eaux- 


Vuur  la  lilie  des  munts  les  heures  s'ecoulerent 
iBien  tr'sles.  Quels  ennuis  !  que  de  larmes  coulèrent 


—   GG  — 

Sa  pauvre  âme  luttait.  Ces  mille  cmoliuns  , 

Ces  vifs  élans  d'un  cœur  rempli  de  passions  , 

L'ardente  soif  d'amour  qu'au  matin  de  la  vie 

La  créature  sent  et  le  monde  renie  , 

Le  charme  qu'on  éprouve  au  contact  frémissant 

D'un  être  comme  soi  ,  jeune  ,  bon  ,  innocent  , 

Le  cri  de  la  nature ,  et  cette  sainte  ivresse 

Où  nous  plonge  à  vingt  ans  la  première  caresse  , 

Et  tous  ces  doux  propos  qu'il  lui  semblait  encor 

Entendre  à  son  oreille  ,  et  ces  beaux  rêves  d'or  , 

Ces  rêves  de  plaisirs  qu'un  sourire  fait  faire  , 

Cet  attrait  enchanteur  du  vague  ,  du  mystère  , 

Tout  cela  la  troublait  ,  la  pressait ,  l'entraînait  ; 

Le  plus  léger  remords  alors  l'abandonnait , 

Et  dans  son  sein  couraient  comme  des  jets  de  flamme 

Des  désirs  inconnus.  L'amour  est  le  dictame 

Que  Dieu  nous  a  donné  contre  les  plus  grands  maux. 


Mais  bien  \ite  ,  timide  autant  que  ses  agneaux  , 
lîR-n  vile  elle  un  ail  peur  de  >a  tendresse  même 


Qu'a\yit-elle  promis?  Quel  abandon  sii|irènK   ' 
Renier  la  vertu  ,  c'était  presque  mourir  , 
C'était  voiler  le  Christ,  c'était  faire  flétrir 
Ce  lys  de  l'innocence  aux  parfums  si  suaves  ! 
Alors  sa  piété  soulevait  des  entraves. 
Coupable  ,  oserait-elle  aborder  le  saint  lieu  ? 
La  honte  sur  le  front,  comment  contempler  Dieu  ? 
Et  puis  dans  l'avenir  ,  sous  ses  pas,  un  tel  crime 
N'allait-il  pas  creuser  quelque  fatal  abîme  ? 
Et  son  père  ,  son  père  objet  de  tant  de  soins  , 
Voudrait-il  la  revoir  ,  la  recueillir  au  moins  ? 
En  la  montrant  au  doigt,  devant  elle  peut-être 
Du  déshonneur  bientôt  allait  surgir  le  spectre. 


Elle  hésitait  sans  cesse  ;  elle  céda  pourlam. 
«  0  Dieu  des  dieux,  dit-elle,  ô  toi  Dieu  juste  et  grand, 
((  Qui  par  besoin  d'amour  formas  la  créature  , 
«  Peux-tu  le  regarder  comme  une  chose  impure  ? 
«  Esl-ce  vrai  que  chez  nous  il  t'inspire  l'horreui'  ? 
«  Navons-iious  pas  au  cœur  un  reflet  de  Ion  cœur  ? 


—  68  — 
«  Quand  il  >etit,  (jiKitul  il  lut,  (iiiaïul  il  aime  a\t'C  force, 
«  Esl  on  souille  par  lui  ?  C'est  ta  loi  (jui  nous  force. 
«  l/amour  est  tout  l'hymen  si  l'amour  ot  réel. 
<«  .l'aime  comme  autrefois  aimaient  les  sœurs  d'Abel  , 
«  Qui  n'avaient  pas  île  lemi)leit  de  cérémonies. 
'«  hst-il  possible  ,  o  Dieu  .  ({ue  nous  s()yons  punies 
«  Dans  ton  éternité  ?  Voi^  ,  je  verse  des  pleurs , 
'<  Je  crains  de  t'offenser     le  monde  a  des  rigueurs.... 
"  Le  monde....  penses-tu  comme  pense  le  monde  ? 
«<  li^st-ce  mal  que  d'aimer  ?  Que  ta  voix  me  confonde  ! 
t<  Non  ,  non  ,  je  veux  livrer  mon  âme  a   son  penchant. 
K  L'oiseau  fait  resonner  les  bosquets  de  son  chant , 
"  Il  aime  ,  il  obéit  ;  la  graine  que  l'on  sème 
"  Pousse  et  devient  un  arbre  ,  elle  obéit  ,  elle  aime  : 
"  Lt  si  j'aime  à  mon  tour  et  si  je  l'obeis  , 
a  Si  je  cède  aux  instincts  qu'en  moi  ton  Verbe  a  mis  , 
«  .Moi,  moi  seule,  Se  gneur,  je  deviendrais  coupable  !.. 
<f  Ton  idée  est  en  nous  nécessaire  ,  immuable  , 
«»  L'amour  également  est  en  nous.  Sans  terreur 
"  On  peut  donc  savourer  les  délices  du  cœur  ; 
"  Qu'il  \ienne  donc,  Edward,  car  je  l'aime...  je  l'aime 
"  Qu'il  vienne  réclamer  cet  abandon  suprême  , 


♦iO 


a  Oh  !  qu'il  vienne  !  Et  vidant  la-  coupe  du  plaisir  , 
«  Nous  nous  croirons  encor  dignes  de  te  bénir  !  !  » 


Ainsi  réfléchissait  l'enfant  delà  nature. 
Elle  croyait  tout  pur  parce  qu'elle  était  pure  ; 
Elle  n'écoutait  rien  qu'un  noble  sentiment  ; 
Et  dès-lors  ,  confiante  au  Dieu  bon  et  clément  , 
Elle  voulait  agir  sans  trembler  ,  sans  combattre. 
Société  farouche  ,  implacable  marâtre  , 
C'est  toi  qui  fais  le  crime  en  mettant  ici-bas 
Des  inégalités  que  Dieu  n'établit  pas  ! 


Vous  dirai-je  d'Irma  toute  l'impatience  ? 
Vous  dirai-je  comment  la  crainte  et  l'espérance 
La  tinrent  en  émoi  jusqu'à  la  fin  du  jour  ? 
L'attente  est  bien  cruelle  à  qui  brûle  d'amour. 
Elle  eût  voulu  hâter  l'astre  de  la  lumière  ; 
l'.lle  allait  cl  venait  ;   a  la   moindre   poussière 


—  70  — 

Oui  fin  \al  (lu  Larboiisl  ;>"oleMiil  vtT>  k'^  licux  ,. 
In  éclair  tle  bonheur  jaillissait  de  ses  )eux  ; 
Le  sol  semblait  bouillir  sous  elle,  et  la  vesprétr 
Etait  bien  longue.  Enfin  la  voilà  rassurée. 
Dans  notre  vieux  clocher  ,  dernier  reste  romain 
Les  marteaux  ont  iVappe  quatre  fois  sur  l'airain 
C'est  l'heure  du  retour  i)ar  Edward  desij^nee. 
Aussi  pour  un  instant  tst-clle  résignée. 


Mais  Iheurc  fuil  encor.   l'oignante  émotion  I 
Cn  oiseau  de  malheur  planait  à  l'horizon. 
Edward  n'arrive  pas,  rien  au  loin  ne  se  montre. 
Que  faire  ?  Elle  s'échappe  et  part  à  sa  rencontre. 
Bientôt  elle  a  passé  ce  Cazaril  bâti 
Comme  l'aire  d'un  aigle  au  milieu  du  granit  ; 
Elle  a  laissé  Luchon  ,  reine  de  la  vallée  , 
l'erle  par  l'ancien  lac  sur  ses  bords  déposée  ; 
Déjà  se  dessinait  la  tour  du  Sarrazin  , 
Elle\ovait  déjà  le  rocher d'.Vvcnlin 


—  -/I  — 

Un  bruit EUo  s'arrèn^    l'a  soupçon  la  dovoro  : 

<(  Du  mont  u'otUends-je  point  vibrer  le  flanc  sonore  ? 
«  Écoutons  ,  deux  chevaux  trottent  sur  le  chemin. 
«  Ce  sont  eux.  Ah  !  voici  là-bas  dans  le  ravin, 
«  Sous  le  soleil  couchant  leur  ombre  qui  s'allonge  ! 
«  Mon  Edward  bien-aimé!  ciel!  que  vois-je?  est-ceun  songe? 
«  Bruno,  tout  seul  !  grand  Dieu,  t(|nt  seul!  pourquoi  cela? 
«  Qu'a-t-ildonc  fait  d'Edward  ?  Comme  le  cœur  me  bat! 
«  Dieu  !  pour  le  comprimer  ma  main  toute  tremblante 

«  N'a  plus  assez  de  force »  Et  la  craintive  amante 

Se  rappi'Ue  aussitôt  les   présages  du  jour. 


Au  devant  de  son  frère  elle  avance  ,  elle  court. 
Inquiète  ,  halelanfe  et  le  regard  en  flamme, 

l.t  dans  un  simple  mot  peignant  toute  son  àme  • 

«  Edward? s'écria-t-ellc.  —  Hélas!  répond  Rrima  , 

«  L'étranger  a  péri  dans  les  ondes  d'Oo.   » 

Finiesliî  aveu  1  Le  guide  ignorait  leur  mystèr?. 

Ce  coup  fra,:)pjiit  Iriui  comme  un  cùiip  de  toaueire  ; 


—  lî  — 

rarcille  a\i  jeune  iziird  altcinld'iui  plomb  moitcl 
Knapprennnl  un  fait  si  fatal  ,  si  cruel  , 
Sans  ce  ménagement  qu'au  malhour  on  apporte  . 
Elle  pousse  un  p:rand  cri  ,  hélas  !  et  tombe  morte. 


O  mes  enfants  ,  pour  li^ ,  pour  ce  pauvre  Raymoii 
Quel  pénible  chagrin  !  Sa  fille  à  la  maison  , 
Au  travers  du  village  et  d'une  foule  amie  , 
Par  Bruno  fut  portée  encore  évanouie. 
C'en  est  fait.  Le  bonheur  va  déserter  ce  toit 
Où  depuis  si  long-temps  il  présidait  en  roi. 
Plus  de  rire  joyeux  ,  plus  de  joyeuse  fête  1 
Sous  le  poids  du  destin  il  faut  courber  la  tête. 
Tout  sera  désormais  et  solitude  et  deuil  ; 
La  bruvère  et  la  ronce  ombrageront  le  seuil.  »  — 


Et  1.'  vi«'illard  se  tut.  Sa  parole  attendrie 
Avait  desaudileiU'S  gag!jé  la  sympathie. 


—  &  0  père  ,  dis-je  alors,  ne  sait-on  jjas  cominoiit 
Dans  ce  lac  si  limpide  avait  pu  choir  l'amant  ? 


—  Il  voulait  pour  Irma  cueillir  la  lleur  sauvage. 
Vous  savez  qu'un  esquif  doit  servir  au  passage  : 
Il  préféra  tout  seul  suivre  l'étroit  sentier  , 
Qu'ont  tracé  tout  autour  les  pas  du  ciievrier  ; 
El  pendant  qu'il  cherchait  à  saisir  une  plante  , 
De  la  rive  escarpée  une  roche  mouvante 
Avec  elle  entraîna  lo  jeune  audacieux, 
lïélas  !  dans  cette  mer  si  voisine  des  cicux 
L'onde  est  si  froide  et  puis  le  bord  est  si  mobile  ! 
Or  Edward  de  nager  ignorait  l'art  utile. 
En  vain  il  se  roidit  ,  en  vain  il  appela  ; 
Avant  qu'on  l'eût  oui  tout  son  sang  se  glaça  ; 
Et  quand  le  batelier  voguant  à  tonte  rame 
L'atteignit  à  la  fin  ,  ce  fut  un  corps  sans  anie. 


—  0  père  ,  dites-nous  qut^l  champ  d'égalité 
A  re^'U  sa  deponille. 


—  74   — 

—  On  vint  de  la  rite 
Où  Clémence  est  célèbre  ,  avec  pompe  le  prendre. 
Je  ne  sais  si  c'est  là  que  repose  sa  cendre. 
Sans  doute  ,  en  sa  patrie  au  ciel  toujours  brumeux  , 
On  le  joignit  plus  tard  à  ses  nobles  aïeux. 


—  Et  la  fille  des  monts  après  que  devint-elle  ? 


—  Quoi  !....  ce  qu'elle  devint?  A  la  voûte  éternelle 
Son  étoile  fila  ,  car  ,  bien  avant  le  corps  , 
Son  esprit  descendait  au  royaume  des  morts. 
Oui  ,  mes  enfants  ,  Irma  ,  la  vierge,  devint  folle. 
Folle  !....  comprenez-vous?  Elle  ,  l'amour ,  l'idole  , 

L'espoir  du  vieux  Raymon folle  !  Jamais  vos  yeux 

Ke  verront  ici-bas  père  plus  malheureux. 
Prêtpz-moi  derechef  une  oreille  attentive. 


-^zy- 


Vous  avez  remarqué  la  tendre  sensifhe 
Frissonnant  sur  la  tige  au  contact  de  vos  mains  ; 
La  passion  de  même  agite  les  humains. 
Irma  passa  la  nuit  dans  un  complet  délire. 
Le  temps  de  son  sommeil  fut  pour  elle  un  martyre  , 
Elle  à  qui  chaque  soir  ,   avant  cet  accident  , 
Les  anges  apportaient  un  rêve  bienfaisant  : 
Du  moins  on  r.'iurail  cru  .  car  ,  lorsque  son  vieux  pere^ 


—  IS  — 

Quelquefois  au  milieu  de  l'ombre  et  du  mvitere  , 
De  sa  couche  entrouvrant  les  pudiques  rideaux  , 
Son  allait  épier  un  précieux  repos  , 
D'usage  Irma  dormait  comme  dort  linnocence  ; 
Son  front  était  plus  pur  qu'un  matin  de  Provence  , 
Kt  son  souffle  plus  doux  que  la  brise  dCs  mers. 
I)irai-je  de  Raymon  lou>  les  tourments  amers? 
Voir  pleurer  ,  voir  soulïrir  l'être  que  l'on  rev<re.... 
lour  sentir  cette  peine  il  faut  un  cœur  de  père. 
Il  soupirait  tout  bas  ,  il  suppliait  le  ciel 
D'éloigner  au  plus  tôt  ce  calice  de  fiel. 
Vieillard  infortuné  !  Mais  l'astre  de  lumière 
Recommença  tout  seul  sa  brillante  carrière, 
Et  pour  l'esprit  d'Irma  la  nuit  régna  toujours. 
La  \ierge  était  bien  folle  ,  oui  ,  folle.  El  les  Amour- 
Causèrent  tout  cela  !! 


Depuis  celte  occurrence 
agiter  l'existence. 
Sa  folie  était  tri't'te  et  tranquille.  Un  .seul  mot 


—  79  — 

En  son  ànie  semblait  éveiller  un  écho  : 

Edward  ,  Edward.  Ce  nom  frappait-il  son  oreille  , 

Elle  se  ranimait  ;  une  couleur  vermeille 

Rendait  à  son  visage  un  éclat  passager  : 

«  Edward  ?....  vous  l'avez  vu  le  superbe  étranger  ? 

«  Disait-elle.  Ecoutez...  Edward  s«r  la  pelouse 

«  Avait  juré  qu'Irma  deviendrait  son  épouse  ... 

«  Ils  sont  ailes  au  lac,  Edward  suivait  Bruno.  .. 

«  Mais  il  a  préféré  la  paysanne  d'Oo  , 

u  II  a  voulu  rester.  Edward  est  avec  elle  , 

«  Il  doit  l'aimer,  il  l'aime,  il  la  trouve  plus  belle.... 

«  Edward  ?...  Vous  l'avez  vu  ?  Dites-lui  qu'il  m'aima 

«  Et  que  je  l'aime  encore....  Edward  est  pour  Irma  ; 

«  De  l'hymen  pour  moi  seule  il  tient  le  diadème.... 

«  Allez  donc  ,  vous  ,  allez  lui  dire  que  je  l'aime  ; 

«  Edward  n'a  point  péri  dans  les  ondes  d'Oo  , 

«  Puisque  vous  l'avez  vu....  Courons  au  bord  de  Wixii 

«  Le  chercher  !!  »  Et  la  vierge  alors  vers  les  montagnee 

Voulait  se  diriger. 


—    8(J  — 

Sutivcnt  a  ses  conipugne.'^ 
Eîle  allait  se  inéler.  Elle  leur  redisait 
Ces  mots  d'amour  qu'Edward  naguère  lui  disait  ; 
Puis,  gazelle  du  Tell  qu'un  peu  d'ombre  effarouche 
Elle  s'enfuyait  vite  ,  et  le  doigt  sur  sa  bouche, 
Connue  si  ,  tout-à-coup  paraissant  à  ses  yeux  , 
Edward  lui  reprochait  de  semblables  aveux. 
D'autres  lois  de  Raymon  partageant  l'e.-cabe'.le  , 
Elle  lui  demandait  si  sa  fille  était  belle  , 
Si  c'était  vrai  qu'au  lac  les  bergers  avaient  vu 
La  rivale  d'Irma  ,  s'il  avait  entendu 
Les  doux  propos  d'Edward,  Alors  le  pauvre  père  , 
Retenant  une  larme  aux  cils  de  sa  paupière  , 
Trompant  par  un  soupir  un  serrement  de  cœur  , 
L'écoutait  et  rêvait  un  retour  de  bonheur. 
Et  lorsque,  du  Mylord  répétant  les  tendresses. 
Elle  appelait  Edward  ,  Edward  et  ses  caresses  , 
Le  vieillard  malheureux  la  pressait  sur  son  sein, 
La  couvrait  de  baisers,  la  suppliait  en  vain 
De  le  voir,  de  l'entendre  :  o  0  ma  fille  ,  ma  fille  , 
<(  Pauvre  lys  des  vallons  tombé  sous  la  faucille  , 
«  Pauvre  ange  que  le  ciel  n'a  repris  qu'à  moitié  , 


—    M    — 

f(  De  iluyinoii  ,  de  luii  i>ci'e  à  la  fin  prends  pilié. 
<(  O  ma  iille  ,'  reviens  ,    lua  tille  bien-ainiée.  !  o 
Et  la  vierge  à  ces  mots  ,  radieuse  el  charmée  , 
S'éveillait  comme  an  bruit  de  célestes  accords  ; 
Son  esprit  ,  éloulïé  sous  le  linceul  des  morts  , 
D'un  éclair  de  raison  recevait  la  lumière  ; 
Elle  semblait  revi\re  ,  elle  embrassait  son  père  , 
Et  d'un  instant  de  joie  enivrait  le  vieillard. 
Mais  hélas  !  revenait  le  souvenir  d'Edward. 
Fatalité  !  Ravmon  perdait  encor  sa  fille  !  — 
Ainsi  la  pâle  lune  ou  s'obscurcit  ou  brille  , 
Selon  que  deN  ant  elle  un  nuage  est  placé  , 
Ou  (pie  par  l'ouragan  le  nuage  est  chassé  ! 


Oh  !  vous  n'auriez  [)as  cru  que  c'était  la  folie  1 
C'était  plutôt  un  rêve  ,  une  mélancolie  : 
Surtout  quand  vers  la  Pique  elle  portait  ses  pas. 
Les  gazons  desséchés  au  souffle  des  frimas 
Craquaient  sur  son  passage  ;  et  ces  notes  étranges  , 
ÏMus  ([u'aux  pieux  élus  les  hymnes  des  archanges, 


—   82  ~ 

Procuraient  a  ton  âme  un  mystique  plaisir. 
Leur  froissement  pour  elle  était  un  souvenir  ; 
Vous  le  savez  :  c'est  là  qu'elle  fit  sa  promesse  , 
C'est  là  que  le  Mylord  lui  dit  ces  mots  d'ivresse  , 
Ces  mots  de  volupté  que  sa  faible  raison 
Nous  répétait  toujours.  Et  puis  de  la  maison 
Lorsqu'elle  reprenait  la  route  tant  connue  , 
Gravement ,  lentement  ,  l'épaule  demi-nue  , 
Fixant  sur  le  terrain  son  œil  limpide  et  noir  , 
Comme  pour  y  chercher  quelques  lignes  d'espoir  ; 
Et  de  ses  longs  cheveux  ,  parure  de  Bacchantes  , 
Laissant  flotter  sans  frein  les  boucles  ondoyantes.... 
On  eût  dit  la  Druidesse  au  sein  de  la  forêt , 
Allant  pour  nos  aïeux  cueillir  le  gui  sacré. 
Et  lorsqu'elle  passait  à  travers  le  village  , 
Les  habitants  disaient  :  Pauvre  Irma  I  quel  dommage 
Et  l'un  d'eux  chaque  fois  la  prenant  par  la  main  , 
Et  lui  parlant  d'Edward  ,  de  son  retour  prochain  , 
Sous  le  toit  de  Raymon  ramenait  l'insensée. 
Elle  trouvait  les  fruits  de  sa  vertu  passée  : 
Chacun  plaignait  ,  chacun  environnait  d'égards 
CcHg  qui  secourut  longtemps  les  montagnards. 
'    Sollicitude  ainiiiMe  1   Amiable  rccompensc  ! 


—   83  — 

Un  j»tur  Ja  vierge  avait  un  accès  de  démence. 
A  peine  la  fauvette  aux  accents  matineux, 
Sous  des  ifs  que  le  lierre  enlace  de  ses  nœuds  , 
Avait  elle  annoncé  l'aurore  ;  les  collines  , 
Sur  un  fond  encor  noir  ,  de  franges  purpurines 
A  peine  se  bordaient  ;  le  berger  ,  les  troupeaux, 
Et  le  soc,  et  les  bœufs,  tout  était  en  repos, 
Irma  ,  la  tendre  Irma  ,  déserte  sa  demeure 
Sans  qu'on  puisse  la  voir  ,  sans  que  sa  robe  effleure 
Le  chevet  de  son  père.  Elle  court  ,  elle  fuit  ; 
Mais  le  chien,  qui  l'a  \uo,  heureusement  la  suit. 
Elle  court  vers  le  lac,  et  l'animal  fidèle 
Ainsi  qu'un  protecteur  se  tient  toujours  près  d'elle. 
Une  heure  après  l'alarme  est  donnée  ,  et  Raymon 
Part  avec  ses  valets.  Ce  fui  à  Castillon 
Qu'ils  trouvèrent  la  vierge.  A.ssise  sur  la  pierre  , 
Triste,  le  front  baissé  comme  un  ange  en  prière  , 
Cédant  à  la  fatigue  ,  au  froid  ,  à  la  douleur  , 
Et  pressant  sur  son  sein  le  reste  d'une  fleur , 
De  celte  simple  fleur  qu'Edward  avait  donnée  . 
Dans  une  extase  immense  elle  semblait  plongée; 
Et  le  chien  devant  elle  .  avec  de  faibles  cris  , 


Altonlil'  ,  iiiquiel  ,  léchait  sis  pieds  inciirlris 

Tableau  doux  et  touchant  !  Ilélas  !  je  me  rappelle 
Je  crois  la  voir  encor,  si  modeste  et  si  belle, 
Quand  on  la  ramena  sur  un  rustique  char  . 
Comme  un  rayon  du  ciel  nous  jeter  un  regard  !! 


Ainsi  passa  l'hiver.  Dans  tout  notre  \illap;ê, 
Depuis  son  infortune  on  l'aimait  davantage  ; 
Et  les  petit>  enfants,  pour  présider  leurs  jeux  , 
L'appelant  notre  sœur  l'emmenaient  avec  eux. 
On  savait  respecter  la  timide  insensée 
Et  la  chérir.   Malhair  à  qui  l'eût  oifensée  .' 
De  son  âme  si  Dieu  relirait  la  raison  . 
Il  lui  laissait  un  cœur  toujours  pur  ,  toujours  j)on 
Car  ,  malgré  sa  folie   elle  savait  encore 
Donner  aux  indigents  que  le  besoin  dévore  ; 
Et  tous  les  indigents  étaient  ses  protecteurs.... 
Ainsi  passa  l'hiver  ,  hiver  plein  de  rigueurs  , 
Hiver  qui  de  tous  deux  brisait  la  destinée. 
La  Aie  est  une  fleur  ,  elle  est  \ile  fanée  ! 


*^i2a. 


Le  malheur  ,  mes  enfants  ,  disperse  les  amis. 
A  celte  horrible  loi  nous  sommes  tous  soumis  , 
Tous,  et  vous  en  ferez  un  jour  l'expérience. 
.Néanmoins  par  pitié  pour  sa  grande  souffrance  , 
Personne  de  Raymon  ne  déserta  le  toit. 
C'est  que  personne  aussi,  d'avoir  le  cœur  étroit 
IS'aurait  pu  l'accuser  :  tant  de  fois  sa  richesse 
Avait  de  ses  voisins  secouru  la  détresse  ; 


-     8S   — 

Lui-iiiùinc  tant  de  fois  ,  devinant  leurs  besoins  , 
Leur  avait  apporté  de  l'argent  sans  témoins. 
La  bourse  est  le  creuset  où  l'amitié  s'éprouve; 
Le  bienfait  qui  se  cache  est  le  seul  que  j'approuve. 
Or,  dès  que  les  bluels  au  milieu  de  nos  champs 
Annoncèrent  enfin  le  retour  du  printemps  , 
Ses  amis   avec  lui  pour  un  pèlerinage 
Gagnèrent  d'Averilin  le  modeste  village. 
Ils  pensaient  qu'au  moment  où  les  airs ,  et  les  bois, 
Et  l'insecte,  et  les  eaux  forment  leur  mille  voix 
A  chanter  le  Seigneur  ,  où  chaque  créature 
Et  proclame  et  bénit  l'auteur  de  la  naUire  , 
S'ils  mêlaient  leur  prière  à  ce  concert  pieux  > 
Leur  prière  plus  noble  arriverait  aux  cieiix. 


Raynrwn  était  jaloux  de  la  foi  de  ses  pères. 
S'il  eut  vu  cette  époque  où  les  divins  mystères 
Et  l'explication  des  rites  et  des  lois  , 
Et  le  grand  sacrifice  achevé  sur  la  cioix 


—  89   — 
So  cck'biaicnl  Ui  nuit  ,  an  foiul  doî-  cdlacombe'-  , 
Kiilie  des  condaniiiés  et  de  réceiilcs  lombes  , 
\a\\,  bénissant  la  main  qui  l'aurait  fait  mourir  , 
De  sa  religion  fv'it  devenu  martyr. 
De  même  ses  amis.  Mes  enfants  ,  que  vos  imies 
D'une  telle  piété  gardent  les  saintes  flammes  , 
Ayez  toujours  la  foi.  C'est  chez  nous  ,  sur  nos  mont? 
Que  l'ange  catholique  a  fui  les  noirs  démons  j 
C'est  chez  nous  que  survit  l'ardeur  des  premiers  âges 
Et  les  pas  de  l'impie  ignorent  nos  villages. 
Cne  simple  prière ,  un  battement  de  cœur  , 
Mieux  que  tous  les  plaisirs  procure  le  bonheur. 
Restez  toujours  pieux  ;  laissez  les  gens  du  monde 
Chanter  dans  les  festins  lorsque  l'orage  gronde  , 
Rire  comme  Satan  ,  déchirer  le  missel  , 
Kt  sans  courber  le  front  passer  devant  l'autel  ; 
Ils  pleureront  plus  tard  ,  attendez  leur  vieillesse. 
On  se  souvient  du  ciel  aux  heures  de  détresse  ; 
Et  vous  tous  ,  ,qui  céans  m'écoutez  en  ce  lit  u  , 
Si  vous  avez  souflerl  .  vous  devez  rmire  en  Diei.i- 


—  00   — 

Ils  parlent  donc  eiisenible.   Us  portent  pour  oUViwules 
IHi  miel  dans  un  panier  entouré  de  guirlandes  , 
Uu  agneau  parmi  cent  pour  sa  blancheur  choisi, 
Et  qui  la  veille  encor  sur  le  gazon  fleuri, 
Bondissait  en  bêlant  tout  autour  de  sa  mère  , 
Un  nid  de  passereaux  que  dans  Superbagnère 
Un  pâtre  de  Raymon  sous  des  sapins  touffus 
Était  allé  ravir  aux  parents  éperdus  , 
Des  œufs  ,  du  lait  bien  frais  en  un  vase  de  marbre  , 
Deux  palombes  des  bois  tt  deux  brins  de  cet  arbre 
Qu'avant  Pâques  ,  le  prêtre  avec  pompe  bénit. 
Dieu  préfère  les  dons  que  la  terre  fournit. 
Au  pied  du  saint  autel  ils  mettent  leur  richesse  , 
Et  l'auguste  pontife  y  célèbre  la  messe. 


Ensemble  à  deux  genoux  ils  implorent  le  ciel  ; 
Ensemble  dans  leurs  mains  ils  élèvent  le  miel, 
Et  les  brins  de  laurier,  et  les  douces  palombes  , 
Et  le  lait,  et  l'agneau.  .Myslicjues  hécatombes  !1I 
Jamais  hyume.'-  plu^  purs  vers  le  trône  de  Pieu 


i 


?>e  montèrent  en  cliœur  de  ce  inoile:-te  lieu  ; 
Jamais  pour  se  signer,  dans  la  conque  d'eurite. 
Pèlerins  plus  fervents  n'y  privent  l'eau  bénite. 
Lt  le  bœuf  du  portique  ,  œuvre  des  premiers  arts 
Et  la  cliùsse  qui  voile  aux  profanes  regards 
Les  ossements  du  Saint ,  et  sous  l'antique  voûte 
La  lampe  expiatoire,  à  leurs  accents  sans  doute 
Tressaillirent  de  joie  1... 


Apres  que  le  cure 

eut  lu  l'évangile  sa 
Raymon  en  essuyant  quelques  furtivcs  larmes  , 
Raymon  pria  :  «  Grand  Dieu  ,  toi  qui  vois  mes  alarmes, 
((  Dit-il  ,  dont  la  splendeur  fait  pâlir  ks  soleils  , 
c(  Toi  dont  le  bras  est  fort  ,  toi  que  les  flots  vermeils, 
"  Et  le  simoun  qui  brûle,  et  l'éclair  des  orages  , 
«  Et  l'espace  .et  nos  pics  ,  et  nos  gouffres  sauvages 
«  Ont  proclamé  si  grand  ;  toi  qu'un  nid  de  gazon  , 
«  Une  larve  d'insecte  a  proclamé  si  bon  , 
('  Père  qu'on  dit  veiller  sur  toute  la  nature  . 


—  9i  — 

'<    ^L■lnlt'll^a^-lu  longtemps  les  douleurs  que  j  endure  ? 

«  Si  j'ai  commis  un  crime  ou  transgressé  ta  loi  , 

«  IHuiis-moi ,  juste  Dieu  ,  mais  ne  punis  que  moi. 

«  Laisse  ma  pauvre  enfant  ,  au  banquet  de  la  vie 

«  S'asseoir,  comme  ses  sœurs  radieuse  et  ravie  ; 

«  Daigne  de  sa  raison  rallumer  le  flambeau  : 

"  Sans  cela  l'existence  est  pire  qu'un  tombeau. 

«Oh  1  rends-moi  mon  Irma,  grand  Dieu ,  rends-moi  ma  fille, 

«  Et  les  premiers  épis  tombés  sous  la  faucille  , 

«  Et  les  premiers  raisins  du  pampre  détachés  , 

M  Et  les  premiers  boutons  au  bord  du  pré  fauchés 

a  Te  seront  tous  les  ans  apportés  en  offrande  ; 

«  Fais  que  pour  la  guérir  ton  Esprit-Saint  descende. 

«  0  grand  Dieu,  m'entends- tu?  Prends  pitié  de  mes  maux 

«  El  vous  ,  Aventin,  vous,  patron  de  ces  hameaux  , 

«  Vous  qui  fites  souvent  des  miracles  insignes  , 

«  Intercédez  pour  nous  si  nous  en  sommes  dignes; 

0  Acceptez  ces  présents  ,  gages  de  notre  amour  ; 

«  Et  là-haut  ,  près  de  Dieu,  donnez-nous  en  retour 

«  Votre  protection.  Rendez  à  ma  vieillesse 

«  Mon  Irma  ,  mon  -îOUlicn  ,  mon  unique  lendres:re!î  «^ 


—  î)3  -> 

Le  père  alors  au  ciel  levait  ses  bras  treinblaiils  ; 
Et  de  l'autel  rustique  avec  ses  cheveux  blancs 
il  essuyait  la  marche  ;  et  sa  sainte  prière, 
Que  ses  pieux  amis  ,  le  front  dans  la  poussière  , 
Hépétcrent  en  chœur  ,  au  milieu  de  l'encens  , 
iMonta  jusques  au  seuil  des  porches  éclatants. 
La  les  pieds  du  Seigneur  posent  sur  des  étoiles. 
Derrière  leurs  rayons,  impénétrables  voiles, 
U  se  cache  aux  humains  ;  mais  l'œil  des  bienheureux  , 
Sans  en  être  ébloui,  voit  à  travers  ces  feux. 
Le  Seigneur  entendit  ces  cris  de  la  détresse  ; 
Et  cependant  helas  !  l'arrêt  de  sa  sagesse 
Fut  contraire  à  Raymon.  Le  Seigneur  aima  mieux 
D'un  ange  d'ici-bas  faire  un  ange  des  cieux. 
L'église  d'Aventin  fut  témoin  d'un  miracle  : 
Les  amis,  tout-à-coup,  devant  le  tabernacle 
Virent  descendre  un  être  au  regard  doux  et[tur, 
Aux  grandes  ailes  d'or  ,  dont  la  robe  d'azur  , 
Flottant  comme  la  gaze  au  front  des  fiancées  , 
Etalait  de  l'iris  les  franges  nuancées. 
Lambre  ([ue  l'Arabie  a  forme  dans  son  sem  , 
La  niNirhe  du  Carmel  ,  l'aubépine,  le  thym 


-  94  — 

ÎS'otit  pas  tous  les  parfums  qu'exhalait  sa  presince. 
Les  montagnards  éraus  l'admiraient  en  silence. 
Dieu,  pour  récompenser  tant  de  dévotion  , 
Avait  permis  pour  eux  cette  apparition. 
Le  cœur  du  vieux  Raymon  sautait  dans  sa  poitrine 
Que  va  lui  révéler  cette  bouche  divine  ? 
Est-ce  de  son  Irma  la  délivrance?  Ou  bien 
Lui  va-t-elle  annoncer  son  trépas  et  le  sien  ? 
Il  espère  ,  il  attend.  Mais  l'envoyé  céleste 
A  lu  dans   son  esprit.  Avec  un  noble  geste  , 
«  Ta  fille  ,  lui  dit-il  ,  sera  sœur  d'Uriel  !  » 
Puis  il  reprit  son  vol  en  lui  montrant  le  ciel.  »  — 


Le  vieillard  s'arrêta,  son  docile  auditoire 
Attendait  en  émoi  la  fin  de  cette  histoire. 
Tous,  je  crois,  pour  sauver  la  fille  de  Raymon  , 
D'une  part  de  nos  jours  eussions  fait  l'abandon. 


1 


Avez  vous  comme  nous  ,  seuls,  à  pieil  et  sans  guide, 
Gravi  du  lac  d'Oo  la  montagne  rapide  ? 
Avez- vous  du  sommet  de  ce  roide  chemin 
Promené  le  regard  sur  l'immense  lointain  ? 
Avez-vous  entendu  mugir  la  cataracte  ? 
Pendant  que  de  frisson  \olre  chair  se  contracte  , 
Sur  l'abîme  penchés  et  tremblants  de  terreur , 
Des  gouiïres  avez-vous  sondé  la  profondeur  ? 

9 


—  98  — 

Et  puis  pour  abi'é{>erla  route  qui  serpente, 
Comme  un  boa  couché  sur  les  flanc>  de  la  pente  . 
Avez-vous  traversé  ces  monceaux  de  cailloux 
Que  votre  pied  détache  et  qui  roulent  sous  vous? 
Et  puis  ,  lorsque  pour  prix  d'une  s^  grande  peine 
Et  la  chute  et  le  lac  ,  merveilles  de  la  chaîne  , 
Apparaissent  enfin  à  vos  yeux  étonnés  , 
Vous  êtes-vous  assis  sur  les  gazons  fanés  . 
Et  passant  le  mouchoir  sur  votre  front  eu  nage 
Avez-vous  admiré  ?  L'homme  aime  davantage 
Les  biens  qu'il  a  conq»;.-  par  ses  propres  travaux  ; 
Le  plaisir  est  plus  vif  s'il  vient  après  des  maux. 
Laissez  là  vos  juments  ;  pour  le  joyeux  touriste 
La  course  a  plus  d'attraits.  Peintre  ,  naturaliste  . 
Musicien  ,  poète  ,  à  ces  antiques  monts 
Peuvent  tou^  demander  quelques  émotions. 


Je  brûlais  de  le  voir  cet  hôte  des  nuages  , 
Qui  lance  des  torrents  ,  qui  nourrit  les  orages  . 
Ce  lac  tant  renommé.  Je  ])ris  pour  compagnon 


—    O'.l    — 

Un  ami  do  Pans  ,  luMilier  de  Hutloii. 
Nous  partîmes  lous  deux  ,  le  bissac  sur  l'épaule 
lU  le  biUou  en  main,  moi  rêvant  à  la  Folle, 
Lui  martelant  la  pierre  vl  l'angle  du  rocher. 
I-a  verte  Salamandre  ,  innocente  au  toucher  , 
Kl  ({ue  le  montagnard  avec  frayeur  évite  , 
Sous  la  ronce  à  ce  bruit  >'enruyait  au  plus  \i(c. 


Quelle  succession  de  tableaux  ravissants  ! 
Tantôt  à  l'horizon  des  fantômes  tout  blancs 
Pour  la  mettre  à  l'abri  des  coups  de  la  tempête  , 
Lèvent  jusques  au  ciel  leur  gigantesque  tête  ; 
Le  chemin,  qui  côtoie  un  double  rang  de  monls, 
Suspend  le  voyageur  sur  des  ravins  profonds  ; 
L'eau  de  tous  les  côtés   descend  avec  murmure  : 
On  la  goûte  vingt  fois,  elle  est  toujours  si  pure  ! 
Au-dessous  de  la  neige  ,   au-dessous  des  forêts 
Sur  l'abrupte  versant  s'échelonnent  des  prés  , 
Ou  presque  tout  le  jour  le  frais  règne  avec  l'ombre.... 
Tantôt  tout  le  Larboust  cl  ses  hameau.\  sans  nombre 


—   100    - 
Se  montrent  à  la  lois  :  Aventin  ,  Castillon  , 
Qu'un  récent  incendie,  agent  du  noir  démon, 
Venait  de  dévorer  ,  et  Cazeaux  dont  le  temple 
De  peinture  naïve   offre  un  naïf  exemple  , 
Et  le  gentil  Oo  ,  village  fortuné  , 
Séjom-que  l'âge  d'or  n'a  pas  abandonné.... 
Panorama  sublime  !  Et  puis  dans  la  science 
Nous  savions  trouver  une  autre  jouissance. 


Là  le  bloc  erratique,  à  nos  regards  surpris  , 
Du  combat  des  Titans  présentait  les  débris  ; 
Là  le  rouge  grenat  ,  l'épidote  ,  le  schiste  , 
Les  phyllades  ,  le  gneis  ,  le  quartz  ,  le  micaschiste 
Tour  à  tour  étalaient  aux  rayons  du  soleil 
De  leurs  riches  cristaux  un  mélange  vermeil. 
Ou  bien  nous  cherchions  sous  la  mousse  et  les  plantes 
D'innombrables  hélix  les  coquilles  luisantes. 
Ou  bien  nous  cueillions,  en  désignant  leur  nom  , 
La  grande  violette  et  le  rhododendron  , 
La  campanule  bleue  et  le  safran  d'automne  , 


—  lot  — 

La  saxifrage  en  loufl'e  et  le  grand  pavot  jaune. 
C'était  un  vrai  plaisir  ;  l'étranger  paresseux, 
Qui  prise  des  chevaux  le  secours  dangereux, 
Ne  l'cprouvîwjaniais.  Ainsi  nous  arrivâmes  , 
Ainsi  d'émotions  s'abreuvèrent  nos  âmes. 


Mais  ces  rocs  aux  tlancsgris  ,  ces  sapins  ebranchos 
Et  par  les  aquilons  à  la  terre  arrachés  , 
Ceseauxqui  dans  tous  sens  roulent, grondent,  s'élancent, 
Ce  lierre  que  les  vents  sur  les  grottes  balancent , 
Ce  froid  entretenu  par  d'éternels  glaciers , 
Ces  abîmes  béants  enlr'ouverts  sous  nos  pieds  , 
Ce  fracas  des  torrents  ,  ces  frémissements  vagues  , 
Ces  bruits  mystérieux  comme  le  bruit  des  vagues  , 
Cette  roule  qui  monte  et  qui  monte  sans  fin, 
De  sommet  en  sommet  ,  de  ravin  en  ravin, 
Cet  aspect  ,  ces  beautés  changeant  à  chaque  cime  , 
N'avaient  fait  qu'annoncer  le  spectacle  subUme. 


VdlCl   l»î    ItM  ,.    ,    .-.(ilul,  ,   «tlltlt  S»'(  (jlcjd  , 

Hohil.  Ii»fj(»i(lr  Itito  (U*  oiukw  d'I'iÇipifiKo  (*)  , 

t.iic  (|iii  loiiriM'R  l»«fi(ii(^(u  pour  «l)r(iMV<5r  lojtHngi'x, 

J'iii  romiiH'  MM  .f.r)ir  H'uvril  nu  |i»»yn  (Irr.  oruriUCf»  , 
Hlllllt....   1VX))I)<|U<-    IKM!":  f|lli    l'ù    llii>-.  (Il   ('0  liOU    , 

Qui  t'o  pIfKMi  r.)  Iifiut.  Quiim)  I(j  ^oufthMlr  hn  ti 

'n^diilt  ou  UtnUiU  l()  f«ol  (lo  Moln^  Vinwv  , 

VMao  ITApril  du  fiifit  (|ui  (huit)  fsii  (liuic,  nMinruixt 

l'.n  odloMnifil  l'i  II  ri'i)  fi  (M'CUM^  Ion  «hIIom  ^ 

l'*ftN!0  HV(»mI  Ir':  rn'iiniMi)iillp-.(|iM-l<|Nr  iiKui^tic  t^nttH  itdlit 

Qui,  piurrt)  lo««  Kiolior^  <:o  fniydnt  un  pii^^ufttt 

l'I  ^rulliuil   r)(f  Ml  {^rilVc,  »  faruU^  Icdi  rlvMfjço  ? 

(M.^<  M(>u<!  i|iil  l'ii  doiuM'  pfiin-  oiiloui'cr  t(5i»  ihuwH 

'lit  ('l^lllllll'l■(l«Mnllnl■.  iiux  ii'pli^  IdUJoUI'^   li|flli('<«. 

l'A'Vi''  pour  Irniliilln    <|u  iimc  !••('   «•uf(»nliU(5 

A  nmw  Mtv  Uii»  UmU  l«  ncilio  lourmnlintî? 
Tu  (luis  Mi'ohl(ui  IhM'  ,  6  Uw  ^\  cUii ,  «d  h' nu  , 

|.iil'.:(|ll  '    r.li(/ll1    l'MVill    VK-mI    IiIiM'I'.  (lillio  I.MM    CIUI    . 


(*)  Uitno   ln|i(iv«  "M  (lu  IdillIttritmiitiMl  Irtc  de  KwHiJr'Jd  M  l(•^  (lO., 
Il  Mil  tdfnK»  (<«r  l'i^pddlMttiiH»  (Im  Iflr  d'I'Iaiildlto  f|Ml  ImI  in^lM»   r»«l    |IHI 
«(<Im1  (Ipo  OMllU^  I.»»»»  (il<iH>9,  Vim  i-Imo  »I«  (l«>t«iU  volt    /«♦  /.'tfiifitlfnir* 
nit  l,no  it'thi,  \m  M   M.  HomI'I*»    '•'   «-ut   fl»»  «KlrtOtHte  »(*"•  rtnlni»».. 

«I    «Kd'lM'sttUf'tW*^, 


l,ors(nrunc  fommo  alniabU»  ol  brilli\fit«Mlo  jii;\re  , 
Sur  la  hanino  l(''p;ôro  cflliMiro  la  surfatH^ 
Ta  oasradr,  dont  l'honnuo  ignore  la  haulour, 
Au  civ]  a  i\\\  ravir  \o  voilo  <lo  vapcin- 
l>«>iil  ollo  r«Mnt'lo|>|>o     un  rayon  ilo  luniim* 
Chaiigo  ri\  ntiago  «lOr  snn  hnniido  poiissiôro  ; 
('l»a«juc  gnnlle  ilovionl  \\n  rulns  ,  un  saphir  ; 
^ous  la  voyous  touvhor  ol  luiro  cl  rebondir  ; 
Kl  loulocla  le  fait  \ine  rare  panne, 
O  lae  ,  Iranquille  nier  ,  Mjon  «le  la  nalure.... 
II»  unMiv  ,  trois  fois  heureux  !  «]ui  pourra  «Nuunie  no^^ 
AilnuriM"  Ion  azur  ,  respirer  ton  air  doux  ! 


.l'ai  (lon«^  v»i  eel  Oo  ,  ce  IhéAlre  du  dran\e. 
Te  souvenir  d'K.dvvanî  y  poursuivit  n\on  Aine; 
Il  me  semblait  encore  o\îïr  le  monlagnar<l. 
F-ooiUons-le  à  préscivl ,  c'est  lui ,  c'e^l  le  Nirillard. 


-^<%r%  ■ 


—  a  Kafant>  ,  ajnulat-il ,  vous  lo?avozsan.^  doute. 
A  cotte  époque  Oo  n'avait  aucune  route  ; 
Dans  la  saison  des  froids  c'était  un  lieu  désert 
Que  les  ours  et  les  loups  fréquentaient  de  concert. 
A  peine  quand  Heurit  la  verte  saxifrage  , 
Pouvait  on  lentement  atteindre  son  rivage, 
Et  le  lac  d'Espingo  ,  les  Quinze  Lac«  Glacés 
Jamais  par  l'elran'^er  ne  furent  visités. 


~   '108   — 

lié  bien  !  malgré  l'obstacle,  Irma  ,  la  pauvre  folle  ., 
Y  parvint  ;  mais  hélas  !  pour  ouvrir  la  corolle 
De  la  fleur  des  tombeaux.  Ce  que  l'ange  avait  dit 
Un  mois  après  le  vœu  ,  mes  enfants  ,  s'accomplit. 


D'Edward,  sans  cesse  Irma  revoyait  le  fantôme. 


<(  11  est  là  ,  disait-elle  ,  Edward.  Le  vois-tu  comna 
«  Il  me  regarde  ?  Il  rit  ,  il  m'apî)elle  ,  il  m'attend. 
«  Père  ,  vois  ,  c'est  Edward  ,  Edv\ard.  Il  m'aime  tant  : 
c(  Et  moi  je  l'aime  aussi  ;  je  suis  sa  fiancée.... 
«  Père,  le  flambeau  luit  ,  la  couronne  est  tressée  , 
<(  Vois...  Nous  allons  au  Lac,  ses  flots  ont  mon  épouv 
«  Ma  rivale  n'est  plus  ,  l'avenir  est  à  nous.... 
a  Vois  ,  vois  ,  c'est  bien  Edward  !  » 


Et  ces  phrases  sans  suite 
Avaient  fait  redouter  quelque  nouvelle  fuite. 


-•  100  — 

Du  guetlail  l'insensée  ,  on  ne  la  quittait  i»a>. 
Vaine  sollicitude  attachée  à  ^cs  i)as  ! 
Devant  Dieu  sa  souffrance  à  la  fin  trouva  grâce  ; 
Le  Dieu  juste,  parla  ,.  les  anges  firent  place. 
Une  nuit....  nuit  fatale  ,  épouvantable  nuit  i: 
Le  chien  du  vieux  Ray  mon  hurla  dans  son  reduil 
Kt  fit  entendre  au  loi»i  des  aboiements  funèbres  ; 
Sur  le  toit  paternel  ,  un  oi?eau  des  ténèbres 
S'abattit  en  chantant  avec  des  chants  plaintif.^  ; 
Im  brise  des  forêts  en  passant  sur  les  ifs 
(îémit;  et ,  toul-à-coup  sortant  d'un  affreux  rê\c 
Ou  son  esprit  voyait  un  noyé  sur  la  grève  . 
L'infortuné  Raymou  éprouva  dans  le  cœur 
Vn  serrement  aigu  ,  présage  d'un  malheui-. 
Oui,  ce  fut  un  malheur  irréparable,  immcnsf. 
Kroutez  .  écoutez. 


Irma  dans  sa  démence. 
A  la  faveur  de  l'ombre  ,  à  travers  le  vallon  . 
f'ne  seconde  fois  avait  fui  de  Luchoji. 

10 


—   110  — 

Or  ,  courant  sans  relâche  et  sans  reprendre  haleine  . 

Pareille  à  ces  wyllis  qu'un  tourbillon  entraine  , 

Avant  qu'à  l'Orient  l'aurore  n'eût  paru  , 

Les  pieds  tout  déchirés  par  le  sentier  ardu  , 

Elle  eut  atteint  le  lac  :  «  Edward  »  —  l'écho  sonore 

Répéta  seul  Edward.  —  «  Ed^^ard  ,  je  t'aime  encore,  i 

—  Encore,  dit  l'écho.  —  «  Me  voici....  ton  Irma.  »  ~ 

Et,  croyant  dans  le  lac  voir  celui  qu'elle  aima, 

Elle  avance  ,  elle  glisse  ,  elle  enfonce  dans  l'onde 

En  lui  tendant  les  mains.  Mais  hélas  !  l'eau  profond» 

Sur  elle  sans  pitié  se  referme  ;  l'azur 

Un  seul  instant  troublé  redevient  calme  et  pur. 

Tout  était  dit.  Silence  ,  obscurité  ,  mystère 

De  leur  triple  linceul  recouvrirent  la  terre. 

Pauvre  vierge  des  champs  ,  ce  fut  là  ton  destin  !!! 


Et  quand  le  vieux  Raymon  arriva,  le  matin, 
Pour  chercher  son  Irma  ,  quand  il  vit  sur  la  rive 
Comme  un  cvp:nc  endormi  sous  son  aile  chélivc  . 


—  111  — 

Flotter  un  corps  ,  quand  lui  ,  lui  son  père  ,  eut  dressé 

Ce  corps  tout  ruisselant ,  inanimé ,  glacé  , 

Quand  il  eut  reconnu  dans  la  main  entrouverte 

Cette  fleur  par  Edward  au  dernier  jour  offerte  , 

Et  ,  séparant  enfin  les  tresses  de  cheveux 

Qui  cachaient  le  visage  à  ses  avides  yeux  , 

Quand  il  eut  appuyé  sur  cette  lèvre  pâle 

Une  lèvre  tremblante 0  surprise  fatale  ! 

Comprenez-vous  ,  enfants  ,  quel  fut  son  désespoir  ? 
Quel  autre  événement  mieux  fait  pour  émouvoir  ? 
Qui  pourrait  l'exprimer  ? 


«  S'écria- t-il ,  Irma  ,  toi  ,  l'honneur  du  village, 

c<  La  rose  des  forêts ,  le  rayon  de  mes  jours  , 

«  Tu  n'es  donc  plus,  Irma  !....  De  toutes  nos  amours 

u  11  ne  me  reste  plus  pas  même  ton  sourire, 

«  Pas  même  ton  regard  ,  pas  même  ton  délire. 

«  Folle,  c'était  beaucoup  ;  morte,  c'est  trop,  grand  Dieu! 

'(  Quel  monstre  ,  quel  démon  t'a  conduite  eti  ce  lieu  ? 


-.  Cet  r:ih\ai\l  de  malheur  ,  est-ce  lui  ?  Dis.  ma  fille, 
Réponds,  vois  à  mes  cils  cette  larme  qui  brille. 
Pitio  pour  ton  vieux  père  ,  Irma  ;  réveille-toi.... 
<i  Lâche  ta  proie  ,  ô  Mort  ;  Christ  ,  viole  sa  loi, 
if  Rends-moi  ma  fille,  ou  bien  que  je  meure  avec  clU;... 
'(  Aveugle  que  je  suis  :  la  tombe  est  éternelle, 
«c  Quand  la  tombe  est  ouverte.  Allons  ,  allons  ,  Rruno, 
«■  Assez  de  cris  ,  partons  ,  quittons  ce  lac  d'Oo. 
((  Puisse  un  volcan  de  feu  jaillir  de  nos  montagnes 
«  Et  le  dessécher  1  Viens  ,  aux  anciennes  compagnes 
u  De  notre  Irma  chérie  ,  allons  dire  ce  soir 
«  De  couper  leurs  cheveux  ,  de  mettra  un  voile  noir  . 
«  D'allumer  pur  l'autel  le  cierge  funéraire  . 
((  De  pleurer  comme  nous.  carP.aymon  n'est  plus  [)iMv.)' 


Kt  Kaymon  ,  et  Bruno,  sur  deux  branches  de  houx, 
Rapportèrent  le  corps  ,  fardeau  pénible  et  doux  , 
•ÏMsqu'au  prochain  village. 


Oh  1  je  crois  encore  être 
\ii  jour  ou  retentit  le  triste  chant  du  prêtre. 


—  H3  — 

Ce  jour-là  le  travail  aux  près  fut  suspendu. 
Pour  suivre  le  convoi  chacun  s'était  rendu  ; 
Chacun  versa  des  pleurs  et  des  pleurs  bien  sincères 
Après  elle  on  eût  dit  tout  un  peuple  de  frères  ; 
Des  lys  et  des  liias  entouraient  son  cercueil  : 
Des  vierges  la  portaient  en  longs  habits  de  deuil  ; 
Les  pauvres  éplorés  l'appelaient  leur  bon  ange  : 
Ce  n'étaient  que  douleur  ,  larmes,  regrets  ,  louange, 
Enfin  on  la  laissa  dans  le  champ  du  repos. 
Et  maintenant  ,  enfants  ,  au  milieu  des  tombeaux 
Cu  cyprès  toujours  vert  vous  indique  sa  place. 
I.  orage  ,  de  ses  pas  a  balayé  la  trace  ; 
Mais  Luchon  garde  encor  son  pieux  souvenir,  »  — 


A  peine  le  vieillard  venait-il  de  finir 
Que  la  foudre  gronda  dans  l'éclatanle  nue  : 
Le  ciel  semblait  sa  joindre  à  l'assemblée  émue. 
De  i'àtre  négligé  les  feux  s'étaient  éteints  , 
Les  verres  devant  nous  étaient  encore  pleins  , 
Tant  on  avait  suivi  cette  touchante  histoire. 

to. 


—  {14 
«  ~  Et  Bruno?  dimes-nous. 


Lui ,  l'habile  chasseur  ,  suspendit  son  fusil. 

^■lll  ne  le  vit  depuis  aflVonter  le  péril  ; 

Et  l'ours  impunément  put  déserter  son  antre. 

Le  chagrin  comme  un  trait  au  cœur  des  homme-  entre. 

Le  chagrin  le  tua.  De  la  mort  de  sa  sœur  , 

Sans  cesse  en  soupirant ,  il  se  disait  l'auteur. 

Il  traina  quelque  mois  dans  la  mélancolie  , 

Puis....  à  celle  d'Irma  sa  toml>e  est  réunie. 


—  Et  Raymon 


—  Accable  de  peine  et  de  malheu 
Baymon  pria  le  ciel  de  finir  ses  douleurs  ; 
Mais  le  Très-Haut  voulut  prolonger  sa  souffrance. 


rs 


—   115  — 

Ilaymon  alors,  du  val  devint  la  Providence  , 
11  donna  tousses  biens  :  les  pauvres  ,  grâce  à  lui  , 
Virent  un  peu  de  joie  habiter  leur  réduit. 
Haymon  a  bien  gémi  ,  bien  soulTert  sur  la  terre  , 
0  mes  enfants  ,  Raymon  dans  sa  longue  carrière 
A  versé  bien  des  pleurs  ,  Raymon  a  bien  souvent 
Appelé  ,  désiré  l'ineffable  moment 
Ou  l'ange  de  la  mort,  qui  sans  doute  l'oublie , 
D'un  coup  d'aile  éteindra  le  flambleau  de  sa  vie. 
Raymon  n'a  plus  qu'un  but ,  ne  forme  plus  qu'un  vœu, 
C'est  de  dire  à  ce  monde  un  éternel  adieu  , 
C'est  d'offrir  au  Seigneur  sa  longue  pénitence 
Va\  expiation  ,  en  prix  de  chaque  offense  ,  . 
C'est  de  rejoindre  Irma  ,  sa  bonne  et  douce  Irma  ; 
De  la  voir  ,  de  l'aimer  de  même  qu'il  l'aima 
^ur  cette  terre....  Irma  ,  tu  me  vois  ,  tu  m'écoutes  , 
N'est-ce  pas  ?  Tu  m'attends  sous  les  célestes  voûtes  , 
0  mon  Irma  chérie  ,  humble  vierge  des  monts  ?  >  — 


Et  comme  le  prophète  au  front  ceint  de  rayons 
Le  veillard  se  dressa.  Des  larmes  abondantes 


Roulèrent  sur  son  sein  -,  et ,  de  ses  mains  tremblantes 
Cherchant  dans  l'angle  obscur  son  bâton  pour  sortir, 
Sur  l'auditoire  entier  qu'il  venait  d'attendrir  , 
Pleine  de  gratitude  ,  il  promena  la  vue. 
Puis  ,  à  moi  dont  la  vie  était  toute  connue  : 
«  Etranger  ,  me  dit-il  ,  toi  que  l'adversité  , 
«  Malgré  ton  front  sans  ride  ,  a  déjà  tourmenté  , 
«  Toi  qui  connais  ,  qui  sens  les  douleur^  de  famille 
f(  Pardonne   mes  sanglots  :    Irma ,       .       .       .       . 


C'était  mu    fille. 


g^^^ggg^rr^'yc- 


L'UNION  DES  ARTISTES 

PRG\:\E  DU  HIDI. 

(  Bureaux  à  TOULOUSE  ,  allée  Louis-Napoléon  ,  32.  ) 

Ikdacleur  en  chef:  Emile Negrin  ,  place  de  la  Pierre  ,  26. 

Dirccleur- Gérant  :  Rocamir  de  la  Torre  ,  allée   Louis- 
Napoleon  ,32. 

Le  but  (le  ce  journal  est  d'inspirer  ,  de  répandre  , 
d'encourager  le  goût  des  beaux-arts  et  des  belles-lettres.  Il 
oflre,  toutes  les  semaines,  une  notice  biographique,  !-oit 
(les  artistes  morts  ,  soit  des  artistes  vivants  de  tout  le 
Midi.  On  y  passe  en  revue  ks  cabine's  et  les  collec- 
tions des  amateurs  .  les  ateliers  et  les  cartons  des  pein- 
tres ,  afin  de  donner  une  idée  des  richesses  artistiques 
(le  cette  partie  de  la  France.  Des  collaborateurs  distin- 
gués ,  M.  Fernand  Ln garrigue  ,  membre  correspondant 
de  l'Institut  ,  Robert-Victor  .  président  de  l'Union  des 
Poètes  de  Paris ,  et  Hippoly  te  Philibert  y  rendent  compte 
de  toutes  les  nouvelles  artistiques  ,  littéraires  et  biblio- 
graphiques. Le  mouvement  et  le  prix  de  vente  des 
r>bjels  d'art  y  sont  consignés.  Des  causeries ,  des  cor- 
respondances parisiennes  ,  des  articles  d'actualité ,  des 
nouvelles  à  la  main  ,  quelques  poésies  inédites  donnent 
à  cette  feuille  toute  la  variété  nécessaire  pour  distraire 
(]es  hautes  questions  d'esthétique.  C'est  la  première  et  la 
|)lus  complète  publication  de  ce  genre  qui  ait  paru  dans 
le  Midi. 

Prix  de  l'abonemext  :  Toulouse  ,  un  an  ,  8  l'r.  ;  six 
mois  ,  D  fr. —  Départements,  un  an,  40  fr.  ;  six  mois. 
G  fr.  —  Étranger  ,  le  port  en  sus. 


LA  RÉFORME   AGRICOLE 

Journal  des  Engrais  et  des  Amendements. 

Rédacteur  en  chef,  ?sérée  Boubée  ,  Ingénieur  agricoU 


La  Réforme  Agricole,  indispensable  à  tout  proprié- 
taire de  terres  peu  fertiles  ,  publie  tout  ce  qui  parait  sur 
les  engrais  ,  amendements,  drainage,  irrigations,  etc.; 
tout  ce  qui  intéresse  les  applications  agricoles  de  la  géo- 
logie ,  de  la  chimie  ,  de  la  physique  ,  de  la  zoologie  , 
de  la  botanique  ,  etc.  Cette  feuille  ,  pour  ainsi  dire  le 
Moniteur  des  fermes ,  est  d'une  véritable  utilité  prati- 
que  pour  les  agriculteurs. 

On  s'abonne  en  France  e 
Libraires  ;  à  Paris,  chez  Eloffe  et  C^,  naturalistes,  four- 
nisseurs des  Musées  ,  Lycées  ,  Séminaires  ,  etc.  de 
France  et  de  l'Etranger,  rue  de  l'Ecole-de-Médecine,  10. 

Prix  de  l'abonnement  :  6  fr.  pour  Paris  et  les  dépar- 
tements ,  7  fr.  pour  l'Etranger. 


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augmentée  et  refondue  ),  1  volume  grand  in-18,  2  fr. 

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^ 


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EMILE    NEGRIN 


CONTES   FRANKS 


PAJUS 

nEtLOOLs  .    i.llinAlKE-tDiTlUfi 


CONTES    FRANKS 


NICE,  TYPOGRAPHIE  f.AMfc.  1861. 


EMlLt:    NEGRIN 


CONTES   FRANKS 


PARIS 

nESLOr.F.S  ,    LienAlRE-ÉDlTEUR 


Ani>i  riu"    loANN 


Chcv  lOiilViTi'  ci  ami , 


\ou'\ ,  oiitiii ,  les  CoîsïKs  Fu\>ks. 

—  Quels  contes  frauks?  lue  direz-vous.  A  Paris, 
au  nionient  île  \o\yc  départ ,  vous  deviez  publier  un 
volume  intitulé  Contks  (V\n.ois.  Fst-ee  ee  même 
volume?  Ce  changement  de  titre  est  il  un  elVei  n^tar- 
dataire  de  la  conquête  des  (laules? 

-  Non,  mailre.  Ne  va  pas  a  f.orinthe  ipii  veut,  et 
on  n'imprime  pas  quand  on  veut. 


J'ai  cru  devoir  diviser  mes  contes  en  deux  séries  : 

D'un  côté,  ceux  du  genre  où  Lafontaine  domine, 
où  ont  brillé  Boccace,  Brantôme,  Marguerite,  D'Ou- 
ville  et  Vergier ,  où  TArétin  et  l'auteur  de  La 
Métromame  ont  commis  des  écarts ,  où  la  langue 
de  Rabelais  et  de  Montaigne  ,  adoucie  par  Marot  et 
par  Voiture,  projette  des  reflets  originaux  ; 

De  l'autie  côté,  ceux  de  ce  genre  sans  spécialité, 
sans  limite ,  sans  règles ,  où  Voltaire  et  Andrieu  ont 
répandu  mille  paillettes,  où  De  Resseguier  et  Viennet 
ont  cueilli  quelques  fleurs,  où  obtient  droit  de  poésie 
tout  ce  qui  est  intéressant. 

Sur  le  seuil  de  ce  dernier  genre,  une  belle  Muse 
est  postée;  elle  crie  «  qui  vive?...  »  aux  vers  légers 
qui  se  présentent ,  et  pourvu  qu'ils  répondent 
«  esprit!...  »,  la  belle  Muse  les  laisse  entrer. 

Mes  Contes  Fra>ks  sont  ainsi  nommés  par  simple 
opposition  a  Cotes  Gaulois;  rien  de  plus.  Si  pierre, 
paul ,  Jacques  Public  leur  conteste  une  valeur  litté- 
raire, ils  ont  au  moins  le  mérite  d'être  nouveaux,  ce 
qui  est  peut-être  quelque  chose  :  tant  de  gens 
aujourd'hui,  vont  chercher  leurs  inventions  dans  les 
recueils  de  vieux  anasî.,. 

Quant  aux  Com-es  Gaulois  ,  ils  font  dans  un  tiroir 
ce  que  l'héroïne  de  Perrault  faisait  dans  le  bois  :  j'ai 
enveloppé  d'une  bonne  feuille  de  papier  gris  la  nudité 


VJI 

de  leurs  hémistiches,  la  gaillardise  de  leurs  césures, 
et  ils  dorment. 

Dormez  votre  sommeil,  grands  hexamètres!  Com- 
bien de  temps  dormiront-ils?  Demandez-le  a  cette 
Déesse  que  les  anciens  représentaient  vêtue  de 
blanc,  tenant  un  sreplre  d'une  main  ,  un  bonnet  de 
l'autre,  et  ayant  auprès  d'elle  un  joug  rompu  avec 
un  chat. 

Que  voulez-vous  î  Je  n"ai  pas  l'avantage  d'êlre 
une  intelligence  servie  par  des  métaux,  comme  a 
failli  dire  De  Bonald ,  en  définissant  les  rentiers. 

Donc,  contentons -nous  des  Contes  Franks.  Ils 
prennent  leur  vol  de  Paris  ;  Paris  daigne  les  patroner; 
bonne  chance  !  0  navis  !  réfèrent  in  mare  te  novi 
fluctus 

Pouvait-il  en  être  autrement?  Parce  que  la  docte 
Faculté  m'a  exilé  au  pied  des  Alpes,  devais -je 
pousser  le  cri  des  D'Assas  de  province  ?  «  A  moi 
la  décentralisation  !  »  Enfantillage  !  La  décentra- 
lisation des  lettres  est  le  grand  dada  sur  lequel 
chevauchent  les  orgueilleux  et  les  sots  que  la  Capitale 
a  dédaignés. 

«  Paris  !  »  répondent-ils  «  ce  Gargantua  qui  absorbe 
tous  les  hommes  d'élite,  et  d'où  rayonnent  cin- 
quante voies  ferrées,  se  suicide  lui-même,  comme  le 
scorpion  entouré  de  charbons  ardents.  Il  veut  que 


▼III 

les  magnifiques  cités  de  la  France  deviennent  ses 
faubourgs  ;  ce  sont  elles  qui  deviendront  des  quar- 
tiers de  Paris.  » 

Qu'ils  comptent  la-dessus  et  qu'ils  beuvent  frais  ! 

Et  cependant  cette  façon  de  prophétie  a  presque 
l'air  d'être  vraisemblable,  quand  il  s'agit  de  Nice  : 
Nice,  la  ravissante  Néréide  aux  noirs  cheveux  toujours 
mêlés  de  rayons  d'or ,  aux  pieds  mignons  toujours 
baignés  de  flots  d'azur ,  Nice  où  accourt  en  hiver 
l'aristocratie  de  l'Europe  entière  ,  et  qui  paraît  être 
alors  le  chef-lieu  du  monde  élégant  ! 

Marie  De  Solms  et  Alphonse  Karr  sont  bien  un 
peu  de  cet  avis. 

Encore  un  mot  : 

J'inaugure  ici  une  modeste  réforme  dans  l'emploi 
des  italiques,  des  majuscules,  des  demi-majuscules, 
des  tirets  et  des  guillemets.  J'en  ferai  bientôt  le 
sujet  d'un  petit  traité. 

Rancé  de  la  casse  î  comme  cela  serait  sonore  ! 


Adieu,   tout  a  vous. 
Emile  Negrin. 


LA  CONSULTATION 


Jeune  beauté  naguère  va  trouver 

Vieux  médecin  d'un  mérite  illusoire 

Pour  obtenir  deux  phrases  de  grimoire 

Touchant  son  front  qui  la  fait  endêver. 

Docteur  alors  dont  le  vice  est  notoire^ 

Et  qui  d'emblée  à  chacune  dit  tu: 

«Voyons  ton  sein.-Pourquoi?...-Pour  qu'il  soit  vu. 

—  Mais  c'est  le  front....  ainsi  je  ne  puis  croire... 


2 
—  Eh  bien  î  va-t-en  ailleurs,  ma  chère.  »  Afin 
De  mériter  l'ordonnance  savante, 
La  pauvre  dame  aux  regards  du  faquin 
Expose  donc  une  gorge  charmante. 
Le  sensuel  touche ,  admire ,  jouit , 
Et  la  reluque  encor  lorsqu'il  écrit. 
«  Yoici  »  dit-il  «  ce  qu'il  te  faudra  faire.  » 


La  belle  sort  et ,  chez  l'apothicaire', 
Sans  l'avoir  lu,  court  porter  le  papier. 
c(  Oh  !  qu'est  cela  ?  »  répond  le  boutiquier, 
Riant  plus  haut  qu'une  grosse  comparse, 
((  Voyez  ,  lisez.  »  Elle  lit.  Quelle  farce  ! 
D'un  rire  fol  elle  pouffe  à  son  tour, 
Puis  du  billet  ainsi  mis  au  grand  jour, 
Dans  le  pays  qu'amuse  ce  bon  tour. 
Elle  répand  mainte  copie  éparse. 
Qu'était-ce  donc  ?  C'étaient  propos  d'amour. 


Bagnères  de  Lacbon. 


LE  RÈGLEMENT  DU  GASCON 


Un  Gascon  s'était  marié, 
Et,  bien  qu'il  eût  écus  en  caisse , 
A  son  impatient  curé 
One  ne  voulait  payer  la  messe. 
Depuis  ses  noces  vainement 
Notre  homme  attendait  un  enfant 
Pour  perpétuer  sa  lignée. 
Sa  bonne  foi  fut  indiiïnée 


Du  mensonge  du  capelan. 
«  Ah  !  »  s'écria-t-il  a  bon  jésuite  , 
Bon  trafiquant  de  l'eau  bénite  , 
Ah  !  vous  me  promettiez ,  sadis  t 
Dans  votre  langue  hétéroclite  , 
Autant  d'enfants  pour  mon  logis 
Que  la  mer  a  de  grains  de  sable  ; 
Sadis  !  et  depuis  ce  temps-là 

J'attends  le  titre  de  papa 

Sadis  f  la  chose  est  détestable, 
Et  de  mes  sous  vous  n'aurez  brin  , 
Je  vous  jure....  »  Parole  il  tint. 
Du  jour  qu'il  eut  épouse  en  chambre  , 
Trois  fois  janvier  suivit  décembre 
Sans  qu'au  presbytère  il  revînt. 
Le  dit  curé  fut  las  d'attendre  , 
Mais  dans  la  crainte  d'un  esclandre 
Oncques  il  n'osa  s'adresser 
Au  juge  ,  autre  mangeur  d'épices. 
Pourtant  ne  pouvait  renoncer 
A  de  si  pieux  bénéfices. 

Adonc ,  un  matin ,  furieux , 
Armé  des  canons  de  l'église , 


Il  court  chez  l'autre  et  lui  dit:  «  gueux ^ 

Paie  ou  je  t'anathématise.  » 

—  ((  Sans  vous  on  peut  aller  aux  cieux,  » 

Répond  le  gascon  «  je  m'en  moque. 

J'avouerai  donc  sans  équivoque 

Que  je  vous  dois  réellement  ; 

Mais  avant  de  toucher  l'argent  " 

On  finit  l'œuvre ,  ce  me  semble  : 

Attendez  mon  enterrement , 

Et  nous  réglerons  tout  ensemble.  » 


Toulouse. 


VICTOR  OU  L'ENFANT  DE  LA  CANNEBIÈRE 


Victor 


Oh  !  que  vous  êtes  belle ,  iiélène  !  Vos  grands  yeux 
Brillent  sous  leurs  longs  cils  comme  une  flamme  épaisse; 
Pareil  au  lys  royal  votre  front  pur  se  dresse  ; 
Votre  bouche  paierait  des  mondes  à  des  dieux  ; 
Votre  torse  qui  plie  a  toute  l'élégance 
Du  flexible  palmier  que  la  brise  balance  ; 


7 
Vos  soupirs  sont  plus  doux  que  les  harpes  des  deux  ; 
Le  cygne  qui  des  lacs  effleure  l'eau  limpide , 
Neige  animée,  à  peine  a-t-il  votre  blancheur  ; 
L'enfant  des  oasis ,  la  gazelle  rapide 
N'est  pas  si  gracieuse  ;  à  mon  àme ,  à  mon  cœur 
Comme  un  écho  divin  votre  parole  arrive. 
Hélène  ,  parlez-moi,  parlons  de  nos  amours; 
Plus  ma  tendresse  augmente  et  plus  elle  est  craintive. 
Répétez-moi  ce  mot  que  j'entends  tous  les  jours, 
Que  tous  les  jours  je  veux  une  autre  fois  entendre  : 
Hélène,  m'aimez-vous? 


Hélène 

Si  je  t'aime,  victor?.... 
Toi ,  l'homme  tant  rêvé ,  toi ,  l'amant  le  plus  tendre , 
Toi  sans  qui  je  mourrais  près  d'un  mari  butor, 
Toi  que  partout  j'avoue  et  j'avouerais  encor , 
Dût  le  poignard  m'atteindre  ou  dût  la  ville  entière 
M'appeler  adultère  et  me  cracher  au  front. 
Toi,  pour  qui  je  suis  prête  à  souffrir  tout  affront, 
Toi,  sous  les  pas  de  qui  je  voudrais  la  poussière 
Transformée  en  jasmins!...  0  victor,  mon  victor. 


8 

Oui,  je  t'aime.  Toi  seul  tu  remplis  de  lumière 

La  nuit  de  mon  destin.  Sans  toi,  les  fêtes,  l'or, 

Les  honneurs  sont  amers  ;  sans  toi,  dans  la  campagne, 

Les  fleurs  n'ont  plus  d'arôme  et  le  ciel  plus  d'azur  \ 

Le  pain  de  tous  les  jours,  sans  toi,  me  semble  dur! 

C'est  que  l'on  souffre  bien  loin  de  l'objet  qu'on  aime, 

0  Victor,  et  je  t'aime...  Est-ce  vrai  que  tu  crains 

Que  ce  doux  mot  ne  soit  un  mensonge,  un  blasphème? 

Sur  ta  mâle  poitrine  alors  que  tu  m'étreins , 

N'ai-je  donc  pas  traduit  tout  l'élan  de  mon  âme? 

Que  faut-il?  Que  veux-tu?  Qu'attends-tu  d'une  femme? 

Je  livre  à  tes  baisers  tous  mes  secrets  trésors  ; 

Et,  loin  de  me  poser  en  timide  victime. 

C'est  moi  qui  dans  ton  être  éveille  les  trarisports , 

C'est  moi  qui  te  recherche  et  t'appelle  et  t'anime. 

Je  voudrais  un  instant  être  reine  en  ce  lieu  ; 
Et  je  te  donnerais  mon  trône,  mon  empire. 
Mon  palais  dont  l'Estrel  eût  fourni  le  porphyre, 
Mes  tapis  où  des  pieds  le  moindre  bruit  expire. 
Mes  soldats  dont  le  fer  lance  des  jets  de  feu  ; 
Et  je  te  donnerais  mes  coursiers  d'Arabie, 
Mon  char  aux  essieux  d'or,  ma  cour,  mes  diamants. 
Et  la  belle  oriflamme  aux  ennemis  ravie , 


9 
Et  les  fleurs  du  triomphe,  et  mon  peuple  en  orgie, 
Et  Fantichambre  ouverte  à  mille  courtisans!... 

Alors  je  serais  fière,  heureuse,  bien  heureuse; 
Le  doute  dissipé  me  laisserait  joyeuse, 
Car  j'aurais  pu  montrer  mon  amour,  j'aurais  pu 
Prouver  ce  que  tes  yeux  dans  les  miens  ont  mal  lu. 
0  Victor,  oui  je  t'aime.  A  toi  toute  mon  ame  ; 
A  toi  tous  mes  soupirs  ;  à  toi  tous  mes  baisers  ; 
A  toi  ce  sein  ému  qu'un  autre  me  réclame , 
Mes  nuits  où  nous  mêlons  nos  souffles  embrasés, 
Mon  espoir,  mes  pensers,  chaque  heure  de  ma  vie, 
Ma  portion  du  ciel,  tout,  tout 


Victor 

0  mon  amie. 
Quel  amour  délirant  à  ta  beauté  s'allie  ! 
Aimons  :  qu'importe,  après,  le  blâme,  le  trépas? 
Qu'importe  le  malheur?  Qu'importe  que  la  terre 
Au  souffle  des  démons  s'abîme  avec  fracas? 
Que  sous  nous  le  chaos  s'ouvre  comme  un  cratère?, 
Pourvu  que  nous  roulions  ensemble  dans  tes  bras. 


\0 


Hélène 


Vous  m'aimez  donc  beaucoup,  victor,  beaucoup? 


Hélène, 
Un  charme  irrésistible  à  vos  genoux  m'enchaîne. 
Ma  vie  est  une  flamme  étrange  et  surhumaine 
Qui  brûlant  par  vous  seule  avec  vous  s'éteindra. 


Hélène 


Merci ,  mon  bien-aimé ,  merci  pour  ces  mots-là, 


Victor 


Oh!  laisse,  laisse-moi  dérouler  chaque  tresse; 
Que  j'étale  à  flots  d'or  ta  chevelure  épaisse 


11 

Pour  y  plonger  mes  doigts.  La  tendre  Comala 

Semble  t'avoir  légué  cette  blonde  parure 

Que  l'antique  Ossian  autrefois  préféra. 

Ton  cou,  tes  blanches  mains  ornés  par  la  nature, 

N'ont  pas  recours,  pour  plaire,  aux  perles,  aux  saphirs. 

Quel  délice  !  Le  musc  et' les  roses  et  l'ambre 

Des  senteurs  du  harem  ont  inondé  ta  chambre  ; 

Leur  arôme  à  mes  sens  porte  mille  désirs; 

Mais  plus  que  ces  parfums  j'aime  ta  tiède  haleine, 

0  ma  gente  sylphide,  ô  ma  fée,  ô  ma  reine. 

Aimable  fleur  cueillie  au  ciel  des  vieux  Émirs. 

Viens,  approche  ;  pour  moi  sois  l'ange  des  plaisirs  ; 

Viens  m'abreuver  de  joie,  et  me  griser  d'ivresses, 

Et  me  faire  bondir  sous  d'ardentes  caresses  ; 

Viens,  tes  mains  en  mes  mains,  ton  cœur  contre  mon  cœur^ 

Ta  lèvre  sur  ma  lèvre,  exciter  mon  délire; 

Avec  ces  mots  si  doux  que  toi  seule  sais  dire , 

Viens,  au  bruit  des  baisers,  me  parler  de  bonheur. 

0  ma  belle,  à  ton  sein  que  ma  bouche  se  colle. 

Que  ma  tête  s'appuie  à  ta  charmante  épaule  ; 

Et  puis  fermons  les  yeux;  et  puis  de  nos  amours 

Enivrons-nous  longtemps,  lentement...  Oh!  je  t'aime... 

Je  t'aime 


<2 


Hélène 

Et  moi,  Victor,  je  trouverais  trop  courts 
Les  siècles  à  venir  et  l'éternité  même, 
Si  je  pouvais,  dans  un  embrassement  suprême, 
Les  passer  avec  toi  ! 

Mettons  des  points  ici. 

Nous  serons  dispensés  d'en  mettre  sur  les  i. 

Quand  on  est  deux,  qu'on  s'aime  et  que  la  porte  est  close. 

On  laisse  à  deviner  le  reste  de  la  chose. 

Qu'en  pensez-vous,  lectrice? Ah!  vous  avez  souri. 

Adonc,  de  ces  amants  faut  raconter  l'histoire. 
Hélène  est  mariée  à  iranquillin  Grégoire. 
Sans  fortune,  orpheline,  elle  a  pour  tout  trésor 
Un  nom  de  grand  effet,  comtesse  Du  Valdor. 
Au  bout  de  quatorze  ans,  Tranquillin,  à  Marseille, 
En  vendant  poivre,  sel,  café,  salsepareille, 
Avait  de  beaux  louis  comblé  son  coffre-fort  ; 
Mais  des  Trois-Épiciers  méprisant  la  roture , 
Il  voulut  corriger  une  naissance  obscure, 


43 


Et  sur  des  parchemins  marcher  comme  sur  l'or. 
A  cette  fin ,  il  mit  son  magot  aux  enchères 
Parmi  les  nobles  gueux.  Hélène  l'emporta. 
Contre  son  nom  elle  eut  toilettes,  bonnes  chères, 
Équipages,  valets,  hôtels  et  cœtera; 
Et  contre  son  argent  Grégoire  eut  une  femme 
Qui,  pour  bien  soutenir  le  rang  de  grande  dame, 
Du  tablier  du  mari  se  fit  un  falbala.  (*) 


(•)  On  a  l'habitude,  en  poésie,  contrairement  à  la  prononciation  volgairc,  défaire 
trois  sjllabes  des  mots:  tablier,  peuplier,  baudrier,  bouclier,  etc.,  et  deux  syllabes 
des  mots:  lien,  hier,  etc.  On  respecte  cependant  cette  prononciation  dans  les 
mots:  poêle,  Caen.  fouet,  goélette,  etc.,  malgré  l'orthographe,  malgré  l'autorité 
du  tréma.  Il  nous  a  par  suite  paru  toujours  p!u3  naturel  de  nous  soumettre  aux 
exigences  de  l'oreille  et,  quand  nous  lisons  des  vers,  de  prononcer  comme  si  nous 
lisions  de  la  prose.  Les  licences  poétiques  ont  rapport  aux  règles  grammaticales 
mais  non  aux  expressions. 

Nous  avons,  dans  cet  ouvrage,  essaye  de  limiter  l'emploi  trop  irrégulier  des  ita- 
liques et  des  majuscules.  Les  typographes  mettent  en  italiques  aussi  bien  un  titre 
de  volume  qu'un  calembourg,  qu'un  nom  de  gravure  ou  de  navire,  qu'où  substantif 
étranger  ou  nouveau.  Le  moyen  de  s'y  reconnaître?  On  écrit  à  la  fois:  Rubens, 
c'est-à-dire  le  célèbre  coloriste,  et  Rubens,  c'est-à-dire  une  toile  peinte  par  lui;  on 
écrit  l'Antiope  du  Corrége,  sans  faire  une  différence  entre  Antiope,  reine  des 
Amazones,  elle  tableau  superbe  du  Salon  Carré,  entre  Antiope  et  le  Corrége.  D'un 
autre  cùté,  si  Ion  écrivait  la  transfiguration  de  Raphaël  avec  un  t,  il  semblerait 
que  Raphaël  s'est  transfiguré.  Une  distinction  est  donc  nécessaire. 

En  voici  une  assez  simple.  - 

Les  noms  relatifs  à  la  sculpture,  à  la  peinture,  à  l'architecture  qui  sont  pour 
ainsi  dire  des  demi  noms-propies,  ne  pourrait-on  pas  les  écrire  avec  une  demi- 
capitale?  Exemple  :  le  Naufrage  de  la  Méduse  de  Jéricanlt,  le  Faune  de  Michel- 
Ange,  le  Panthéon  de  Soufflot.  Plus  d'équivoque  possible. 

On  emploirait  également  la  petite  capitale  pour  les  noms  de  tableau    (  un 


Victor  Pyrame  est  né  dans  l'orageuse  époque 
Où  Voltaire  et  Boileau,  comme  lord  Bolingbroke, 
Relégués  dans  un  coin  et  mis  à  l'embargo, 
Expiaient  humblement  sous  un  tas  de  poussière 
Le  tort  d'émerveiller  l'Europe  tout  entière. 
Maquet  signait  Dumas ,  et  les  singes  d'Hugo 
Sans  césure  hurlaient  :  si  que  le  romantisme 
En  ce  moment  sembla  dompter  le  classicisme. 


Teniers,  trois  Greuse),  pour  les  noms  de  navires  (!a  Marie,  Tocéan),  pour  les  noms 
d'astres  (  Mars,  Leverrier  ),  pour  les  nom?  de  chevaux,  de  chiens  (  Athos,  Fox  ), 
pour  les  noms  devins  (du  Bordeaux,  du  Malaga);  et  il  n'est  pas  difficile  de  voir 
quelles  sont  les  confusions  que  l'on  éviterait  ainsi.  On  s'en  servirait  de  même 
pour  les  prénoms  (  Lucie,  Suzanne  )  qu'on  ne  confondrait  plus  alors  avec  les 
noms  patronymiques,  car  s'il  est  des  gens  qui  s'appellent  Vincent  Bernard,  d'autres 
s'appellent  Bernard  Vincent. 

Règles  générales:  les  titres  de  journaux,  de  livres  et  de  pièces  de  théâtre 
s'écriraient  seuls  en  toutes  demi-capitales  (REVUE  FANTAISISTE,  ITmÉRAIRE 
DE  L'ÉGOSSE,  LA  DAME  BLANCHE,  LES  GENS  NERVEUX)  ;  les  motS  étrangers, 
les  archaïsmes,  les  néologismes,  les  dénominations  industrielles,  bref  tout  ce  qui 
n'est  pas  français  s'écrirait  seul  en  toutes  italiques  (  railway,  ost,  musculature, 
eau  bahama.) 

Pour  attirer  les  yeux  sur  un  terme  ou  sur  on  lazzi,  on  l'encadrerait  de  minutes 
géomé'.riques  (la  première  économie  du  ménage  est  de  se  passer  de  "  citoyenne 
officieuse  ".  Voltaire  répondit  à  une  catin  qui  voulait  l'attirer:  «  tu  as  beau  me 
faire  "  signe  "  tu  ne  seras  pas  ma  Léda.  » 

Les  guillemets  seraient  exclusivement  réservés  à  la  reproduction  des  paroles 
d'nne  personne  ou  aux  citations  d'un  auteur,  ainsi  que  l'enseigne  la  grammaire. 

Quant  aux  tirets,  ils  ne  devraient  servir,  comme  ils  ne  servaient  d'abord,  qu'à 
marquer  le  changement  d'interlocuteur  dans  un  dialogue  Rien  ne  ressemble  tant 
à  une  poignée  de  vilaines  broussailles,  que  ces  pages  de  porc-épic  où  les  tirets 
remplacent  aujourd'hui  les  virgules.  0  Henri  Estienne! 


45 

Les  nymphes  es  forets  se  couvrirent  de  deuil , 

Et  le  Pinde  gémit.  De  Cannes  à  Nanteuil 

Surgissaient,  s'agitaient,  mouraient  plus  de  poètes 

Que  la  valse  ne  fait  tourbillonner  de  têtes. 

Leurs  cheveux,  dérivés  des  rois  Mérovingiens, 

Sur  un  habit  râpé  faisaient  pleuvoir  la  teigne  ; 

Leur  barbe  aux  vents  flottait,  vierge  encor  de  tout  peigne; 

Leurs  ongles...  Mais,  malgré  ces  charmes  olympiens, 

Ils  étaient  "  incompris  "  tous  ces  joueurs  de  lyre, 

Et  pour  eux  seuls  avaient  la  faim  et  le  délire. 

L'abus  frappe  victor,  et  pour  laisser  la  faim 

Il  laisse  le  délire...  Au  village  voisin, 

D'un  riche  laideron  il  demande  la  main. 

La  paysanne  flattée  accepte.  Chose  faite. 

Voilà  victor  rentier.  Or,  si  sa  femme  est  bête, 

Si  sa  femme  à  Lucas  garde  une  foi  secrète , 

Qu'importe?...  Question  d'excroissance  à  la  tête. 

Donc  la  torche  d'hymen  allumée  aux  enfers 
Pour  les  quatre  conjoints  brûlait  tout  de  travers; 
Ce  n'était  que  discorde,  ennui,  cris,  larmes,  haine. 
Mais  bientôt  par  pitié  le  bon  diable  à  victor 
Fait  voir  et  fréquenter  Hélène  Du  Valdor. 
Égalité  de  goût,  égalité  de  peine, 


16 

Que  fallait-il  de  plus?  La  Lucrèce  Romaine 

N'eût,  en  semblable  cas,  point  préféré  la  mort. 

De  soupir  en  soupir,  de  caresse  en  caresse , 

L'ex-poète  parvint  au  lit  de  la  comtesse  ; 

Et,  depuis  lors,  tous  deux  s'aiment  éperdûment. 

Amour  bien  naturel.  Je  vous  le  dis  vraiment: 

Quiconque  a  trafiqué  l'union  conjugale. 

Subira  tôt  ou  tard  la  peine  capitale  ! 

Reprenons  le  récit.  Pendant  que  nos  fripons 
Taillaient  un  habit  jaune  à  ce  pauvre  Grégoire, 
Grégoire  voyageait  pour  l'huile  et  les  savons. 
De  Beaucaire  il  devait  suivre  toute  la  foire 
Avant  de  rebrousser  ;  mais  un  billet  discret 
Vient  lui  donner  avis  de  ce  qui  se  passait. 
Aussitôt  il  repart,  il  retourne  à  Marseille; 
J'ignore  SI  ce  fut  en  calèche  ou  par  train. 
Il  s'arme ,  chez  lui  monte  et  frappe  à  double  main  : 
a  Ouvrez,  ouvrez.  »  Hélas!  Colette  et  son  Colin 
Ahuris,  consternés  deviennent  tout  oreille. 
«Ouvrez.— C'estmonépoux.— Ouvrez.— MonDieulvictor. 
—  Ouvrez.  —  Où  te  cacher?  »  D'un  violent  effort 
Grégoire  impatient  fait  voler  la  charpente. 
Quel  spectacle  !  Sa  femme  au  lit  toute  tremblante, 


Et  Victor  en  chemise  au  milieu  du  salon. 

«  C'est  donc  vrai,  scélérats  ?  —  Pardon.  —  Pas  de  pardon. 

Si  vous  faites  un  pas,  vous,  monsieur,  je  vous  tue. 

Ah!  vous  vous  occupez  de  m'illustrer  le  front! 

Ah  !  vous  aimez  ainsi  la  chose  défendue! 

Vous  ne  pensez  donc  plus,  monsieur,  que  vous  avez 

Une  femme.  Hé  bien  !  moi,  moi,  je  me  le  rappelle, 

Et  je  vais  vous  montrer  d'une  façon  nouvelle 

Comment  cela  s'arrange  entre  hommes  mariés. 

Prenez  sur  mon  bureau  cette  plume.  Écrivez... 

Je  soussigné,  victor  François  Pyrame, 
Propriétaire,  au  Prado,  80, 
Déclare  avoir  reçu  de  iranquillin , 
Que  j'ai  surpris  couchés  avec  ma  femme, 
Cent  mille  francs,  en  billets  de  sa  main, 
Moyennant  quoi  je  renonce  au  dessein 
De  le  traîner  par-devant  le  prétoire. 

—  Je  n'écris  pas  cela.  —  Mourez  alors.  »  Grégoire 
A  ces  mots  niet  enjoué.  —  «  Assez,  assez,  j'écris.  >) 
En  effet,  le  reçu  fut  signé.  Quel  déboire 
Pour  l'orgueilleux  Pyrame!  Il  reprit  ses  habits. 
Et  très-piteusement  regagna  sa  demeure. 

3 


48 

Hélène  à  Tranquillin  fournit  mainte  raison 

Pour  calmer  son  courroux  :  en  telle  occasion 

Femme  onc  ne  perd  l'esprit.  Je  crois  même,  à  cette  heure,' 

Qu'en  ménage-modèle  on  cite  leur  maison. 

Le  lendemain  Grégoire,  au  tuyau  de  l'oreille. 

Courut  chez  ses  amis  glisser  un  petit  mot  : 

«  Surtout  n'en  dites  rien  ;  c'est  un  secret.  »  Bientôt 

L'anecdote  égaya  tous  les  coins  de  Marseille. 

Notre  Victor  eut  beau  narrer  l'événement 

Point  par  point ,  nul  ne  crut  à  son  raisonnement. 

La  vérité  parfois  cède  à  la  vraisemblance; 

Pour  de  l'argent  on  fait  tant  de  choses  en  France  ! 

Il  fut  Vulcain  pour  l'autre  et  payé  sans  paiement. 

La  morale  du  conte  est  que  dans  cette  vie 
La  Mort  pour  nous  venger  ne  vaut  pas  la  Folie  ; 
Et  que,  si  nous  jugeons  d'après  ce  plaidoyer 
Le  bon  tour  de  Grégoire  un  tour  de  son  métier, 
Il  nous  faut  au  rang  d'homme  élever  l'épicier. 


ToaloMe. 


CE    PETIT    INSTRUMENT 


Tous  connaissez  un  petit  instrument 
Qu'un  mot  latin  désigne  avec  emphase  ; 
Mais  savez-vous  pourquoi  dans  une  phrase 
Ce  substantif  se  glisse  insolemment? 
C'est  qu'en  latin  on  brave  impunément 
L'honnêteté  sans  longue  périphrase. 
Boileau  l'a  dit,  et  savons  que  Boileau 
One  n'a  menti  qu'à  l'égard  de  Quinault. 


20 

Quand  il  croyait  donner  les  Amériques 

Au  monde  ancien,  Christophe  lui  donna 

Quoi?...  n'est  le  but  de  ces  vers  marotiques, 

Mais  si  voulez  des  détails  historiques, 

François  I^'"  pour  moi  les  fournira. 

De  tels  cadeaux  plus  tard  la  conséquence 

Chez  les  humains  fut  le  dit  instrument  ; 

La  faculté  par  effort  de  science 

Cettui  forgea;  mais  femme  seulement, 

Lorsqu'elle  a  trop  commis  le  sacrilège 

De  violer  certain  commandement. 

De  s'en  servir  possède  privilège. 

Depuis,  dit-on,  les  malheureux  Amours 

Quittant  bandeau,  torche,  carquois  et  flèches, 

Plus  n*ontosè,  même  auprès  des  revêches, 

Sans  cet  outil  aborder  nos  séjours. 

Cettui  fait  voir  vérité  toute  nue 
Dedans  les  corps  ;  au  contraire  le  mien 
Dedans  les  cœurs  fait  pénétrer  la  vue  ; 
Pouvez  m'en  croire.  Un  nécromancien 
De  qui  l'adresse  ici  n'importe  en  rien, 
N'a  pas  longtemps,  me  dit  dans  une  rue  : 
«  Ami,  tu  sais  combien  la  Faculté 


24 

De  noirs  brocards  a  toujours  insulté 
Tout  novateur  par  elle  redouté, 
Et,  pour  jeter  l'épée  en  la  balance, 
De  quels  propos  elle  a  rempli  la  France 
Contre  Hahnemann,  Raspaïl,  Gall  et  Mesmer. 
Je  veux  céans  te  la  faire  connaître  ; 
Prends-moi  ce  tube,  il  t'apprendra  peut-être 
Que  pas  encor  Gil  Blas  n'est  en  enfer. 
Il  met  à  nu  les  arcanes  de  l'àme  ; 
S'il  sent  un  peu  le  fagot  et  la  flamme , 
Ne  sois  surpris ,  il  vient  de  Lucifer.  » 
Dans  mon  ami  je  crus  voir  un  Bramine, 
A  ces  mots-là,  je  crus  voir  un  sorcier, 
Albert  le  Grand,  Merlin  ou  Guillemine, 
Et  je  faillis  courir  au  bénitier; 
Mais  son  départ  fit  cesser  ma  panique. 

Or  donc  voulant  l'essayer  aussitôt. 
Je  mis  à  l'œil  la  lunette  magique. 
Dieu  !  quelle  scène  empruntée  à  Callot  ! 
Mille  docteurs,  qui  se  faisant  la  nique 
Et  se  pressant  défilaient  devant  moi, 
Qui  s'accusaient  tous  de  mauvaise  foi , 
Qui  n'admettaient  pas  même  la  clinique, 


Qui  s'escrimaient  comme  des  English  men 
A  démontrer  qu'on  peut  sans  examen 
Et  coup  sur  coup  prendre  douze  clystères , 
Qui,  pour  avoir  l'air  savant  et  profond, 
De  mots  chinois  qu'ils  ne  comprenaient  guères 
(Chinois  et  grec  sont  deux  langages  frères) 
Entremêlaient  leur  discours  furibond. 
Encore  hélas  î  à  mes  pauvres  oreilles. 
Comme  un  lointain  bourdonnement  d'abeilles, 
J'entends  vibrer  cet  abracadabra: 
Hémiplégie,  ostéomalaxie, 
Hémiplexie,  apepsie,  et  phthisie, 
Bradyspesie ,  et  hypocatharsie , 
Antipraxie,  hystérie,  asphyxie, 
Et  dysphagie ,  et  blépharoptosie, 
Hypérésie,  et  hypéresthénie, 
Et  dyspepsie,  et  puis  hémoptysie, 
Et  puis  un  mot  qui  céans  entrera 
Sans  césure ,  hystéromotocie  !  ! 

L'un  me  jetait  un  dédaigneux  regard, 
L'autre  en  passant  tirait  sa  langue  épaisse , 
D'autres  tout  haut,  comme  un  niais  en  confesse , 
Sur  leur  état  daignaient  parler  sans  fard  : 


! 


23 
«  Ah!  »  disaient-ils  «  que  de  gens  de  mérite 
Dessus  la  terre  auraient  encore  un  gîte, 
Pas  s'ils  n'avaient  d'un  fameux  médecin 
Bien  cher  payé  le  secours  assassin  ! 
Si  Jean  est  mort,  de  jean  c'est  le  destin, 
Répondra-t-on  ;  et,  de  par  nos  diplômes 
Avons  le  droit  d'occire  ainsi  les  hommes , 
Sans  rendre  compte  à  nul  de  nulle  mort. 
Faudrait  au  moins ,  quand  sommes  en  présence 
D'un  moribond,  que  fussions  tous  d'accord 
Sur  les  juleps  qu'emploiera  la  science 
Pour  l'envoyer  bientôt  au  sombre  bord  : 
Incertitude  est  fille  d'ignorance 
En  pareil  cas.  Sachez-le  donc  enfin, 
Tous  nos  sulfi ,  sulfates  et  sulfures 
Sont  de  vains  mots  pour  expliquer  des  cures 
Où  comme  dans  un  livre  de  Cousin  ; 
Nous  voyons  clair,  c'est  du  perlinpinpin. 
Nous  faisons  long  docto  nostro  corpôre 
Tout  bonnement;  et  vous,  peuple  naïf, 
Tenez  ensuite  Hippocrate  in  honore  y 
Et  proclamez  en  termes  de  Baïf| 
Le  doctieur,  docte  et  doctime  Ryff  ! 
Allons ,  public ,  souffrez  que  l'on  vous  dise ....  » 


n 


Et  vous,  souffrez  que  je  ne  dise  point, 
Lecteur ,  où  jusqu'alla  cette  franchise  : 
La  Faculté  me  montrerait  le  poing; 
Or  je  ne  veux  me  brouiller  avec  elle. 
Qui  sait,  demain ,  pour  une  érysipèle 
Si  d'un  docteur  je  n'aurai  pas  besoin  ? 

Mais  quand  quelqu'un  désirant  en  cachette 
Voir  tels  qu'ils  sont  avocat  ou  nonnette  ,    , 
Envie  aura  d'emprunter  ma  lunette 
Plus  clairvoyante  et  plus  sûre  qu'Argus, 
Il  peut  venir  frapper  à  ma  chambrette 
Et  demander  messire  jEinilius . 


Toulouse. 


I 


LA    PYRRHOCOmiADE 


Certain  poète  avait  fait  à  Toulouse 
Certain  ouvrage  où,  dans  des  vers  joyeux, 
Certaine  dame  aux  roussâtres  cheveux, 
Marchande  honnête  et  malhonnête  épouse, 
Etait  citée.  En  Caton  menaçant, 
II  l'accusait  d'avoir  en  sa  boutique 
De  Céladons  au  visage  erotique 
Un  bataillon  sans  cesse  «rossissant. 


«6 

«  De  volupté  pendant  qu'ils  sont  tous  ivres,  » 
Écrivait-il  «  son  coffre-fort  s'emplit  ; 
De  son  commerce  Amour  lui  tient  les  livres  : 
Voilà  pourquoi  tant  elle  s'enrichit.  » 

Vite  un  ami  lui  porte  cet  ouvrage  ; 
Tout  ce  qui  peut  bien  vexer  un  ami 
Par  les  amis  est  annoncé,  d'usage. 
«  Oyez  »  dit-il  «  ma  chère ,  oyez  céans 
Ce  que  sur  vous  cet  écrivain  débite , 
Mais  riez-en,  car  des  vers  malséants 
A  votre  égard ,  sont  des  vers  sans  mérite. 
Votre  chef  blond  qu'on  admire  en  tous  lieux 
N'est  qu'un  amas  de  roussâtres  cheveux  ; 
Pour  retirer  plus  d'argent  de  vos  guêtres 
Aux  acheteurs  vous  ouvrez  les  fenêtres  ; 
Et,  selon  lui,  ma  chère,  vos  clients, 
Tous  furent ,  sont  ou  seront  vos  amants. 
Tenez,  lisez  l'abominable  page. 
Vous  pâlissez,  ma  chère?  »  Le  courage 
Las  !  lui  manquait  d'en  ouïr  davantage. 
Or  chaque  femme,  en  face  d'un  péril , 
De  l'éviter  connaît  moyen  subtil. 
Très-prudemment  elle  prend  une  chaise , 


27 


Très-prudemment  elle  s'évanouit , 

Et ,  grâce  aux  nerfs,  ainsi  se  met  à  l'aise. 

Toutes  le  font  et  la  nôtre  le  fit. 

Holà!  de  l'eau,  des  odeurs,  du  vinaigre.... 

Une  apprentie  avance,  et  du  corset 

A  sa  patrone  allonge  le  lacet  ; 

Patrone  alors  exhale  un  soupir  aigre, 

Et  rouvre  enfin  un  œil  de  soupe  maigre. 

Mais  aussitôt  l'excès  de  son  chagrin 

Fait  éclater  l'infortunée  en  larmes  : 

«  Hélas  !  »  dit-elle ,  en  tendant  une  main 
A  son  ami  «  Si  voyez  mes  alarmes  , 
Pas  ne  voyez  ce  qui  me  blesse  au  cœur. 
Je  vous  demande  ,  après  tout ,  que  m'importe 
Que  dans  ses  vers  ce  misérable  auteur, 
De  mes  amours  ait  parlé  de  la  sorte? 
Les  faits  sont  vrais  ,  littéralement  vrais': 
J'ai  moult  amants.  A  la  foi  mutuelle 
Si  mon  mari  s'était  montré  fidèle , 
Épouse  pure  encor  je  marcherais  ; 
Mais,  papillon  de  toutes  les  charmilles, 
Du  sexe  entier  il  poursuit  les  attraits , 
De  l'atelier  il  débauche  les  filles. 


2f^ 

Or,  pour  punir  ses  noirs  débordements, 
Moi  je  débauche  à  mon  tour  les  clients. 
Ne  sont-ce  pas  de  justes  représailles  ? 
Là  n'est  l'affront. 

Ce  qui  me  saute  aux  yeux , 
C'est  un  seul  mot,  mot  fatal ,  mot  hideux, 
Mot  que  l'enfer  vomit  de  ses  entrailles. 
Le  mot  "  roussâtre  ".  Adjectif  odieux  ! 
Mes  cheveux  blonds  ,  de  roussâtres  cheveux  ? 
Roussâtres  ,  eux  ?  roussâtres  ?  Quelle  injure  ! 

Comprenez-vous,  ami?  Ma  chevelure 

Roussâtre  elle  est.  Et  mes  épais  chignons 

Que  le  soleil  dora  de  ses  rayons 

Roussâtres  sont.  Et  mes  charmantes  tresses 
Qui  sur  mon  cou  répandent  tant  d'ivresses... 
Roussâtres  sont.  Et  mes  bandeaux  mignons 

Que  mes  amants  dévorent  de  caresses 

Roussâtres  sont.  Epouvantable  mot 

Qu'a  dû  laisser  chez  nous  leVisigoth! 

Rousse,  roussâtre!...  oh!  pour  ce  mot  "roussâtre' 

Oh  !  je  voudrais  me  quereller,  me  battre, 

Oh!  je  voudrais  le  tuer  de  ma  main. 

Ce  griffonneur,  ce  scrihe,  ce  faquin, 

Et  lui  tourner  le  poignard  dans  le  sein , 


â9 


Et  le  forcer  au  bord  de  l'autre  monde 

A  m'avouer  que  je  suis  vraifnent  blonde  !  » 


ir 


Quitte  un  instant  ton  soi-disant  vallon  , 
Muse  des  Grecs  qui  ne  vis  que  de  nom , 
Viens  accorder  ma  soi-disante  lyre; 
Et  pour  doubler  la  quantité  de  vers, 
Ce  que  la  rime  a  fait  nommer  délire , 
Au  lieu  de  l'eau  qu'à  des  gosiers  pervers 
Jadis  offraient  tes  sources  d'Hippocrène  , 
Apporte-moi  de  cbambertin,  d'Aï, 
De  Malaga ,  de  Bordeaux ,  de  Fleuri , 
Apporte-moi  quelque  bouteille  pleine. 
Hui,  nous  allons  célébrer  dans  ce  chant 
Une  excentrique  et  plaisante  assemblée 
Rien  que  d'amants  chez  l'amante  formée. 

Trois  jours  après  que  l'ami  complaisant 
A  son  amie  eut  porté  le  libelle, 
Notre  héroïne  à  tous  ses  amoureux, 


30 

Afin  d'avoir  un  colloque  avec  eux , 
Manda  l'avis  de  se  rendre  chez  elle. 
Tous  sans  retard  cédèrent  à  ses  vœux  ; 
Mais  pour  compter  ici  leur  ribambelle  , 
Leibnitz  ,  Descarte  ,  Archimède,  Newton 
Peuvent  venir  des  bords  de  l'Achéron 
Et  suggérer  à  mon  esprit  rebelle 
Quelque  formule,  autrement  je  ne  peux 
Faire  tout  seul  ce  calcul  difficile. 

De  tous  les  coins  et  recoins  de  la  ville 
On  en  voyait  accourir  :  nobles,  gueux  , 
Tailleurs,  rentiers,  commis,  bossus,  boiteux 
L'un  après  l'autre  arrivaient  à  la  file. 
«  Entrez  ,  messieurs,  dix  centimes,  deux  sous, 
Courage ,  entrez,  suivez!  »  Au  bout  d'une  heure 
De  ces  Lyndors  regorgea  la  demeure. 
Pour  recevoir  son  monde,  la  Roussâtre 
Allait ,  venait ,  et  se  mettait  en  quatre. 
Le  magasin ,  l'arrière-magasin , 
L'atelier  même  arrangés  par  sa  main^ 
D'un  double  rang  de  vieilles  escabelles 
Offraient  à  l'œil  vingt  lignes  parallèles. 
Chacun  prit  place  et  chacun  étonné 


i 


31 

Se  demandait  :  «  est-ce  pour  un  dîné?  » 
Vers  le  plafond,  de  cette  foule  immense 
Il  s'élevait  un  bruit  confus ,  intense. 
Enfin  la  belle  amena  le  silence  , 
Et ,  d'un  air  fier  comme  l'air  de  Junon  , 
De  ses  soldats  passa  l'inspection. 
Sémiramis  ,  Hachette ,  Catherine 
Et  la  Pucelle  avaient  moins  bonne  mine. 
Lorsqu'elle  a  fait  plusieurs  tours  et  détours, 
Pour  qu'aisément  de  l'une  et  l'autre  salle 
Puisse  chacun  entendre  son  discours , 
Au  beau  milieu  cette  reine  s'étale  : 

«  Mes  petits  choux  »  dit-elle  «  vous  savez 
Les  tristes  heurs  qui  me  sont  arrivés. 
J'ai  moult  soûlas  en  si  grave  occurrence 
De  voir  que  nul  de  vous  n'a  fait  carence, 
Du  moins  parmi  les  Toulousains;  céans 
M'importent  peu  tous  ceux  du  voisinage. 
Vous  voici  tous  ,  Tyroglyphe ,  Artophage  , 
Artepiboule,  Agriodos  ,  Phal^ns  , 
Lichopinax,  toi  gentil  Pternophage , 
Toi  Dexénor  qui  fus  pendant  trois  ans 
Le  Barbe-Bleue  exécré  des  amants , 


32 

Toi  Péléon  dont  l'amour  homérique 
Vendit  tes  cuirs  pour  fonder  ma  boutique , 
Toi  Lichénor  avoué  rachitique 
Qui  dépensas  maint  et  maint  bel  écu 
Pour  compenser  l'ennui  d'être  bossu  , 
Et  toi  savant ,  habile  Embasichytre , 
Grand  professeur  de  qui  neuf  cents  leçons 
M'ont  amenée....  à  signer  mes  deux  noms  , 
Et  toi  Toxarte ,  adorateur  en  titre 
Depuis  deux  jours,  qui  sais  de  mon  mari 
Croître  la  corne  et  rapiécer  l'habit, 
Vous  voilà  tous;  Psicharpax,  Pternoti'octe , 
Méridarpax  avec  Cnissodiocte 
Sont  aussi  là.  Bien ,  bien  !  L'empressement 
Qu'avez  montré  prouve  que  j'en  suis  digne; 
Vos  cœurs  brûlés  du  même  sentiment, 
Unis  en  moi ,  ne  font  qu'un  cœur  d'amant. 

Adonc,  chéris,  de  ce  volume  indigne 
Que  pensez-vous  ?  Piailler  mes  cheveux  blonds 
N'est-ce  point  là  le  plus  grand  des  affronts  ? 
Mé/ûtaient-ils  une  telle  épithète? 
Ah  !  désormais  du  courroux  d'un  poète 
Que  Dieu  me  garde  !  Il  pouvait  dans  ses  vers 


33 

De  mes  amours  rire  à  tort ,  à  travers. 

Là  du  pardon  il  était  sûr  d'avance  , 

Car  mes  galants  onc  ne  m'ont  fait  rougir  : 

J'ai  mon  principe,  ils  sont  la  conséquence. 

De  Messaline  hélas  !  la  gloire  immense 

Plus  d'une  fois  m'empêcha  de  dormir  ! 

Feu  la  Ninon ,  la  Manon ,  la  De  Lorme , 

Phryné  ,  Laïs  ,  Aspasie  et  consorts 

Ont  dans  l'histoire  un  paragraphe  énorme , 

Et  j'ai  tenté  par  d'incessants  efforts 

De  les  atteindre!  Est-ce  mal?  Suis-je  vile? 

Suis-je  coupable?  Et  du  reste  un  amant 

Pour  la  toilette  est  une  chose  utile. 

Si  donc  ce  mot,  ce  gros  mot....  »  Un  moment 

Elle  s'arrête  et  trépigne  et  soupire  ; 

Et  les  témoins  ne  sachant  trop  que  dire 

Se  contentaient  d'écouter  l'hétaïre. 

«  Las  !  »  reprend-elle  «  ai-je  donc  la  douleur 
De  n'avoir  pu  rencontrer  un  vengeur? 
Vous  prétendez  que  le  dit  opuscule 
Est  sot,  est  fol  j.est  bête,  est  ridicule  ; 
Et  parmi  vous  quelqu'un  a-t-il  l'esprit 
De  riposter  par  le  plus  mince  écrit? 

4 


34 

Là  de  mes  maux  se  trouvait  le  dictame. 

Un  grain  de  sel  dans  un  simple  sonnet, 

Une  piqûre  au  bout  d'une  épigramme, 

Pour  me  venger  aurait  cent  fois  plus  fait 

Que  tous  vos  cris,  tous  vos  coups  que  je  blâme, 

Et  que  chacun  de  vous  m'offre  pourtant. 

Vos  cris ,  vos  coups  ne  me  vengeraient  guère  : 

Les  cris  ,  c'est  bon  pour  un  représentant , 

Les  coups,  c'est  bon  pour  un  wigh  d'Angleterre. 

Quoi  !  mes  amants  ne  peuvent  me  servir , 
En  m'amusant  un  peu ,  qu'à  m'enrichir  ! 
Vous  tous  qu'ici  même  pensée  assemble , 
Quoi  !  ne  sauriez  faire  un  distique  ensemble  ! 
Quoi  !  je  ne  puis  tirer  de  vos  cerveaux 
Un  seul  quatrain  calqué  sur  Marivaux  ! 
Et  cependant  vous  formez  une  armée 
Devant  laquelle  eût  cédé  la  Crimée. 
Trop  oubliez  que  dans  le  temps  ancien 
Les  prétendants  de  dame  Pénélope 
Faisaient  des  vers  en  lui  mangeant  son  bien. 
Oh!  quel  malheur  est  aujourd'hui  le  mien! 
Que  n'ai-je  pu  dans  le  café  Procope 
Vous  recruter  !  »  A  ces  mots  derechef, 


35 
En  sanglotant  elle  penche  le  chef; 
Or  cette  fois  fut  chose  générale  , 
Car  Jérémie  est  communicatif. 
Des  assistants  la  glande  lacrymale 
Eprouve  enfin  un  prurit  excessif; 
Leur  lèvre  tremble,  et  dans  toute  la  salle 
On  n'entend  plus  que  des  gémissements  , 
Des  crachements ,  grincements ,  mouchements 
Renouvelés  d'Énée  et  de  Tantale. 

Tel,  autrefois,  chez  les  Grecs  bien  bottés, 
Pour  une  drachme  on  engageait  des  filles 
Qui  près  d'un  mort ,  par  des  pleurs  achetés 
Représentaient  le  regret  des  familles. 


III 


Donc  ces  bourgeois ,  à  défaut  de  talent 
Pour  imiter  Gilbert,  Boileau ,  Horace , 
Et  pour  jeter  un  ïambe  à  la  face , 
Dedans  leur  cœur  avaient  bon  sentiment 
Et  gémissaient.  Il  est  très  regrettable 
Que  Jupiter ,  depuis  mille  ans  et  plus  , 


36 

Dans  son  Olympe ,  à  côté  de  Vénus , 
Ait  pour  toujours  cessé  de  tenir  table , 
Car  ce  Dieu  Belge  ores  s'empresserait , 
Comme  iLle  fit  à  des  nymphes  d'Athènes  , 
De  transformer  nos  héros  en  fontaines. 
Toulouse  au  moins  à  cela  gagnerait. 

De  voir  ainsi  le  cercle  qui  pleurait , 
La  belle  sent  diminuer  ses  peines. 
«  Allons  !  calmez  si  nobles  désespoirs , 
Fanfans  »  dit-elle  «  et  rentrez  vos  mouchoirs. 
Nul  n'est  méchant  parce  qu'il  sera  bête , 
Vous  le  prouvez,  et  j'en  suis  satisfaite. 
Si  la  vengeance  est  le  plaisir  des  dieux , 
Pas  elle  n'est  celui  d'une  marchande. 
N'en  parlons  plus  ;  songeons  à  mes  cheveux , 
Moult  j'ai  souci  de  m'entretenir  d'eux, 
Et  c'est  pour  eux  qu'aujourd'hui  je  vous  mande^ 
Vous  connaissez  cet  illustre  ténor 
Qui  fit  sauter  au  plafond  sa  cervelle 
Pour  un  sifflet.  La  race  humaine  est  telle  : 
Si  tout  ne  plie  aux  genoux  du  veau  d'or, 
Si  son  éclat  aux  peuples  n'en  impose 
En  toute  épreuve,  en  tout  temps,  en  tout  lieu. 


37 

Sur  son  autel  le  veau  d'or  n'est  plus  dieu  ; 
Pour  une  épine  on  rejette  la  rose. 
Ainsi  de  moi  :  je  plais  à  mille ,  un  ose 
Me  dédaigner.  Vite,  vite,  cherchons 
Contre  cettui  philtres ,  catholicons  ; 
Et  puisqu'il  a  dans  la  même  brochure 
Tant  célébré  des  filles  d'Albion 
La  vaporeuse  et  douce  chevelure , 
Tâchons  d'abord,  dans  cette  conjoncture, 
De  rendre  un  peu  mon  incarnat  plus  blond.  » 

Si  large  idée  au  fameux  Lapalisse 
Eut  fait  envie  ;  en  applaudissements 
Aussi  se  fond  la  tourbe  des  amants  ; 
Voire  quittant  leur  air  pleureur  et  nice, 
Tous  en  gaieté  tant  et  tant  font  de  bruit 
Qu*on  aurait  dit  club  de  Quarante-Huit. 
Chacun  tout  haut  donne  sa  panacée, 
Et  veut  la  voir  aux  autres  préférée. 
De  prospectus,  d'affiches,  de  journaux 
Toute  une  pile  est  lue  et  compulsée; 
On  énumère  au  moins  cent  sortes  d'eaux  : 
L'eau  bahamaj  Veau  mésopotamique  ^ 
Et  Veau  divine,  et  puis  Veau  balsamique ^ 


38 

Et  puis,  venant  du  latin  et  du  grec, 

Veau  philocome  et  Veau  capilophile^ 

Et  Veau  qu'au  temps  des  fleurs  Cannes  distille, 

Cannes  au  ciel  plus  beau  que  "  la  Grand'ville", 

Cannes  où  croît  le  palmier  de  Québec 

Bref,  dans  les  eaux  ils  se  tiennent  le  bec. 


IV 


Nous,  nous  tenons  la  fin  de  l'épopée. 
Ce  qu'il  me  reste  à  dire,  cher  lecteur, 
Est  un  miracle  auquel  le  chroniqueur 
Croit  comme  à  ceux  de  son  prédicateur. 
Voici  le  fait  :  pendant  que  l'assemblée, 
Touchant  ces  eaiix^  comme  un  long  parlement 
Était  en  proie  au  long  enfantement 
D'un  simple  avis,  au  fond  du  bâtiment 
Un  sourd  murmure  éclate  ;  la  muraille 
Se  scinde  en  deux  ;  une  pâle  lueur 
Brille  ;  l'on  sent  une  sauvage  odeur 
D'ail  et  de  soufre  ;  et  d'un  monstre  rieur 
On  aperçoit  la  gigantesque  taille. 
A  saint  Michel  un  tel  rire  eut  fait  peur. 
Or  de  ce  rire  affreux,  méchant,  rtioqueur 


39 

Le  susdit  monstre  accablait  l'assemblée  ; 
Figurez-vous  si  gaieté  fut  troublée. 

'  Vous  eussiez  vu  ces  pauvres  Dons  Juans 
S'entrejeter  des  coups-d'œil  délirants. 
Dans  tous  les  coins  la  plupart  se  blottirent, 
Sur  l'escabeau  plusieurs  s'évanouirent, 
L'un  d'eux  d'effroi  faillit  faire  un  sonnet, 

Un  autre Bref  le  monstre  avait  des  griffes, 

Des  pieds  crochus  comme  ceux  d'un  chenet. 
Et  sur  le  dos  des  ailes  d'hippogriffes, 
Et  des  serpents  en  guise  de  bonnet, 
Et,  par  dessus,  deux  grandissimes  cornes 
Comme  jamais  n'en  eurent  les  licornes. 
Ce  que  voyant,  notre  groupe  marri 
Pensa  d'abord  que  c'était  le  mari. 

C'était  le  diable,  oui,  le  diable  lui-même. 
Vers  la  Roussâtre  il  s'avance.  Elle  est  blême 
De  terreur.  «  Fille,  ô  ma  fille,  »  dit-il 
«  Sache-le  bien,  à  Fadamique  pomme 
Quiconque  mord  sera  toujours  gentil  ; 
Plus  que  beauté  luxure  attire  l'homme. 
De  tes  cheveux  ainsi  le  teint,  en  somme , 


40 

Ou  roux  ou  blond  ne  change  rien  en  toi. 

Mais  lorsqu'on  damne  autant  de  gens  pour  moi, 

A  mon  enfer  on  peut  faire  la  loi. 

Je  m'en  vais  donc  exaucer  ta  prière. 

N'écoute  pas  ces  muscadins,  ils  n'ont 

Pas  plus  d'esprit  que  le  banquier  Biscon  ; 

Marche  à  la  Pomme,  entre  chez  ce  libraire 

Qui  des  marquis  lèche  tant  la  poussière  ; 

Tu  trouveras  par  tout  son  magasin 

Force  in-quarto  sur  Germaine  Cousin, 

Tu  trouveras  de  Veuillot  et  de  Gaume, 

Par  ci  par  là,  maint  catholique  tome, 

Tu  trouveras  comme  un  palladium 

Des  Pères  Saints  le  saint  Compendiibi, 

Tout  ce  qui  sent,  en  un  mot,  l'eau  lustrale  ; 

En  te  signant  entre-z-y  ;  va  chercher 

De  cette  prose  ennuyeuse  et  banale 

La  quantité  qu'il  faut  pour  un  bûcher 

De  la  grosseur  d'un  ventre  de  vicaire. 

Sur  ton  comptoir  le  tout  entasseras. 

Puis,  couronnant  la  pile  incendiaire 

Avec  le  gent  et  coupable  exemplaire , 

Le  feu  toi-même  au  papier  tu  mettras, 

Puis ,  pour  former  un  philtre  à  la  Cassandre, 


41 

Dedans  du  rhum  tu  pétriras  la  cendre, 
Et  sur  ton  chef  passeras  dès  ce  soir 
Cette  pommade,  au  lieu  de  tant  d'eaux  sottes. 
Salut ,  ma  fille ,  ou  plutôt  au  revoir.  » 
Où?....  Mieux  que  moi  le  savent  les  dévotes. 

Comme  au  sermon ,  sitôt  que  le  curé 
A  bout  de  force  et  de  latin  s'arrête, 
Dans  l'auditoire  éclate  une  tempête, 
Dès  que  messer  Satan  s'est  retiré. 
Un  bruit  de  voix  qui  fait  craquer  l'imposte 
Ebranle  l'air  du  zénith  au  nadir  : 
C'étaient  nos  coqs  qui  chantaient  de  plaisir 
De  plus  n'avoir  devers  eux  pareil  hoste. 
Or,  cependant  qu'ils  forment  ce  concert, 
L'un ,  plus  léger  que  le  léger  Auster, 
S'esquive  et  court  acheter  l'holocauste. 

Le  temps  qu'il  faut  pour  le  péché  d'amour, 
Au  messager  suffit  pour  son  retour. 
Coamoureux,  allons!  faites  silence, 
Regardez  bien:  le  spectacle  commence. 
Sur  un  fragment  de  ce  pie  Univers 
Dont  l'Empereur  purgera  l'univers, 


42 


Ayant  rangé  vingt  volumes  divers 
Entremêlés  de  billets  de  confesse, 
Elle  y  posa  la  brochure  traîtresse. 
Bientôt  la  flamme  au  plafond  s'éleva , 
Brilla,  tourna,  pétilla  sans  relâche; 
Or,  d'Abraham  si  l'on  retint  la  hache, 
Le  sacrifice  ici  tout  s'acheva. 
Les  pauvres  vers!  Et  dame  Polyandre 
Avec  liesse  en  ramassa  la  cendre. 
One  elle  n'eut,  à  cette  occasion. 
Pu  supposer  qu'une  intervention 
Viendrait  d'en  haut  ou  d'en  bas  à  son  aide. 
Qu'un  tel  docteur  baillerait  tel  remède 
Pour  obtenir  des  cheveux  de  Suède  ; 
Aussi  la^joie  apparaît  dans  ses  yeux. 
Que  résulta  d'un  fait  si  curieux? 
Pas  je  ne  sais  si  les  dits  amoureux 
Ont  conservé  leur  engouement  extrême , 
Mais  l'an  prochain  dans  un  autre  poème 
J'annoncerai  des  roussâtres  cheveux 
Si  la  couleur  est  encore  la  même. 


Toulouse. 


UN  HOMME  A  LA  MER 


Il  est  un  affreux  mot  jeté  dans  la  tempête, 
Et  que  le  vent  au  loin  en  mugissant  répète 
Comme  un  appel  à  Dieu  contre  le  flot  vainqueur, 
Un  mot  qui  fait  trembler  les  marins  de  terreur. 
Qui  vers  l'onde  bleuâtre  incline  chaque  tête, 
Et  de  crainte  et  d'etfroi  laisse  l'âme  muette, 
C'est  :  ((  Un  homme  à  la  mer!  »  Un  malheureux  des  mâts 
Est  tombé.  La  rafale  avec  rage  et  fracas 
Emporte  le  vaisseau  cfu'avec  peine  l'on  guide  ; 
Il  fuit  prompt  comme  un  trait,  fuit,  et  le  gouffre  avide 
Ne  montre  plus  bientôt  que  ses  eaux  pour  mourir. 
En  vain  au  sauvetage  a-t-on  voulu  courir, 
La  corde  projetée  a  suivi  le  navire  ; 


44 

L'équipage  impuissant,  et  gémit,  et  soupire. 
C'est  là  tout,  c'en  est  fait.  Le  matelot  perdu 
Contre  une  mort  certaine  alors  lutte  éperdu  ; 
Son  corps  tout  ruisselant  bondit  de  cime  en  cime, 
Et  son  grand  désespoir  semble  dompter  l'abîme. 
Il  nage,  il  crie,  il  tourne,  il  s'épuise  en  effort  ; 
Il  s'arrête,  il  regarde ,  et  puis  il  nage  encor, 
Il  veut  toujours  nager  ;  mais  la  mer  l'environne, 
Il  cède,  entre  deux  flots  un  moment  tourbillonne. 
Lance  un  baiser  d'adieu  vers  son  clocher  lointain. 
Puis  tout  est  dit.  Hélas  !  l'Océan  est  sans  fin. 
Sa  femme,  ses  enfants,  longtemps  sur  le  rivage. 
Viendront  pour  réclamer  la  victime  à  l'orage  : 
L'orage  ne  rend  rien  ;  écume  des  autans, 
La  victime  a  servi  de  pâture  aux  goélands 

Mais  toujours  ce  mot  là  fut-il  un  cri  d'alarmes? 
Nenni  ;  vous  allez  voir  qu'on  y  trouve  des  charmes. 
Sur  un  trois-mâts  marchand  dont  je  tairai  le  nom, 
Un  certain  capitaine,  ours  de  mer,  vieux  barbon, 
Ayant  de  Scharhiar  sur  la  foi  conjugale 
Reçu  quelques  avis,  s'en  allait  au  Bengale 
Avec  sa  femme  à  bord.  Il  supposait  ainsi 
Que  sa  tête  serait  d'excroissance  à  l'abri. 


45 
Point  ne  raisonnait  mal ,  car  le  "  plancher  des  vaches  " 
Aux  tyrans  du  ménage  offre  de  rudes  tâches  ; 
Et  bien  avant  l'avare  on  sait  que  le  jaloux, 
Même  dans  l'âge  d'ar,  inventa  les  verroux. 
Las!...  comme  la  plupart,  il  comptait  sans  son  hôte. 
Pour  amant  la  mondaine  a  l'ami,  la  dévote 
A  le  prêtre,  et,  de  peur  de  faire  exception, 
Eve  n'a-t-elle  pas  accepté  le  démon? 

Adonc  je  ne  sais  trop  sous  quelle  parallèle, 
Pendant  qu'il  calculait  ses  distances ,  la  belle 
Avec  le  cambusier,  beau  garçon,  bien  charnu. 
Épuisait  de  l'amour  le  glossaire  connu. 
C'étaient  des  demi-mots,  des  soupirs,  des  œillades, 
Des  serrements  de  mains  ;  mais,  à  moins  de  bravades. 
Ils  n'osaient  faire  plus.  La  nuit ,  les  gens  de  quart 
Jetaient  sur  le  tillac  un  importun  regard, 
La  nuit ,  le  fin  mari  dans  sa  propre  cabine 
Lui-même  calfatait  sa  moitié  féminine  ; 
Le  jour,  tout  matelot  devenait  un  Argus. 
Et  pourtant  ce  que  veut  un  couple,  c'est  ce  plus. 
Comment  faire?  L'esprit  dans  un  cas  difficile 
En  moyens  décisifs  est  quelquefois  fertile. 
Un  soir,  notre  amoureux  au  bout  d'un  soliveau 


46 
Attache  une  culotte,  une  veste,  un  chapeau, 
Et  mieux  que  Vaucanson  fait  un  homme  d'étoupe  ; 
Puis,  rampant  comme  une  omhre,  il  le  porte  à  la  poupe, 
Le  jette  incognito  dans  le  liquide  amer, 
Et  d'un  ton  contrefait  crie  :  «  Un  homme  à  la  mer!...  » 
L'épouse  l'attendait. 

Soudain  toute  la  troupe 
A  ce  cri  sur  le  pont  s'élance  :  la  chaloupe 
Est  mise  à  l'eau  ;  le  cable  est  largué  ;  quelques  ris 
Pour  ralentir  la  marche  à  la  voile  sont  pris. 
Le  cambusier  manquait ,  on  le  crut  la  victime. 
Or,  lorsqu'à  le  pêcher  l'équipage  s'anime , 
Entre  deux  seins  de  neige  autre  chose  il  péchait. 
Combien  de  temps  demande  un  si  joli  péché? 
Lectrice  le  sait  bien.  En  un  clin  d'œil  le  drille 
Montra  son  gai  visage  à  travers  l'écoutille. 
«  C'est  vous?  je  vous  croyais  sous  la  dent  du  requin  ; 
Sacré  mille  sabords  !  c'était  un  mannequin  ;  » 
Hurla  le  commandant  «  La  farce,  qui  l'a  faite?  » 
Le  mousse  est  accusé  ;  trente  coups  de  garcette 
Lui  prouvent  qu'il  a  tort  de  se  dire  innocent , 
Et  le  mari  passa  sous  les  lois  du  Croissant. 

Toulouse. 


L'AMOUR  DES  BÊTES 


Pas  il  ne  faut  s'attacher  trop  aux  bêtes. 
Il  est  des  gens ,  plus  ou  moins  gens  de  bien , 
Qui,  pleins  d'amour  pour  leur  chat  ou  leur  chien, 
Verraient  sans  peine  égorger  un  chrétien  ; 
Icelles  gens  sont  des  gens  malhonnêtes. 
Faut  bien  porter  un  peu  d'affection 
Aux  animaux,  mais  de  la  loi  Gramon 
Vouloir  parfois  jusqu'au  prix  Monthyon 
Les  élever ,  mais  d'une  pension 


48 

Leur  assurer  le  gentil  bénéfice 
Par  testament,  ce  me  semble  injustice. 
Je  connais  tant  d'écrivains  malheureux 
Qui ,  sans  mentir,  le  méritent  plus  qu'eux  : 
Moi  le  premier.  Je  me  rappelle  encore 
Ce  char  moelleux  que  clame  Roquelaure, 
Pour  promener  ses  ignobles  barbets , 
Tout  au  travers  de  la  cité  d'Isaure 
Faisait  traîner  par  deux  grands  chevaux  bais  ; 
Elle  insultait  ainsi  l'espèce  humaine. 
Quant  au  César  de  l'histoire  Romaine 
Qui  fit  nommer  sénateur  son  cheval , 
C'est  qu'il  était  lui-même  un  animal. 
Par  la  sambleu  !  pour  gentille  maîtresse 
Gardons  amour  et  baisers  :  une  ànesse 
Entre  nos  bras  vaudrait-elle  un  tendron  ? 

Sur  ce,  lecteur,  je  vais  à  mon  sermon 
Joindre  un  exemple.  Il  était  à  Toulouse, 
Près  du  musée,  un  chien  nommé  nion. 
Maigre  et  couvert  d'une  sorte  de  bouse, 
Il  inspirait  aux  passants  la  pitié  ; 
Mais ,  tant  est  vrai  que  le  sentiment  blouse , 
Quoique  tondu  par  la  gale  à  moitié , 


49 
Du  maître  encor  conservait  ramitié. 
Ce  maître-là  ,  dans  une  pauvre  échoppe 
Vendait  des  cuirs  ,  et,  lorsqu'il  vous  parlait, 
Croyant  parler  le  français  de  Mérope  , 
A  chaque  phrase  iceux  il  débitait. 
((  Pourquoi  garder  un  pareil  quadrupède  ?  » 
Dis-je  moi-même  un  jour  au  vieux  marchand 
«  Oncques  n'ai  vu  créature  aussi  laide.  » 

—  «  Ou  laid  ou  bel  il  est  craint  du  méchant  ;  » 
Répondit-il  «  sans  lui,  sans  son  courage, 

N'a  pas  longtemps ,  derrière  ce  vitrage , 
On  m'eût  volé  quatorze  mille  écus.  » 

—  «  Quatorze  mille  !  Oh!  plutôt  moins  que  plus  » 
Lui  répliquai-je.  Imprudente  parole  ! 

Oser  douter  que  chez  lui  le  Pactole 
Coule  à  pleins  bords!  Par  le  barbon  marri, 
De  tous  ces  mots  que  l'oreille  appréhende 
Et  dont  Gascon  a  si  large  provende  , 
Jugez  commentée  dus  être  agoni. 

Donc  cet  nion  puant ,  malingre  et  sale 
Pour  le  vieillot,  Nisus  au  front  jauni, 
A  défaut  d'autre  était  un  Euryale. 
Chaque  matin  le  patron  bienveillant 

5 


50 

Du  serviteur  débarbouillait  la  gale, 

Et  chaque  soir  en  laisse  le  tenant, 

Au  nez  de  tous  et  de  tous  à  la  vue , 

Il  lui  faisait  faire  au  coin  de  la  rue 

Ce  que  jamais  n'y  fait  un  habitant. 

Or,  sérieux  comme  un  juge  de  Flandre, 

Lorsque  notre  homme,  une  minute  ou  deux. 

Était  forcé  patiemment  d'attendre 

Que  le  lévrier  accroupi  de  son  mieux 

Eût  bien  rendu  tout  ce  qu'il  devait  rendre  ^ 

Tant  l'un  et  l'autre  étaient  disgracieux 

Que  l'un  pour  l'autre  on  aurait  pu  les  prendre. 

Ah  !  quel  joli  tableau  de  chevalet 

On  eut  fait  là  !  Pends-toi ,  brave  Courbet. 

Mais  Atropos,  sur  cette  rude  terre , 
Hommes  ou  chiens,  ne  nous  épargne  guère  ; 
Nous  sommes  tous  sujets  à  ses  ciseaux, 
C'est  le  destin  !  et  le  vendeur  de  peaux 
Eut ,  en  perdant  son  compagnon  fidèle  , 
De  cette  loi  la  preuve  fort  cruelle. 
0  nuit  terrible,  épouvantable  nuit 
Où  retentit  comme  un  coup  de  tonnerre 
Cette  ;iouvelle  au  Saint-Crépin  amère  : 


51 


«  Hion  se  meurt,  nion  est  mort!!!  »  Le  bruit 
Que  le  vieillaril  aussitôt  lit  enteudre , 
De  leur  demeure  obligea  de  descendre 
Tou5  les  voisins  pâles  et  consternés- 
«  Qu'est  donc  cela  ?  l'on  dirait  des  damnés 
Qui  de  l'enfer  arrivent  pour  nous  prendre.  » 
—  «  Hélas  î  voisins ,  »  répond  le  boutiquier 
((  C'est  mon  nion ,  mon  pauvre  et  cher  lévrier, 
Qui  dans  mes  bras  vient  à  l'instant  de  rendre 
Son  aboiement  suprême,  lui,  l'Argus 
Qui  me  sauva  trente-cinq  mille  écus  !  » 
L'argent  sauvé  croissait  de  plus  en  plus  ; 
Pour  mieux  prouver  qu'nion  était  habile , 
S'il  eût  osé,  notre  homme  eût  dit  cent  mille. 

La  foule  enfin  laissa  le  corroyeur 
Tout  à  son  aise  épancher  sa  douleur. 
Deux  amis  seuls  auprès  de  lui  restèrent 
Et  jusqu'au  jour  ensemble  sanglotèrent  : 
C'étaient  Tessoun,  un  tout  petit  tailleur, 
Et  Nasutus  ,  un  miroitier-doreur. 
Trio  charmant  faisant,  dit-on,  commerce 
De  certain  goût  qu'ont  le  Turc  et  le  Perse  ! 


52 

Adonc  ces  cris  ,  ces  larmes,  ce  fracas, 
Comme  jadis  au  tombeau  des  Incas , 
Troublant  au  loin  les  ténèbres  profondes. 
Semblaient  prédire  au  moins  la  fin  des  mondes  ; 
Et  lorsqu'au  ciel  revint  l'astre  brillant, 
Lorsqu'il  fallut  porter  mon  en  terre , 
Que  Nasutus,  Tessoun  et  le  marchand, 
Le  front  baissé,  l'œil  mouillé,  le  pas  lent, 
Suivirent  tous  le  convoi  funéraire , 
On  aurait  dit  le  grave  enterrement 
D'un  mainteneur  ou  d'un  apothicaire 
Ou  d'un  faiseur  de  cantates.  Aussi. 
Leur  jetait-on  un  regard  ébahi, 
Et  blàmait-on  en  eux  l'excès  d'un  zèle 
Permis  à  peine  aux  peuples  Indiens. 
«  Allons!  messieurs,  »  dit  une  jouvencelle. 
Des  spectateurs  rompant  les  entretiens 
«  Laissez  chacun  pleurer  en  paix  les  siens.  » 


Toalonse. 


LE  BARON  DE 


Mil-huit  cent  quarante-huit,  qui  bouleversa  l'onde 
Des  nations,  dans  sa  course  entraîna  le  baron  De  ***. 
Il  avait,  je  vous  jure  ,  un  singulier  esprit, 
Ce  monsieur  le  baron  ;  c'est  pourquoi  mon  récit 
Commence  en  son  honneur  par  deux  vers  romantiques. 
Il  excellait  surtout  aux  réponses  caustiques. 
Aussi  dans  un  salon ,  lorsque  chaque  invité 
S'embêtait  en  causant  avec  un  embêté , 
(Ce  petit  barbarisme  est  ici  pour  la  rime) 


54 

Si  le  baron  entrait,  quelle  joie  unanime  ! 

On  eut  cru  voir  entrer  le  Curé  de  Meudon. 

<(  Que  vous  êtes  gentil ,  cher  monsieur  le  baron  !  » 

Les  dames  s'écriaient  ;  et  lui  par  rouerie 

S'asseyait  en  riant  près  de  la  moins  jolie  : 

La  préférée  alors  l'aimait  pour  sa  bonté , 

Les  autres  par  dépit  ;  or  de  toutes  fêté, 

Et  jurant  à  la  blonde,  et  jurant  à  la  brune 

Une  fidélité  qu'il  n'avait  pour  aucune , 

De  chaque  poulailler  notre  homme  était  le  coq. 

Mais  las!  il  est  tombé  sous  un  bon  coup  d'estoc, 

En  duel. 

0  Lauzun ,  Don  Juan ,  Lovelace , 
Vous  n'êtes  plus  !  celui  qui  suivait  votre  trace, 
Le  baron  De  ***  n'est  plus!  !  Héros  de  la  beauté, 
Dieu  devrait  vous  donner  son  immortalité; 
Et  pour  l'indemniser  d'un  tel  octroi  de  vie. 
De  femmes  je  suis  sûr  qu'une  troupe  ravie 
En  échange  offrirait  la  moitié  de  ses  jours, 
La  dernière  moitié,  s'entend.  Parles  Amours 
Le  baron  sur  des  fleurs  adonc  fut  mis  en  terre. 

Et  qu'importait  après  que  Paris  fît  la  guerre  ; 
Que  sur  ce  grand  théâtre  où  le  monde  est  en  jeu, 


55 
Du  vieux  républicain  le  pubère  neveu 
Adaptât  le  bonnet  de  Phrygie  à  sa  tête  ; 
Que  trois  mots,  réunis  d'une  manière  abstraite 
Pour  résumer  en  eux  l'Évangile  divin, 
Fussent  à  chaque  mur,  comme  ceux  du  festin 
De  Balthazar,  écrits  en  anglaise  ou  bâtarde  ; 
Qu'au  nez  de  tous  les  rois  eût  monté  la  moutarde; 
Que  l'avenir,  miiié  par  des  vagues  de  sang, 
Chancelât  sur  sa  base,  et  qu'un  représentant 
De  vingt-cinq  francs  par  jour  fît  payer  sa  faconde?... 
Ces  dames  n'oyaient  rien  :  leur  tristesse  profonde 
Pour  cet  ami  perdu  gardait  tous  les  soupirs  ; 
Sa  mémoire  longtemps  occupa  leurs  loisirs  ; 
On  citait  ses  bons  mots  et  ses  bonnes  fortunes  ; 
Au  cœur  des  maris  seuls  il  laissait  des  rancunes. 
Los,  los  à  ce  baron!  Good  night !  De profundis t 

Adonc  je  vais  narrer  une  histoire  entre  dix. 
Mais  si  vous  la  trouvez,  comme  Astrée  ou  Cassandre, 
Mal  écrite,  ma  foi,  vous  pouvez  vous  en  prendre 
A  ma  belle,  d'humeur  noire  depuis  deux  jours, 
Parsqu'elle  voit  tout  jaune.  Au  temps  de  ses  amours, 
A  gente  châtelaine  en  robe  de  velours 
Notre  dandy  plaisait.  Du  royaume  de  Tendre, 


56 

Adorable  Clélie ,  adorable  Timandre  , 

Ensemble  ils  parcouraient  les  adorables  lieux. 

Un  époux  existait,  mais  comme  dans  les  cieux 

Existait  pour  Vénus  le  fabricant  de  foudre, 

Epoux  à. l'œil  de  qui  tous  deux  jetaient  la  poudre. 

Sans  cesse  cet  époux  s'occupait  au  jardin 

A  bêcher,  à  sarcler,  à  planter  ;  et  Sylvain , 

Ainsi  qu'un  archevêque  au  sein  de  son  chapitre. 

N'avait  de  jardinier  que  le  lucre  et  le  titre. 

Le  maître  détestait  Sylvain  ouvertement, 

Et  Sylvain  détestait  le  maître  sourdement. 

Pourquoi?  Par  cet  instinct  qui  fait  qu'un  homme  flaire 

Un  ennemi  caché  sous  un  ami. 

Derrière 
Un  massif,  un  chalet  avait  été  bâti. 
Là,  quand  monsieur  suant,  rouge,  à  moitié  rôti. 
Avec  regret  quittait  et  radis  et  concombre. 
Monsieur  venait  chercher  et  la  fraîcheur  et  l'ombre  ; 
L'intérieur  servait  de  boudoir  à  Vénus, 
Et  se  trouve  décrit  dans  le  fameux  Cyrus. 
Or,  un  jour,  à  Sylvain  passant  près  la  fenêtre 
Quelques  mots  entendus  prouvèrent  que  son  maître 
Pour  être  froid  mari  n'était  pas  froid  amant. 
«  Bon,  je  va^  me  venger  »  se  dit  le  garnement. 


57 
Il  galope  au  castel  ;  il  entre  dans  la  chambre 
Sans  frapper...  Dieu  !  dessus  un  coussin  qui  sent  l'ambre 
Madame  avait  ouvert,  sous  les  yeux  du  baron, 
Le  livre  intitulé  morale  en  action. 
La  surprise,  d'un  niais  donne  au  gars  la  figure. 
Il  n'ose  plus  parler  :  une  même  aventure 
Au  lieu  d'une  vengeance  en  procurera  deux. 
La  belle  est  interdite  et  baisse  ses  grands  yeux. 
Mais  le  baron  bien  vite  a  rompu  le  silence  : 
«  Je  viens  de  faire  ici  certaine  expérience 
De  physique,  »  dit-il,  grave  comme  un  recors 
«  J'ai  Ml  que  la  chaleur  fait  dilater  les  corps.  » 

—  «  Possible  !  »  répart  l'autre  «  Hében  !  cette  physique 
Au  chalet  m'sieu  z'aussi  sait  la  mettre  en  pratique. 

—  Lui?  mon  mari?  le  traître!  allons-y.  » 

Le  paysan 
Comme  un  tambour-major  soudain  marche  devant  ; 
De  dire  n'est  besoin  si  son  àme  jubile. 
Madame  vient  après,  et  puis  en  serre-file 
Arrive  le  baron.  Sur  les  étroits  sentiers, 
A  peine  du  trio  s'impriment  les  souliers. 
Tant  il  se  hâte.  Ainsi,  dans  le  siècle  d'Horace, 
Les  nymphes  sur  les  prés  ne  laissaient  pas  de  trace. 


58 

Ah!  te  voici,  chalet,  objet  de  leurs  désirs, 
Coupable  protecteur  de  coupables  plaisirs, 
Abominable  autel  où  l'horrible  adultère 
Fait  fumer  un  encens  que  repousse  la  terre. 
Ouvre-toi  sous  leur  triple  et  furieux  effort!... 
Il  s'ouvrit...  0  surprise,  ô  rage,  ô  déconfort! 
Oncques  positions  me  parurent  plus  louches. 
Cinq  cris  au  firmament  montèrent  de  cinq  bouches  : 
c(  Est-ce  vous?  -C'est  bien  nous  !  -  Est-ce  toi?  -  C'est  bien  moi!  » 
Cas  de  flagrant  délit,  cas  prévu  par  la  loi. 
La  Phryné  vainement  dans  un  coin  s'enveloppe, 
Sylvain  ouvr«  des  yeux  comme  l'œil  d'un  cyclope. 
Il  reconnaît...  qui  donc?...  J^vous  le  donne  en  vingt... 
Je  vous  le  donne  en  cent...  Oh!  çe^pauvre  Sylvain!... 

Devinez Hé  bien,  donc!  il  reconnaît  sa  femme. 

Oui,  madame  Sylvain,  la  coquine,  l'infâme. 

Elle,  elle!...  Et  mon  Sylvain,  qui  croyait  se  venger! 

Quel  effet  théâtral!  Tous  veulent  déloger, 

Mais  Sylvain  les  arrête  ;  il  rugit  comme  un  tigre  : 

«  Vous,  m'sieu,  z'avec  ma  femme  !  Ah  saperlotte  !  ah  bigre  ! 

Qu'j'vous  apprenions  z'aussi  quej'ons  vu  dans  1'  boudoir 

La  vôtre  avec  l'baron  comme  j'  venons  d'  vous  voir!  x 

Toulouse. 


LA    MÉTEMPSYCOSE 


Dans  le  néant  est-ce  que  la  mort  jette 
Les  animaux?  Ont-ils  un  paradis, 
Et  d'un  enfer  la  flamme  qui  rachette 
Tous  les  gigots  mangés  les  vendredis  ? 
Ont-ils  une  âme  et  sensible  et  pensante 
Comme  leur  roi,  That  is  the  question. 
Locke  a  dit  oui  ;  Descartes  a  dit  non. 
Hé  bien!  pour  clore  une  discussion 


<50 

Qui  sans  cela  serait  longtemps  pendante , 

Au  lieu  d'une  âme  admettons-en  nouante. 

Et  pourquoi  pas  ?  N'a-t-on  pas  vu  des  chiens 

Amis  plus  sûrs  que  beaucoup  de  chrétiens? 

Maître  renard  n'est-il  pas  le  sosie 

De  don  Jésuite  ?  Un  tigre  au  créancier 

Certes  ressemble  ;  un  ours  vaut  un  banquier  ; 

Et  franchement  l'éléphant  de  l'Asie 

A  bien  d'esprit  trois  fois  plus  qu'un  fripier. 

Partageons  donc  l'avis  de  Pythagore  : 
«  Lorsqu'Atropos  a  coupé  notre  fil ,  ' 
Nous  renaissons  et  revei^ons»  dit-il 
«  Faire  mouvoir  un  autre  c^rps  encore.» 
Point  cependant  ne  me  jugez  épris 
D'un  pareil  dogme  au  fond  de  l'Inde  appris  : 
Dévots  lecteurs  m'en  feraient  trop  grand  crime , 
Je  crois  en  Dieu  quoique  je  mange  gras, 
Et  de  la  sorte  ores  si  je  m'exprime, 
C'est  que  mon  conte  est  juste  dans  ce  cas. 
On  peut  nier  que  l'on  devienne  bête 
Après  la  mort;  mais  je  connais  des  gens 
Qui  prouveraient  d'une  manière  nette 
Qu'ils  durent  être  animaux  dans  le  temps. 


6« 
Et,  je  vous  prie,  où  seraient  à  cette  heure 
Ces  ruminants  que  l'histoire  nota? 
Le  bœuf  de  qui  Memphis  fut  h\  demeure, 
La  vache  ïo ,  h  chèvre  que  têta 
Feu  Jupiter,  et  la  petite  biche 
Qui  dans  le  coin  d'une  grotte  allaita 
Geneviève?  Or  la  gent  à  patte  est  riche 
En  renommée  !  On  connaît  le  lion 
De  Damoclès  et  celui  de  Florence; 
On  sait  quel  fut  l'ami  de  confiance 
Du  grand  saint  Roch  ;  quel  fut  le  compagnon 
De  saint  Antoine,  un  saint  qui  dut,  je  pense, 
Aimer  la  truffe  ;  enfin  de  Pelisson 

On  se  rappelle  encor  la  pauvre  aragne 

Et  tout  cela  serait  mort  sans  retour, 

Évaporé  comme  dans  la  campagne 

Un  peu  d'aiguaïl  aux  premiers  feux  du  jour!... 

Jà  m'est  avis  que  dans  le  corps  des  bêtes 

Dieu  met  d'abord  des  âmes  incomplètes. 

Des  rudiments,  et  qu'ensuite  de  là 

Il  les  envoie  occuper  sur  la  terre 

Celui  d'un  pâtre ,  ou  d'un  vétérinaire, 

Ou  d'un  huissier,  ou  d'un  noir  Loyola  ; 

De  là  peut-être  elles  deviennent  anges. 


62 

Ma  foi,  j'ai  lu  des  rêves  plus  étranges. 
Cette  doctrine  au  moins,  de  l'imparfait 
A  l'agrément  de  monter  au  parfait  : 
C'est  pas  si  sot ,  parbleu  !  tout  compte  fait. 
Donc  je  m'y  tiens,  et  voici  mon  histoire. 

Naguère  à  Digne  existait  un  prélat 
Dont  les  vertus  brillaient  d'un  tel  éclat , 
Que  peuple  encore  en  garde  la  mémoire. 
Comme  l'apôtre  il  cédait  son  manteau, 
Au  nom  du  Christ  donnait  le  verre  d'eau, 
Avait  toujours  distribué  d'avance 
Les  revenus  que  lui  faisait  la  France, 
Et  pour  tout  bien  gardait  dans  sa  maison 
Un  lit ,  un  banc,  un  livre  d'oraison. 
Et  puis  un  âne.  Homme  des  évangiles. 
Quant  il  avait  prêché  l'humilité. 
Au  lieu  d'aller  parcourir  la  cité 
Dans  un  carrosse  à  deux  chevaux  agiles, 
Dessus  son  âne  avec  peine  monté. 
Il  regagnait  à  pas  lents  sa  demeure. 
D'un  tel  pasteur  l'aumône  était  meilleure; 
Voltaire  même  aurait  pressé  ses  mains  ; 
Tant  il  est  vrai  que  l'exemple  aux  humains 


63 
Seul  en  impose  !  Avis  à  ces  évêques 
Dont  l'équipage  écrase  les  passants. 

Du  Christ  à  pied  quand  reviendra  le  temps? 

Il  reviendra  pour  les  kalendes  grecques. 

Adonc  un  jour  le  pontife  expira, 
S'en  fut  au  ciel ,  et  sur  terre  laissa 
Son  lit ,  son  banc,  et  son  livre ,  et  son  âne  ; 
Quant  à  la  mître,  un  autre  en  hérita. 
Lors  le  baudet  qui  n'était  pas  ingrat, 
Plein  de  chagrin  et  vide  de  tisane, 
Après  avoir  langui  deux  mois,  creva. 
Or,  pour  savoir  quelle  est  la  destinée 
Qu'au  mammifère,  ainsi  mort  de  douleur, 
Les  justes  dieux  par  la  suite  ont  donnée, 
J'ai  consulté  certain  magnétiseur. 
Et  sur  le  bois  d'une  table  tournante 
Nous  avons  vu  tracé  ce  que  je  chante. 

Un  quadrupède  et  si  bon  et  si  doux, 
Un  quadrupède  orné  d'oreilles  telles 
Qu'Ignorantin  n'en  a  pas  de  plus  belles. 
Un  quadrupède  ayant  sur  son  dos  roux 
Porté  quinze  ans  le  saint  Job  à  la  messe, 


f/ir 

Et,  s'il  trottait  dans  la  nuit  par  hasard 

Entre  deux  clercs  qui  le  menaient  en  lesse, 

N'ayant  jamais  commis  le  moindre  écart, 

Un  quadrupède  à  qui  gens  de  village 

Qu'on  bénissait  rendaient  sa  part  d'hommage. 

Un  quadrupède  enfin  que  la  chanson 

Traite  partout  de  maître  Aliboron, 

(Je  vous  en  fais,  lecteur,  juge  vous-même) 

Méritait  bien  la  récompense  extrême 

De  devenir  chrétien  par  le  baptême!!! 

On  l'a  fait  homme,  et  n'appréhendez  pas 
Que  j'aille  ici  par  pure  espièglerie 
Dire  qu'il  siège  en  notre  académie  ; 
Trop  ce  serait  y  causer  d'embarras, 
Car  sur  quarante  il  en  est ,  je  parie. 
Vingt  qu'on  pourrait  prendre  pour  le  Midas. 
((  Lors  J>  direz-vous  «  Quel  métier  ici-bas 
Votre  héros  Arcadien  pratique?  » 
Pardienne  !  il  est  professeur  de  musique. 


Toulou^e^- 


L'HYDROPIQUE. 


Près  la  barrière  du  Maine 
Un  gros  monsieur  s'installa. 
Il  était  si  gros  qu'à  peine, 
Quand  il  allait  au-delà 
Respirer  l'air  de  la  plaine, 
Il  pouvait,  sans  perdre  haleine. 
Marcher  au  bras  d'un  garçon 
Et  courbé  sur  un  bâton. 


66 

Dans  Topinion  publique 
Il  passait  pour  hydropique. 
Les  employés  de  l'octroi 
A  ce  bruit  ajoutaient  foi; 
Mais  il  l'était,  je  vous  jure, 
Comme  à  peu  près  vous  et  moi 
Contrebande  toute  pure  ! 

Son  faux  ventre  était  un  sac 
Dans  lequel  rhum  et  cognac 
Sans  payer  entraient  en  ville  ; 
Et  ce  trafic  très-habile 
Nourrissait  le  malotru. 
Lorsqu'enfin  la  fourberie 
Fut  découverte  et  punie  : 
c(  Jusqu'à  présent  on  a  vu  » 
Dit  quelqu'un  par  raillerie 
((  Qu'on  mourait  d'hydropisie, 
Ce  monsieur  en  a  vécu.  » 


P«rî«. 


TROIS    SOLEILS 


0  soleil  de  Paris,  ô  soleil  sans  rayons, 
Soleil  à  qui  janvier  met  un  voile  de  glace. 
Fantôme  de  soleil  que  je  regarde  en  face, 
Es-tu  bien  le  soleil  qui  flambloie  et  qui  passe 
En  ce  moment  sur  Canne  et  mûrit  les  citrons? 

Non ,  tu  n'es  pas  cet  astre  éclatant  de  lumière , 
Ce  vieil  ami  qu'au  loin  cherche  en  vain  mon  regard, 
Qui  dans  mes  jeunes  ans  avait  pour  tout  brouillard 
Les  fleurs  que  mes  deux  mains  lui  jetaient  au  hasard; 
Va ,  poursuis  tristement  ton  obscure  carrière  ! 


68 

Un  soleil  n'est-il  point  un  disque  aux  mille  feux 
Qui  commence  à  briller  dès  la  naissante  aurore , 
Brille  dans  la  journée  et  le  soir  brille  encore  , 
Si  splendide,  si  pur  que  maint  peuple  l'adore? 
Pour  des  gens  ennuyés,  toi,  lu  n'es  qu'ennuyeux. 

Aussi,  piètre  soleil,  je  te  préfère  même 
Cet  être  bel  et  fier,  aux  lèvres  de  vermeil, 
Que  du  temps  de  Ronsard  on  appelait  soleil 
Comme  toi,  qu'on  disait  comme  toi  sans  pareil, 
Et  qui  pourra  m'aimer  peut-être,  si  je  l'aime. 

Oh  !  de  ces  soleils-là  le  nombre  est  grand  ici  : 
Aux  théâtres,  aux  bals,  à  pied,  en  équipage. 
Le  long  des  boulevards,  sous  le  riche  passage , 
On  en  voit  comme  grains  de  sable  sur  la  plage 
Ou  globules  mousseux  dans  un  verre  d'aï. 

Je  ne  veux  point  parler  de  la  mère  des  Gracques, 
Des  femmes  dont  le  teint  rougit  sous  un  regard , 
Mais  de  celles  qui  vont  couvertes  de  brocart , 
De  qui  l'ardent  eoup-d'œil  pénètre  comme  un  dard  , 
Qui  boiraient  dans  un  crâne,  et  ne  font  pas  leurs  pàque«. 


«  Laïs ,  puisque  tu  tiens  la  ceinture  d'Amours , 
Je  te  suivrai ,  marchons  vers  ta  chambre  dorée , 
Voyons  si  j'ai  raison  de  t'avoir  préférée 
A  ce  pâle  flambeau  de  la  voûte  éthérée, 
Indigne  d'exister  pour  de  si  pâles  jours. 

— Et  que  veux-tu  de  moi? — Je  veux  que  ton  cœur  m'aime: 

Et  je  te  donnerai  mon  cœur,  mes  rêves  d'or, 

Vingt  ans  qui  dans  tes  bras  me  rendront  souple  et  fort, 

Mes  baisers ,  des  baisers  à  réchauffer  un  mort, 

Des  roses  sur  ton  front  formant  le  diadème 

— Je  connais  mon  Gesner. . .  tranchons. . .  combien  d'écus? 
—  J'ai  près  la  côte  un  champ,  des  orangers,  des  treilles, 
Du  lait  pour  ta  poitrine ,  une  ruche  d'abeilles  , 

De  quoi  vivre  tous  deux  sans  soucis  et  sans  veilles 

Vraiment,  gentil  soleil,  qu'exiges-tu  de  plus? 

Ah!  voilà  que  tu  ris  à  troubler  ta  demeure! 
Je  te  comprends,  soleil  encor  moins  généreux 
Que  ce  pauvre  soleil  tout  morne  au  haut  des  deux. 
Hé  bien  !  l'épreuve  est  faite  à  présent  :  à  mes  yeux 
Lui  ni  toi  ne  valez  le  soleil  que  je  pleure!  i> 

Paris. 


LA  HAUSSE  ET  LA   BA^SSE 


Je  vais,  de  Lapalisse  employant  le  système, 
Citer  des  faits  d'une  évidence  extrême  ; 
Les  curés  font  maigre  en  carême  ; 
Le  mistral  est  un  petit  vent  ; 
La  Gazette  de  France,  un  journal  amusant; 
Camélia  de  camelus  venant, 
Une  fleur  tout-à-fait  honnête  ; 
L'artiste  a  beaucoup  de  crédit, 
Le  rentier  a  beaucoup  de  tête. 
Le  banquier  a  quelquefois  de  l'esprit , 


71 


La  Rigolboche — et  "  cœtera  pantoufle!  " 

Non,  cher  poète,  au  lieu  d'être  un  Hermès 
Ton  Lapalisse  a  l'air  d'être  un  maroufle. 
—  Hé  bien  !  lecteur,  uno  disce  omnes. 

Certain  banquier  nommé,  je  crois,  Léandre, 

Comme  ses  confrères  voulait 

Par  des  formules  de  Legendre 

Pouvoir  tout  exprimer  et  rendre , 

Car  sans  cela  point  ne  savait 

Les  plus  simples  choses  comprendre. 

A  l'Opéra  l'attirait-on 

Au  moyen  d'un  pompeux  programme , 

Deux  actes  de  plus  dans  un  drame 

Le  décidaient  pour  l'Odéon. 
En  mesurant  il  jugeait  la  peinture , 
Et  vous  troquait  d'un  air  de  connaisseur 
Pour  trois  mètres  carrés  de  toile  de  Couture 

Un  mètre  de  Rosa  Bonheur. 
Entre  eux  il  comparait ,  prose  ou  vers,  les  ouvrages , 
En  calculant  la  quantité  de  pages. 

Lorsque  chez  lui  venaient  les  sœurs 

Quêter  une  fois  chaque  automne , 

Des  pauvres  à  qui  sa  main  donne 


fi 

H  eut  voulu  compter  les  pleurs 

Pour  proportionner  l'aumône. 

Que  ne  compte  pas  un  banquier! 
Si  nous  croyons  cette  race  abrutie , 

Le  monde  n'est  qu'un  échiquier  : 
Qui  chiffre  bien  y  gagne  la  partie. 

Léandre  adonc  voyait  certain  voisin, 
Marchand  de  laine  et  de  basin, 
Fournir  à  sa  gente  maîtresse 
Linge  et  robes  dont  la  simplesse 
Laissait  encore  par  malheur 
De  la  marge  à  l'enchérisseur. 
Lors  il  se  dit  :  «  cet  homme  donne  un  châle , 
Donnons  en  deux;  il  donne  bijoux  d'or, 
Donnons  rubis  ;  il  lui  paie  une  stalle 
Pour  aller  voir  lucie  ou  léonor, 
Payons  la  loge.  »  Et  le  voilà  de  suite , 
Sur  Barème  à  cheval ,  prenant  un  franc  essor 
Et  commençant  sa  galante  poursuite. 

Or  Philippe  disait  souvent  : 
«  Il  n'est  aucune  forteresse 
Qui  puisse  résister  en  Grèce 


73 

A  deux  mulets  chargés  d'argent.  » 

En  France  en  est-il  autrement? 
Pour  les  forts,  je  ne  sais;  mais  très-certainement 
Au  prix  des  mulets  seuls  une  fille  vous  cède. 
Icelle  dont  s'agit  fit  bien  quelques  façons , 

Mais  les  multiplications 

A  Léandre  venaient  en  aide. 
Hélas  !  bientôt  notre  pauvre  marchand 

Voit  qu'on  moissonne  dans  son  champ, 

Et  qu'avecque  beaucoup  d'adresse 
Or  le  supplante  auprès  de  sa  maîtresse. 
Tout  furieux  il  accourt  un  matin 
Vilipender  le  banquier  libertin  ; 
Mais  icelui  (c'est  ici  le  miracle, 
La  rareté  plus  rare  qu'un  oracle , 
Le  trait  qui  forme  enfin  mon  argument) 
Icelui,  dis-je,  en  sa  cervelle  épaisse 
Trouve  un  bon  mot  né  l'on  ne  sait  comment, 
Et  vous  répond  au  mau piteux  amant  :     * 
«  Que  voulez-vous  !  mon  cher  négociant , 
Je  suis  la  hausse  et  vous  êtes  la  baisse.  » 


LE  POULET  A  LA  COMPATRIOTE 


Supposez -vous  en  pays  étranger, 
Un  jour  de  fête,  au  milieu  d'une  chambre 
Très-mal  garnie,  et  n'ayant  pour  manger 
Que  du  pain  sec  comme  un  pauvre  Sicambre. 
Que  feriez-vous  ?  Croquant  un  souvenir 
Et  dégustant  quelques  noms  de  liquides  , 
Vous  vous  diriez  devant  vos  poches  vides 
«  Qui  dort  déjeune  »,  et  vous  iriez  dormir. 
Pauvre  honnête  homme  !  Une  philosophie 
Qui  doit  si  mal  remplir  votre  estomac, 
Mérite-t-elle  encor  d'être  sui^ie  ? 


75 
Vous  allez  voir  comment  certain  Jarnac 
A  mon  égard,  en  semblable  occurrence, 
Se  comporta.  «  Mon  cher  »  dit-il  «  bonjour  ; 
C'est  aujourd'hui  la  Toussaint,  et  je  pense 
Que  ce  poulet  que  j'ai  pris  chez  Véfour 
Pourra  très-bien  se  joindre  à  tes  compotes. 
Donc  je  m'in\ite  à  souper.  Tu  le  sais, 
On  est  sans  gêne  entre  compatriotes.  )) 

Le  lendemain ,  quand  messer  Rabelais 
A  mon  coucou  fit  sonner  son  quart-d'heure, 
Du  dit  rôti ,  commandé  sur  mon  nom , 
Je  dus  payer  la  facture  au  garçon  ; 
Mais,  il  est  vrai,  pour  rien  j'eus  la  leçon. 
Qu'en  votre  esprit  cette  histoire  demeure. 
C'est  pour  souper  gratis  l'expédient  ; 
Et  si  parfois  vous  soldez  une  note 
Sans  la  devoir,  ajoutez  en  riant  : 
«  C'est  un  poulet  à  la  compatriote  !  » 


Paris. 


UN  GRASSOIS  ET  SIX  CANONS 


Ne  sommes  plus  en  ce  siècle  divin 
Où  sans  détour  parlaient  Horace  et  Perse , 
Sur  les  auteurs  procès  pleuvent  à  verse  : 
Me  faut  donc  mettre  un  peu  d*eau  dans  mon  vin, 
Et  vous  cacher  les  noms  du  personnage 
Qui  de  ces  vers  est  le  héros.  Je  gage 
Qu'à  ces  noms-là  tenez  précisément. 
Tant  pis  !  Je  puis  vous  dire  seulement 


77 
Que  le  pays  où  se  passa  la  chose 
Est  ce  pays  où  Progné  se  repose 
Durant  janvier  aux  branches  de  citrons , 
Ce  beau  pays  qui  guérit  les  phthisies 
A  force  d'air,  d'arômes ,  de  rayons , 
Qui  voit  les  fleurs  émailler  ses  prairies 
Pendant  que  nous  à  Paris ,  nous  gelons  !  !  ! 
Tel  paradis  est  ou  Cannes  ou  Nice  : 
Hé  bien  !  c'est  Canne. 

A  Cannes,  sur  les  fj«ais, 
Six  gros  canons  en  fonte  noire  et  lisse 
Furent  un  jour  lentement  débarqués. 
D'une  tartane  aux  vastes  flancs  arqués , 
Ils  avaient  seuls  fait  la  charge  grossie  ; 
Pour  les  hisser  de  la  cale  afl*aiblie , 
Chaîne,  levier,  cabestan  et  poulie 
Avaient  grincé,  craqué,  gémi;  les  flots 
S'étaient  six  fois  reculés  en  furie  ; 
Et  pour  les  mettre  en  rang  vingt  matelots 
Avaient  sué  quatre  mois  de  leur  vie 

Enfin  tous  six  côte-à-côte  placés. 
Lumière  en  bas,  sans  gardien  sont  laissés, 


78 

Comme  apparaux  frappés  de  quarantaine. 

Adjoints,  maïeur,  employés  du  domaine 

S'en  revenaient  causant  à  haute  voix 

Des  dits  canons.  Passe  un  de  ces  Grassois 

Qui  pour  un  sou  perdu  mourraient  de  peine  : 

((  Ores,  messieurs,  »  dit-il  en  son  patois 

«  Craignez-vous  pas  qu'un  voleur  ne  les  prenne?» 


BOUTADE 


Ce  jour-là  il  pleuvait,  le  ciel  et  les 
idées  étaient  noirs,  la  Seine 


«  Le  bonheur,  mon  ami,  c'est  une  ombre  craintive  ; 
Plus  nous  la  poursuivons,  plus  elle  est  fugitive. 
Quand  on  va  le,  chercher  sous  les  zones  d'azur, 
Il  est  sous  les  frimas.  C'est  un  fruit  jamais  mûr, 
Un  diamant  qu'on  voit  toujours  au  doigt  des  autres, 
Un  Messie  attendu  par  des  milliers  d'apôtres 
Qui  l'ont  tué  parfois  en  le  méconnaissant 


80 

—  Sans  pierre,  mon  ami,  l'orfèvre  est  impuissant 
A  reconnaître  l'or  ;  le  bonheur  sur  la  terre 

Pour  qu'on  le  reconnaisse  a  de  même  sa  pierre  : 
La  souffrance.  Le  cœur,  après  avoir  souffert. 
Bien  plus  facilement  à  la  joie  est  ouvert  ; 
Et  le  repos  alors  au  sein  de  la  campagne, 
Entre  une  femme  aimée  et  quelque  blond  enfant  ; 
N'est-ce  pas  le  bonheur? 

—  Ah  !  très-bien  !  ah  !  charmant  ! 
Vous  venez  de  relire  à  coup  sûr  Florian. 

—  Raillez,  et  néanmoins,  lorsque  l'ennui  vous  gagne, 
Vous  savez  comme  moi  fuir  les  murs  de  Paris, 

Fuir  ses  gris  boulevards  bordés  d'arbres  en  peine, 

Et  repaître  plus  loin  vos  yeux  des  prés  fleuris, 

Des  monts  où  naît  la  source  et  de  l'immense  plaine. 

—  Les  champs  comme  remède ,  à  la  bonne  heure;  mais 
Les  champs  comme  séjour  continuel,  jamais. 

—  Vous  leur  préférez  donc  cette  visqueuse  boue 
De  nos  places,  cet  air  sans  parfum,  sans  fraîch^eur 
Qui  ronge  les  poumons  et  ,qui  ternit  la  joue? 


—  Que  me  dites-vous  là?  Paris,  c'est  l'éditeur, 
Le  théâtre,  l'esprit,  le  luxe,  l'Empereur; 

Ce  sont  les  monuments,  les  passages,  les  fêtes. 

—  Paris  une  fois  vu  n'a  plus  rien  de  Paris, 
Et  sa  littérature  arrive  en  tous  pays. 

Quant  aux  plaisirs  d'aulrui,  ce  sont  des  casse-têtes, 

Si  vous  n'y  prenez  part.  Au  reste  ils  sont  jolis , 

Ces  plaisirs  :  un  repas  chez  Verdier  où  l'on  mange 

Pour  de  l'or  quelques  fruits  qu'un  paysan  a  pour  rien, 

Où  l'on  traîne  avec  soi  ramassée  en  la  fange 

Une  fille  publique,  où  l'on  trouve  moyen 

De  se  soûler  aux  Ilots  d'un  prétendu  Langlade 

Fabriqué  sans  raisin;  puis  une  promenade 

A  ce  Bois  de  Boulogne  où  le  "  camélia  " 

Racole  le  butor  qui  vous  remplacera  ; 

Puis  Fabsinthe  qui  tue,  et  puis  un  opéra, 

Et  puis  avec  la  belle  une  nuit  infamante , 

Et  puis nous  connaissons  les  talents  de  Ricord!! 

Des  plaisirs  de  Paris  voilà  la  variante. 
Alicanthe  à  vos  yeux ,  mais  toujours  Alicanthe, 
C'est  l'uniformité  comme  aux  vallons. 

—  Encor 
Voudrez-vous  avouer  qu'elle  est  bien  préférable 

7 


82 

A  celle  des  vallons. 

—  Personne  n'est  d'accord 
Sur  les  goûts.  L'Océan  et  la  Seine  ont  un  bord  ; 
Courir  sur  le  bitume  ou  courir  sur  le  sable , 
C'est  courir.  Restez  donc  dans  cette  orgie  aimable  : 
Qu'est-il  besoin  de  plus?  vous  avez  le  bonheur. 
Pour  moi,  je  veux  les  eaux,  les  bocages,  la  fleur, 
La  nature  sauvage  et  les  amours  du  cœur. 
J'aime  le  plein  soleil,  j'aime  le  crépuscule, 
J'aime  les  vieux  rochers,  j'aime  la  renoncule 
Sur  ma  porte  accouplée  à  l'odorant  jasmin, 
J'aime  le  chien  joyeux  qui  me  lèche  la  main 
Pour  m'éveiller,  les  chants  du  coq ,  et  dans  l'étable 
La  vache  qui  mugit,  et  sur  le  toit  penchés 
Les  pigeons  attendant  les  miettes  de  ma  table , 
Et  les  moineaux  voleurs  sur  les  branches  perchés 
Secouant  autour  d'eux  les  perles  de  l'aurore 

0  fière  liberté ,  liberté  que  j'adore, 
0  vendange,  ô  moisson,  ô  senteurs  de  la  mer, 
0  tempête,  ô  simoun  qui  nous  viens  du  désert, 
0  pommes  d'or  jadis  prises  aux  Hespérides, 
0  superbe  olivier  dont  le  front  touche  aux  cieux, 
0  pin  géant  nourri  par  les  algues  humides, 


ta 

0  lune  qui  le  soir  sur  les  abîmes  bleus 
Traces  vers  l'infini  ce  long  chemin  de  feux, 
0  beautés  qu'autrefois  admirait  mon  enfance, 
Qui  m'avez  fait  poète  et  que  je  ne  vois  plus, 
Seul  bien  contre  lequel  aux  démons  apparus 
Je  céderais  mon  âme,  inutile  créance. 

Comme  dans  la  légende ose-t-on  sans  démence 

Vous  comparer  des  quais,  des  trottoirs?.... 

—  Là  dessus , 
Je  vous  laisse  rêver,  mon  cher  ;  je  vous  souhaite 
Une  flûte,  des  bœufs,  des  rubans,  la  houlette, 
Et  beaucoup  de  bonheur ,  si  vous  le  trouvez  là. 

—  Qu'est-ce  donc  le  bonheur?  qui  le  définira?  » 

Lors  mon  ami  fit  une  pirouette 

Et  répondit:  «  le  bonheur,  c'est  cela.  » 


COMMENT  ON  FAIT  BANQUEROUTE 


En  ce  pays  qu'arrose  la  Plata , 
A  sa  négresse  un  colon  expliqua 
Ce  qu'on  entend  par  faire  banqueroute. 
«  On  prend  d' autrui  les  biens  et  Ton  s'en  va  » 
Dit-il  «  ailleurs  vivre  de  ces  biens-là.  » 
Négresse  peu  comprend  ce  qu'elle  écoute. 
Le  lendemain,  pendant  que  le  colon 
Se  promenait  dans  sa  plantation , 


La  noire  enfant  de  la  brûlante  Afrique 
En  un  clin-d'œil  dépouille  le  salon. 
Lustre,  pendule,  étagère  gothique, 
Chaises^  fauteuils,  tableaux,  vases  chinois 
Sont  enlevés  et  montés  sur  les  toits. 

Le  maître  rentre.  Il  voit  dessus  sa  ferme 
Son  mobilier  pêle-mêle  entassé , 
Et,  par  devant,  debout  comme  un  dieu  Terme 
Et  grimaçant  ainsi  qu'un  chimpansé 
Notre  négresse.  «  Ah!  »  dit-il  «  plus  de  doute, 
Ce  vol  naïf  est  un  malentendu.  » 
Lors  en  riant,  du  milieu  de  la  route, 
A  son  esclave  il  crie  :.  «  Hé  !  que  fais-tu  ?. . . 
—  Maître  à  moa ,  H  faisons  cambaroute,  » 


Pari». 


STANCES   MACABRES 


Elle  avait  de  grands  yeux,  Berthe ,  la  jeune  fille, 
Si  grands  qu'un  cavalier,  en  passant  au  galop. 
Les  vit  de  loin  briller  à  travers  la  mantille , 
Pareils  aux  diamants  d'un  cortès  de  Séville, 
Et  que  le  cavalier  aima  Berthe  aussitôt. 

Le  coursier,  retenu  par  les  mors  blancs  d'écume, 
Dans  son  élan  sauvage  à  regret  s'arrêta  ; 
Son  pied  d'airain  frappait  le  roc  comme  une  enclume. 
Sa  crinière  ondulait  sur  le  garrot  qui  fume. 
On  eut  dit  Eoùs  sculpté  par  Canova. 


87 
«  Aux  lisières  du  bois,  enfant  de  la  vallée, 
Que  cherchez-vous  ainsi?  »  dit  l'escuyer  galant. 
—  «  Je  cherche  »  répartit  la  vierge  encor  troublée 
Par  l'apparition  «  cette  fleur  étoilée 
Qui  fait  savoir  combien  vous  aime  votre  amant. 

—  Moi ,  tout  près  je  connais  une  grotte  secrète 
Où  bien  mieux  que  la  fleur  un  devin  vous  dira 

Si  votre  amant  vous  aime  et  si  son  âme  est  prête 
A  s'unir  à  votre  âme  en  un  hymen  honnête, 
Ou  si,  les  amours  bus,  il  vous  délaissera.  » 

—  «  Très-noble  cavalier,  »  alors  s'écria  Berthe 
«  Veux-tu  vers  ce  devin  me  guider  à  l'instant  ?  » 
Ils  marchèrent.  Bientôt  sous  une  ronce  verte 

La  grotte,  entre  deux  blocs  comme  un  cratère  ouverte. 
Apparut  éclairée  à  peine  et  tristement. 

Ils  entrèrent  sans  peur  ainsi  qu'en  une  église  : 
Et  pourtant  ce  n'étaient  qu'horribles  détritus , 
Des  ossements  noircis  jonchant  la  terre  grise , 
Bien  plus  nombreux  que  ceux  des  soldats  de  Carabyse, 
Omoplates ,  sternums ,  tibias ,  cubitus  ; 


Et  comme  au  carrousel  le  sol  sous  les  comparses  , 
Comme  au  bord  de  la  mer  les  sables  sous  les  flots , 
Sous  leurs  rapides  pas  craquaient  les  métatarses, 
Les  vertèbres  parmi  les  humérus  éparses  , 
Les  fémurs  entassés  sur  côtes  et  frontaux  !  ! 

Devant  Berthe  à  la  fin  une  autre  crypte  s'ouvre  : 
Elle  voit  là  des  murs  plus  brillants  que  les  cieux , 
Que  les  vagues,  la  nuit,  quand  l'Océan  s'entrouvre , 
Que  le  Régent  fameux  conservé  dans  le  Louvre , 
Et  néanmoins  encor  moins  brillants  que  ses  yeux  ; 

Et  tout  autour,  rangés  comme  une  sainte  crèche , 
Les  plus  riches  objets ,  les  plus  rares  bijoux , 
Des  chandeliers  ayant  un  rubis  pour  bobèche , 
Des  cristaux  où  la  fleur  demeure  toujours  fraîche 
Et  des  perles  à  rendre  un  grand  visir  jaloux. 

Et  le  devin ,  au  fond  ,  sur  un  trépied  d'ivoire  , 
Les  regardait  venir.  Et  l'escuyer  galant 
L'interrogea,  disant  :  «  0  vieillard  qu'on  peut  croire, 
Berthe,  a-t-elle  fait  naître  un  amour  illusoire  ? 
Berthe ,  a-t-elle  au  contraire  un  damoiseau  fervent  ?  » 


8ft 
Le  devin,  ayant  lu  son  livre  de  cabale 
Et  relu,  répondit  :  «  il  ne  vous  aime  pas....  » 
Puis  disparut  derrière  un  angle  de  la  salle. 
Et  l'escuyer,  joyeux  d'une  joie  infernale  , 
Ajouta  :  «  tu  le  vois ,  les  hommes  sont  ingrats. 

Hé  bien!  enfant ,  je  suis  celui  que  l'homme  abhorre  ; 
Je  cherche  une  beauté  qui  veuille  mon  amour. 
Depuis  Eve  je  l'ai  du  couchant  à  l'aurore 
Cherchée  en  vain  ,  je  cherche  et  je  recherche  encore  ; 
Jeune  fille  aux  grands  yeux,  je  te  l'offre  à  ton  tour. 

Sous  tes  pieds  ont  grincé  les  os  des  mille  femmes 
Dont  le  dédain  pour  moi  fut  suivi  de  la  mort. 
Tu  périras  ici  comme  ces  folles  âmes , 
Si  tu  refuses  ;  mais  à  moi,  seigneur  des  flammes, 
Si  tu  donnes  ton  cœur,  tu  prendras  tout  cet  or.  » 

Et  Berthe  préférant  la  fortune  au  martyre , 
Après  Eve  écouta  les  propos  de  Satan , 
Bien  que  le  cavalier  eût  fait  place  au  satyre, 
Bien  qu'elle  rencontrât  des  lèvres  de  vampire, 
Bien  que  des  doigts  crochus  touchassent  son  sein  blanc. 


90 

Or,  Berthe  maintenant  est  une  démonesse 
Occupée  à  tenter  les  filles  aux  grands  yeux. 
Lorsqu'un  beau  cavalier  vient  contre  une  caresse 
Leur  promettre  velours ,  bagues ,  laquais ,  richesse , 
C'est  elle  qui  détruit  leurs  scrupules  pieux. 


P«r» 


UN  COMMANDEMENT  DE  L'ÉGLISE 


Un  humble  ouvrier  qu'on  nommait  Nicolas 
Et  son  curé  passèrent  à  trépas 
En  même  temps.  Tous  les  deux  à  Saint-Pierre 
De  leurs  péchés  firent  l'aveu  sincère. 
a  J'ai  »  raconta  le  craintif  prolétaire 
«  A  mon  dîner,  quoique  le  vendredi, 
Mangé  parfois  un  morceau  de  bouilli. 
Je  dois  pourtant  ajouter  pour  mémoire 


92 

Qu'il  était  froid  ,  qu'avec  ce  je  n'avais 
Que  du  pain  dur,  et  que  je  ne  pouvais 
Y  joindre  même  un  peu  de  vin  mauvais. 
Et  cependant  au  travail  pouvez  croire 
Que  lourde  était  ma  part  de  chaque  jour. 

—  Bien.  Maintenant,  pasteur,  à  votre  tour. 

—  Oh!  »  roucoula  le  suffisant  vicaire 

«  Moi  je  suis  pur,  sans  péché.  Dieu  merci! 

Je  n'ai  jamais  manqué  le  vendredi 

De  faire  maigre. —  Et  »  demanda  Saint-Pierre 

«  Que  mangiez-vous?  —  Tout  ce  que  sur  la  terre, 

En  fait  de  maigre,  a  permis  le  Saint-Père 

Au  saint  clergé.  Par  exemple  :  du  flan, 

Du  thon,  du  lait,  des  huîtres,  du  merlan, 

Des  petits  pois,  des  trufl'es^  de  la  crème, 

Certains  gâteaux  qu'imagina  Carême, 

Certains  beignets  soufflés  comme  ballons, 

Les  plus  beaux  fruits  des  précoces  saisons , 

Les  plus  beaux... —  Bien.  Et  qu'aviez  pour  boissons? 

—  Le  chambertin,  le  Bordeaux,  le  Madère, 
L'aï  mousseux  formaient  mon  ordinaire  ; 
Puis  le  café,  le  rhum....  évidemment.... 

—  Bien.»  dit  alors  Saint-Pierre  d'un  ton  aigre 
«  Je  m'en  vais  rendre  ores  un  jugement 


93 

Dont  Salomon  se  montrerait  allègre. 
Au  paradis,  vous,  pauvre  iNicolas, 
Vous  ferez  gras  comme  cettui  fit  maigre  ! 
Et  vous,  l'abbé,  chez  le  noir  Satanas 
Maigre  ferez  comme  l'autre  fit  gras.  i> 


l'aris 


A  MODÈLE  MODÈLE  ET  DEMI 


Dedans  Paris  est  monsieur  Trois  Étoiles 
Partout  connu.  Pour  sa  richesse?  Non, 
Mais  bien  plutôt  pour  charmante  façon 
Dont  il  en  use.  Émaux,  sculptures,  toiles 
Livres,  dessins,  gravures,  objets  d'art 
Forment  chez  lui  véritable  bazar 
Où  resplendit  le  soleil  du  génie. 
Ce  qui  de  lui  fait  un  rare  amateur , 


96 
C'est  qu'à  la  bourse  il  joint  aussi  le  cœur, 
Qu'au  lieu  d'avoir  la  stupide  manie, 
Comme  certains  connaisseurs  réputés, 
De  trop  payer  laides  antiquités , 
Il  paiera  prou  superbes  nouveautés , 
Et  de  la  sorte  au  sublime  bohème 
Faira  gagner  la  vie...  affreux  problème! 

Las!  il  est  tant  de  bêtas  gorgés  d'or, 
Qui  pour  porter  du  pain  sec  à  l'artiste 
Naïvement  attendent  qu'il  soit  mort  ! 
Oh!  le  talent....  C'est  le  don  le  plus  triste 
Qu'à  l'homme  Dieu  puisse  faire  au  berceau, 
C'est  de  la  croix  du  Christ  un  lourd  morceau , 
C'est  sur  le  front  l'épine  du  Calvaire , 
Un  feu  qui  brûle,  un  fer  qui  vous  lacère. 
Un  peu  d'espoir  pour  beaucoup  de  misère, 
Un  noir  démon  qui  dans  un  coin  de  terre 
Avant  le  temps  creuse  votre  tombeau  ! 

Donc,  ennemi  de  la  sotte  étiquette 
Et  de  ces  gens  fiers  de  leurs  pantalons , 
Cettui  monsieur  n'admet  dans  ses  salons 
Que  peintre,  acteur,  musicien,  poète, 


Aimables  ours  qui  pour  toute  toilette 

Ont  leurs  pinceaux,  leurs  notes,  leurs  chansons. 

Aussi  quel  ris,  quels  bons  mots,  quelle  fête, 

Quelle  dépense  et  de  sel  et  d'esprit! 

Des  vieux  Gaulois  la  gaieté  refleurit , 

Montaigne  y  trône,  et  Brantôme  y  redit 

"  D'honneste  dame  aucunes  adventures". 

Or  quelquefois  viennent  après  le  thé 

Modèles  gents  de  très-gentes  tournures, 

Sur  des  tapis ,  en  pleine  nudité , 

Tour  à  tour  faire  au  goût  de  l'invité 

Charges  ou  bien  académiques  poses  ; 

Et  de  l'art  grec  plusieurs  points  débattus 

Peuvent  alors  être  sans  cris  ni  gloses 

Par  le  témoin  prônés  ou  combattus. 

Un  certain  jour,  à  l'agape  artistique 
Quatre  beautés  du  faubourg  Saint-Germain , 
Qui  préféraient  le  Galle  au  Callotin, 
L'olympe  au  ciel  et  l'ïambe  au  cantique. 
Daignèrent  seoir.  Du  noble  amphytrion 
Ayant  toujours  su  la  discrétion , 
Elles  avaient,  pour  cacher  leur  visage 
Aux  conviés,  mis  simple  loup  de  page. 


97 
Lorsque  de  Reims  le  liquide  bénit, 
L'infusion  que  la  Chine  fournit , 
Et  les  gâteaux  eurent  chez  tout  le  monde 
Rendu  Toeil  vif  et  la  panse  plus  ronde  , 
Sur  les  tapis  des  modèles  conduits 
Selon  les  us  allaient  faire  des  poses. 
«  Oh!  fi!  messieurs,  dans  quels  piètres  réduits 
Avez-vous  donc  cueilli  si  piètres  roses?  » 
Dit  une  dame  «  et  ce  sont  ces  corps  nus 
Que  vous  prenez  pour  types  de  Vénus?  » 
Nos  invités  restèrent  bouches  closes  ; 
Ces  mots  trop  francs  leur  semblaient  saugrenus. 
«  Hé  bien!  »  en  chœur  crièrent  les  modèles 
Dont  le  dépit  fit  briller  les  prunelles 
((  Faites-nous  voir  si  vous  êtes  plus  belles. 
—  Nous?  à  l'instant.  » 

•  Toutes  quatre  soudain, 

Se  dépouillant  d'une  fébrile  main, 
Coupant,  brisant  le  lacet  qui  résiste 
Et  déchirant  la  rebelle  batiste , 
En  un  clin-d'œil,  semblables  à  Cypris, 
Lorsque  des  flots  elle  sortit  jadis , 
Hormis  le  loup,  s'offrirent  toutes  n  les.... 
Paroles  plus  n'eurent  l'air  saugrenues. 

8 


m 


Quels  seins  mignons ,  quel  galbe ,  quel  contour  ! 
Ni  de  Pradier  les  Grâces,  du  Corrége 
Ni  l'Antiope,  avec  ces  corps  de  neige 
One  n'auraient  pu  lutter  au  même  jour. 

Ivres  de  joie  étaient  tous  les  convives  ; 
Pas  ils  n'avaient  louanges  assez  vives 
Pour  exprimer  leur  admiration. 
«  Vrai  !  »  dit  l'un  d'eux  «  à  l'Exposition 
J'éclipserais  niane  chasseresse, 
Si  ces  beautés  posaient  pour  mon  ciseau.  » 
—  «  Erreur,  mon  cher^  »  dit  un  autre  Cortot 
En  souriant  «  elles  ont  un  défaut 
Que  point  n'avaient  les  beautés  de  la  Grèce, 
C'est  de  cacher  leurs  yeux  et  leur  adresse.  » 


Paris. 


LE  PAPE  ET  LE  CONGRÈS 


A  Bâle  étant  assemblé  le  concile 
Pour  faire  un  pape,  un  évêque  parla 
Et  dit  :  «très-chers,  puisque  nous  sommes  là, 
Jà  m'est  avis  qu'il  nous  serait  facile 
De  secouer  l'affreux  joug  du  vigile. 
Plus  ne  donnons  la  tiare  et  les  clefs 
A  dévotieux,  et  choisissons  pour  pape 
Quelqu'un  qui  veuille  au  maigre  de  Pagape 
Substituer  le  maigre  des  poulets.  » 


1 00 

—  «  Oui-da  !  »  chacun  répondit.  —  «  La  viande 
Plus  que  légume  est  juteuse  et  friande. 

Et  comme  moi  vous  devez  moult  souffrir 
De  la  manger  toujours  de  contrebande. 
Sur  telle  loi  nous  faut  donc  revenir. 

—  Par  la  sambleu!  »  s'écrièrent  les  autres 
«  Raison  avez  ;  et  l'univers  verra 

Icelle  fois  succéder  aux  apôtres 
Un  théatin  qui  dira  patenôtres, 
Mais  de  la  chair  vendredi  mangera.  * 

Or,  en  l'époque,  au  couvent  de  Ripaille 
Vivait  un  duc,  un  bon  duc  Savoyard, 
Ayant  bien  mis  sa  couronne  à  la  paille 
Afin  de  ceindre  et  le  froc  et  la  hart, 
Mais  ayant  peu  souffert  à  cela  faire. 
One  en  effet  ne  fut  dans  monastère 
Moine  pareil  pour  mener  bonne  chère. 
C'étaient  toujours  de  succulents  festins 
Où  s'épanchaient  à  flots  les  meilleurs  vins  ; 
Et,  quand  bayaient  les  coupes  épuisées, 
Qu'à  digérer  suaient  les  capucins , 
C'étaient  toujours  quelques  nonnes  grisées 
Qui  leur  servaient  l'amour  entre  deux  seins. 


40< 

A  ce  duc-là  s'arrêta  le  concile. 
On  le  tira  du  cloître,  et,  sous  le  nom 
De  Félix  V,  il  géra  l'Évangile. 
Jugez  s'il  fut  un  pape  sans  façon! 
Le  Saint-Esprit  pour  se  faire  à  sa  taille 
Dut  bien  descendre  !  Et  qu'importe  aux  dévots! 
A  ce  scandale  ils  ont  gagné  deux  mots, 
Car  depuis  lors  manger  rares  morceaux 
En  buvant  dru  se  dit  "  faire  ripaille"! 


Parii. 


IL  Y  A  FAGOT  ET  FAGOT 


Criàtes-vous  jamais  haro  sur  l'allumette! 
Veuillez  lire  à  l'instant  cette  humble  historiette , 
Et  vous  crierez  après,  j'en  suis  sûr.  A  Paris 
Si  les  femmes  n'ont  pas  à  l'égard  des  maris 
Plus  qu'ailleurs  de  scrupule ,  en  revanche  les  hommes 
Sans  y  mordre  pourraient  voir  les  bibliques  pommes, 
Du  moins  les  pharmaciens.  L'esprit  de  ces  messieurs 
Possède  ce  qu'il  faut  pour  arriver  aux  cieux. 


103 
Jugez-en.  L'autre  soir  j'avais  mal  à  la  tête, 
Je  souffrais  ce  que  dut  souffrir,  en  accouchant 
D'Arbogastç,  Viennet  notre  "  immortel  "  poète. 
Mes  tempes  dans  les  mains,  demi-fou,  trébuchant, 
Je  cours  au  boulevard  auquel  la  ville  Russe 
Prise  par  Pélissier  fit  raumônc  d'un  nom , 
Et,  d'un  apothicaire  enfonçant  l'huis  profond, 
((  De  l'opium,  monsieur,  )>  lui  criai-je  «  et  du  bon. 
— Est-ce  pourvous? — Parbleu!  pas  pour  lo  roi  de  Prusse: 
Vous  ne  voyez  donc  pas  cette  inflammation?  — 
Je  ne  puis.  — Ne  pouvez  !  qu'est  cela? quelque  astuce 
De  cupide  marchand.  Je  suis  fort  étonné. 

—  Et  de  quoi?  L'opium  est  un  succédané 
D'arsenic,  un  toxique,  et,  sans  uM  ordonnance 
De  médecin  jamais....  — Je  n'en  connais  aucun, 

—  Tant  pis! —  Mais  voulez-vous,  en  eussé-je  quelqu'un. 
Que  j'aille  de  trois  francs  augmenter  ma  dépense 

(  Car  il  faudrait  payer  la  visite ,  je  pense) 
Lorsque  je  puis  avoir  la  drogue  pour  trois  sous  ? 

—  Poison....  et  sans  billet  onc  ici  l'on  n'en  touche. 
— Mais,  monsieur,  donnez-m'en  simplemenlune  mouche: 
Je  me  l'appliquerai  sur  la  peau  devant  vous. 

— Poison...^  Avec  lequel,  de  retour  dans  ma  chambre. 
Je  ne  pourrais  pas  même  empoisonner  deux  rats.  — 


104 

Poison,  poison....  —  Hé  bien!  je  m'en  vais  de  ce  pas 

Chez  un  simple  vendeur  de  poivre  et  de  gingembre 

Acheter  un  paquet  d'allumettes ,  et  puis 

En  les  faisant  tremper  dans  de  l'eau,  je  me  pique 

Avec  elle  d'occire  et  vous  et  votre  clique. 

Vaut  bien  la  peine  alors  de  faire  si  grands  bruits 

Pour  un  brin  d'opium!  » 

Voilà  les  us  de  France  ; 
A  pierre  l'on  permet  ce  qu'on  défend  à  paul. 
Or  j'ai  trouvé  le  mot  de  cette  différence  : 
Au  susdit  boulevard  fils  de  Sébastopol , 
De  même  qu'à  Lyon,  de  même  qu'à  Fayence, 
n  faut  qu'un  médecin  vive  de  l'ordonnance , 
Et  fricat  asellus  asellum.  Je  le  dis 
En  vérité  :  toujours  on  tondra  les  brebis. 


Paris. 


MARQUISES  ET  COMTESSES 


Au  sommet  d'une  tour  qui  déchirait  les  mies, 
Des  filles  de  Lesbos,  un  soir  se  rassemblant, 
Comme  jadis  Vénus  belles  et  toutes  nues, 
Saisirent  des  Plaisirs  la  coupe  en  diamant. 

Allez  où  les  hivers  ont  des  rayons  splendides, 
Et  celui  qui  voudra  vous  nommer  ces  beautés 
Montrera  plus  au  front  de  rougeur  que  de  rides  , 
Car  sur  l'orgie  à  peine  ont  passé  douze  étés. 


Par  les  goûts  ,  par  l'esprit  toutes  étaient  païennes, 
Toutes  avaient  de  l'or,  des  terres,  des  valets, 
Toutes  dans  le  pays  marchaient  patriciennes, 
Toutes  voyaient  les.  Ris  à  leur  char  attelés. 

Une  dernière  fois  Laïs  à  ses  compagnes, 
Dès  qu'elle  eut  épousé  le  vieillard  Amadys, 
Avait  voulu  chez  elle  au  milieu  des  campagnes, 
Faire  encor  les  honneurs  de  la  vierge  Laïs. 

Au  sommet  de  la  tour  qui  déchirait  les  nues , 
Les  filles  de  Tolose  aussitôt  accourant, 
Comme  jadis  Vénus  belles  et  toutes  nues, 
Levèrent  des  Plaisirs  la  coupe  en  diamant. 

Lorsque  des  mets  exquis  venus  d'où  vient  l'aurore 
Eurent  en  nombre  immense  atïadi  leurs  palais. 
Lorsque  les  vins  fameux  eurent  à  pleine  amphore 
Coulé  blonds  comme  For  ou  noirs  comme  le  jais  ; 

Lorsque  ces  mets,  cesvins  eurent  troublé  leurs  âmes, 
A  l'heure  où  le  soleil  dit  un  tardif  adieu 
Aux  épis  déjà  mûrs ,  toutes  ces  folles  femmes 
Sentirent  dans  leurs  corps  courir  un  sang  de  feu  : 


Alors  pensers  confus,  alors  désirs  lubriques, 
Ainsi  que  deux  flocons,  soulèvent  leurs  deux  seins; 
P2t  repoussant  du  pied  tous  les  débris  bachiques 
Elles  font  une  ronde  au  bruit  de  leurs  refrains. 

Au  sommet  de  la  tour  qui  déchirait  les  nues, 
Ces  filles  de  Lesbos  de  la  sorte  jouant, 
Coirjme  jadis  Vénus  belles  et  toutes  nues, 
Savouraient  des  Plaisirs  la  coupe  en  diamant. 

Oh  !  }>  s'écria  Laïs  a  que  l'atmosphère  est  douce  ! 
Oh!  que  j'aime,  mes  sœurs,  ce  déclin  d'un  beau  jour  ; 
C'est  l'instant  ou  l'oiseau  quitte  l'abri  de  mousse , 
Écoutez,  il  envoie  ici  ses  chants  d'amour. 

L'amour!  Tout  est  amour  dans  cette  tiède  brise 
Qui  sur  nos  cous  si  blancs  roule  nos  noirs  cheveux, 
Une  fièvre  d'amour  nous  consume  et  nous  brise  : 
Une  dernière  fois  aimons-nous  deux  à  deux. 

Et,  les  bras. enlacés,  les  lèvres  sur  les  lèvres, 
Sentant  par  le  contact  frémir  de  doux  trésors, 
Groupes  de  Phidias  ou  peintures  de  Sèvres  , 
Elles  rugirent  sous  de  sauvages  transports 


108' 

Au  sommet  de  la  tour  qui  déchirait  les  nue», 
Ces  filles  de  Tolose  eurent,  minuit  sonnant, 
Comme  jadis  Vénus  belles  et  toutes  nues , 
Epuisé  des  Plaisirs  la  coupe  en  diamant. 


Paris. 


ALLEZ   A   IViARSEILLE 


L'air  de  Paris  fut  de  tout  temps  contraire 
A  qui  n'a  pas  les  poumons  îVjEoIus. 
Napoléon  Troisième  aura  beau  faire  , 
Beau  démolir  ,  un  million  et  plus 
De  citoyens  entassés  sur  la  Seine 
Consommera  toujours  trop  d'oxigène. 
Cet  air,  ainsi  privé  d'un  élément, 
Sera  toujours  d'une  façon  certaine 


Aux  estomacs  délicats  inclément. 
Donc ,  si  voyez  pâlir  votre  visage ,    • 
Quittez  Paris  au  plus  tôt,  sans  retard  , 
Si  non ,  des  bois  quand  tombe  le  feuillage , 
A  Montparnasse  irez  en  corbillard. 
J'ai  fait  du  cas  la  triste  expérience. 

Un  pur  enfant  de  la  pure  Provence , 
Un  Marseillais,  de  passage  à  Paris, 
Parsqu'il  toussait  un  peu  dans  son  logis , 
Se  crut  tout  prêt  pour  le  de  jjrofundis. 
Quiconque  tousse  est  enrhumé,  je  pense; 
Lui ,  pour  pouvoir  au  chef-lieu  de  la  France 
Faire  un  reproche  et  vanter  son  pays , 
Est  poitrinaire.  Il  mande  un  Hippocrate, 
Des  Phocéens  comme  lui  descendu  , 
Vrai  troun~de-V air  encore  n'ayant  vu 
Dedans  Paris  rien  du  tout  qui  valut 
La  Cannebière. 

Icelui  vient,  le  tâte 
Et  dit  :  «  mon  cer  j,  ze  sais  ce  qu'il  te  faut.  » 
Puis  dans  la  chambre  ayant  fait  mettre  un  pot, 
Il  sort.  Un  pot  de  faïence  ou  de  terre? 
Qu^importe!  Un  pot  jusques  au  bord  empli... 


Empli  (le  quoi?  Parbleu  !  la  belle  affaire  ! 
Empli....  Ma  foi!  c'est  plus  facile  à  faire 
Qu'à  dire...  Empli  de  certaine  matière 

Qui que Comment  vous  exprimer  ceci? 

Voyons ,  lecteur  ,  mettez  un  peu  du  vôtre  , 

Pas  dans  le  pot  au  moins,  il  verserait , 

Mais  dans  ma  phrase.  Hélas!  il  se  pourrait 

Que  le  mot  propre  encore  moins  qu'un  autre 

Le  fût.  Allons!  je  vais  passer  pour  sot 

Si  je  ne  fais  savoir  ce  dont  ce  pot 

Etait  empli.  Pas  n'est  besoin  d'un  tome 

Pourtant.  Voyons!  Vespasien  à  Rome 

Se  procurait  mainte  annuelle  somme 

En  revendant  le  même  contenu. 

Oh  !  pour  le  coup  !  il  vous  est  bien  connu , 

N'est-ce  pas?  Non.  Dans  ce  cas  je  préfère 

Laisser  la  chose  et  le  terme  derrière 

Que  de  parler  plus  explicitement. 

Ce  que  je  puis  déclarer  sans  vergogne, 

C'est  que  parfois,  la  nuit  quand  on  s'y  cogne , 

Si  Ton  ne  voit  cette  chose,  on  la  sent. 

Le  lendemain  revient  le  Sganarelle  : 
((  Mettez  deux  pots  »  dit-il.  Trois  jours  après  : 


112 

«  Mettez  cinq  pots.  »  La  poitrine  rebelle, 
Grâce  au  remède  absorbé  par  le  nez 
Descend  alors  vers  le  mieux.  «  En  mettez 
Quatorze  »  dit  au  bout  de  la  semaine 
Le  médecin.  La  chambre  en  était  pleine. 
Or,  résultat  vraiment  inespéré , 
Noire  tousseur  enfin  n'a  plus  toussé. 
«  Ze  suis  guerrri  »  cria  le  poitrinaire. 
—  «  Ah  !  »  répondit  le  docteur  débonnaire 
«(  Tu  vois,  mon  ce)\  pour  détruire  ton  mal , 
Ce  qu'il  fallait  à  toi ,  c'est  l'air  natal.  » 


UN  MARI   QUI  NE  SAIT  PAS  LIRE 


Aimez-vous  le  loto  ?  Belmontet  en  raffole  ; 
Rigolboche,  (aujourd'hui  Rigolboche  partout 
Met  son  pied)  Rigolboche  adore  ce  jeu  drôle  ; 
Et  mon  héros  par  gloire  en  porte  un  à  son  cou. 
Mon  héros  est  un  niais  auquel  un  héritage 
Venait  de  donner  droit  de  rouler  équipage , 
Et  surtout  de  donner  les  moyens  arrêtés 
De  payer  chaque  soir  aux  voisins  thés  sur  thés  ^ 

9 


144 

Pourvu  que  ses  voisins  chaque  soir  se  prêtassent 
A  sa  lotomanie,  et  longuement  jouassent. 
Un  professeur  dirait  que  ces  deux  subjonctifs 
Sont  là  pour  exprimer  les  plaisirs  les  plus  vifs. 

j 
Donc,  le  soir  dont  s'agit,  tous  ces  gens  immobiles 
Sur  le  quine  attendu  fixaient  des  yeux  fébriles  ; 
Quand  tout-à-coup  riant,  gambadant  et  chantant 
Au  milieu  d'eux  se  jette  un  fol  étudiant  : 

((  Des  numéros  que  Ton  tire 
Avec  d'absurdes  bons-mots , 
Un  quaterne  qui  soupire , 
Des  cartons  et  des  nigauds , 
Voilà  les  jeux  de  lotos , 
Voilà  les  jeux  de  lotos! 

— Monsieur, quel  est  cet  air?— L'air  desFiLLES  de  marbre. 
—  Hé  bien  !  allez  là-bas  le  chanter  sous  un  arbre, 
Et  flanquez-nous  la  paix.  »  Or,  grâce  au  remuement, 
Le  damoiseau  venait  de  glisser  à  l'hôtesse 
Une  mignonne  lettre  ;  or  ce  n'est  qu'à  maîtresse 
Qu'on  peut  remettre  un  pli  si  singulièrement  ; 
Or  l'hôte  avait  surpris  le  double  mouvement  ; 
Or,  quand  le  tapageur  est  poussé  vers  la  rue, 


#  415 

Que  madame  le  suit  du  cœur  et  de  la  vue, 
Le  mari  dextrement  plonge  dans  le  tablier; 
Or  le  plongeur,  lancé  sous  une  onde  inconnue. 
De  poche  se  trompant  se  trompe  de  papier  ; 
Or  lecteur,  j'ai  tantôt  oublié  de  vous  dire 
Que  mon  pauvre  héros  hélas  !  ne  sait  pas  lire. 
Donc  souffrant  ce  qu'on  soûle  appeler  le  martyre, 
D  se  tait,  mais  il  brûle,  au  point  que  le  loto 
Ce  soir  n'aura  plus  l'air  de  s'arrêter  trop  tôt. 

Néanmoins,  chiffre  à  chiffre,  à  l'ordinaire  dose 
Le  loto  fut  versé.  c(  Bonne  nuit,  à  demain  !  y> 
Bonne  nuit,  c'est  facile  à  souhaiter  la  chose, 
Mais  combien  de  souhaits  qui  restent  en  chemin  ! 
Germain,  (avais-je  dit  qu'il  s'appelait  Germain?) 
Depuis  qu'il  était  riche  et  lavé  d'eau  de  rose , 
Avait  fait  ce  que  font  tant  d'imprudents  maris. 
Entre  madame  et  lui  deux  chambres  et  deux  lits. 
C'est  du  plus  joli  ton,  c'est  grand  genre,  c'est  noble. 
Moi,  j'appelle  cela  délaisser  son  vignoble. 
Et  gare  les  voleurs  !  Enfin  chacun  son  goût, 
Comme  dit  le  proverbe.  En  cette  circonstance 
La  bifurcation  fut  une  heureuse  chance. 
Germaip  put  en  effet,  toute  la  nuit  debout. 


4«6 

Sans  crainte  de  troubler  le  sommeil  de  sa  mie , 
Se  lamenter  à  l'aise  et  singer  Jérémie. 

«  Petit  vilain  feuillet ,  dire  que  tu  contiens 
Germain  et  son  honneur  !  Et  dire  que  ma  femme 
T'aurait  lu  lorsque  moi  je  ne  puis!!  C'est  infâme. 
Ces  griffonnages  noirs  ne  sont  guère  chrétiens 
Puisqu'il  peuvent  ainsi  senir  à  l'adultère  ; 
On  devrait  en  bannir  l'art  si  pernicieux. 
Un  saint  dont  les  curés  parlent  beaucoup  en  chaire, 
Dans  ce  but  à  Dijon  fit  un  discours.  Tant  mieux! 
Je  suis  plus  que  jamais  de  son  avis.  J'enrage. 
Voyons  !  qui  me  lira  cette  illisible  page  ? 
Joseph?...  non.  Lucien?...  Je  verrai.  Quel  qu'il  sok, 
Celui-là  va  connaître....  ahi!  ma  pauvre  tête! 
A  mon  âge  grandir  encor ,  c'est  par  trop  bête. 
Pourtant  je  veux  savoir  d'une  manière  nette 
Si  madame  Germain  a  violé  sa  foi. 
Suis-je  ou  non  ce  qu'on  est  en  semblable  occurrence  ? 
Montré-je  cet  écrit?  Dois-je  pas  le  montrer? 
L'amoureux  a-t-il  eu  le  front  de  la  nommer  ? 
Faut-il  dans  un  procès  appeler  la  vengeance? 
Entré  jaune,  un  mari  sort  noir  de  l'audience  ; 
Mieux  vaut » 


i17 
Et  cœteraj  des  points  en  abondance. 
Pas  n'est  besoin ,  je  crois ,  céans  de  répéter 
Tout  son  amphigouri:  moult  lecteurs  peuvent  être 
Ce  qu'à  leurs  yeux  Germain  sûrement  doit  paraître  ; 
Ils  savent  ce  qu'on  dit  alors  en  pareil  cas, 
Ils  savent  qu'icelui  ne  se  couchera  pas  ; 
Reste  à  multiplier  par  une  nuit  entière 
Le  peu  que  j'ai  cité  du  galimatias. 

Dès  qu'il  perçoit  le  chant  si  funeste  à  Saint-Pierre , 
Il  court  chez  un  ami  :  «  compère ,  admire  donc 
Ce  billet-doux  soustrait  la  semaine  dernière 
A  madame  Clément.  —  Bravo!  le  tour  est  bon. 
Cette  prude  qui  feint  de  n'aller  qu'au  sermon! 
Montre...  Ah!  ah!  par  exemple!  ah!  ah!  laisse-moi  rire... 
Mon  compère,  sais-tu  ce  que  c'est?  —  Hélas!  non. 

—  Une  note.  —  Une  note!  (à  la  fin,  je  respire.  ) 

—  Mais  de  dame  Clément  cette  note  n'est  brin. 
Devines-tu  de  qui  ?  —  Ce  n'est  pas  fort  malin , 
J'aurai  confondu....  note  à  madame  Germain. 

—  Mais  devine  de  quoi.  —  Pardienne  !  de  toilette. 

—  De  dents,  mon  cher,  de  dents. Ton  billet-doux  m'a  l'air 
De  devoir  pour  ta  femme  être  un  billet  amer. 
Lorsque  tout  le  quartier  saura  ce  qu'elle  achette , 


448 

Car  dans  tout  le  quartier  je  vais  à  tous  venants 
Annoncer  la  nouvelle:  elle  a  de  fausses  dents. 
Et  qu'elle  vienne  après  faire  encor  la  coquette  !  > 

Germain  fit  demi-tour  et  rompit  l'entretien. 
Comme  tant  de  maris  trompés  il  ne  sut  rien. 
«  Bah!  »  dit-il  «  à  présent  je  puis  dormir  fort  bien  ; 
Ce  qui  perd  sa  mâchoire  assurera  ma  tête.  » 


LES  MIRACLES  DE  NONNES 


Çà  !  cfu'elle  idée  orde  se  font  de  Dieu 
Tant  de  dévots  qui  s'imaginent  plaire 
A  ce  dirin  et  magnanime  père 
En  se  donnant  des  coups  sur  le  derrière 
Avec  un  bout  de  cordelle  ou  de  pieu  ! 
Si  j'étais  père  un  jour,  je  le  confesse , 
Je  trouverais  drôle  que  mon  enfant, 
Pour  obtenir  de  moi  quelque  agrément, 
Vînt  sous  mon  nez  se  marteler  la  fesse. 
Cettui  moyen  m'aurait  l'air  indécent  ; 
Comment  vouloir  qu'il  plaise  au  Tout-Puissant  ? 


no 

Dans  un  couvent  de  sœurs  noires  ou  grises 
(Plus  je  ne  sais  comme  elles  étaient  mises) 
Certaine  avait  la  réputation 
D'être  méchante  autant  que  le  démon  : 
Un  véritable  Hudson  Lowe  en  jupon. 
Sœur  Crudelis  (  c'était  là  son  surnom  ) 
Par  sa  laideur,  par  son  maintien  sévère 
Glaçait  d'effroi  chaque  pensionnaire  , 
Si  que  plusieurs,  mères  en  ce  moment, 
Ne  parlent  d'elle  encore  qu'en  tremblant  ; 
Du  moins  ainsi  me  l'a  dit  l'héroïne 
Du  trait  suivant.  Icelle  était  mutine 
Plus  que  pas  une  écolière.  Un  jour  donc 
Elle  s'était  glissée  en  la  mansarde 
Où  les  nonnains  tenaient  leur  provision. 
Dans  quel  but  ?  Point  cela  ne  nous  regarde  ; 
Souvenons-nous  de  ce  péché  mignon , 
Mignon  péché  qui  tous  enfants  nous  arde, 
Duquel  Anna  pourrait  dire  le  nom , 
Et  qu'en  secret  mainte  lectrice  garde. 
Mais  par  malheur ,  la  porte  fit  du  bruit. 
La  maraudeuse  au  plus  vite  s'enfuit 
Derrière  un  sac.  Alors  deux  sœurs  austères 
Entrent  ensemble  et  sans  préliminaires 


i21 
L'une  fait  voir  ce  qu'à  tous  les  passants 
Nous  faisions  voir  quand  nous  n'étions  pas  grands. 
L'autre  dessus  lui  frappe  en  conscience. 
Or  la  frappeuse  était  sœur  Crudelis. 
«  Ce  ne  m'étonne,  »  en  elle-même  pense 
Notre  fillette  «  elle  battrait  la  France, 
Elle  battrait  les  saints  du  paradis.  » 
Mais ,  ô  stupeur  !  voici  pas  que  la  branche 
Change  de  main,  et  que  dessus  la  hanche 
De  Crudelis  les  coups  crépitent  dru. 

A  cet  aspect  l'espiègle  prisonnière 
Fut  si  contente  et  se  sentit  si  fière , 
Que  sans  souci  pour  le  danger  couru  : 
«  Tapez  plus  fort!  »  hardiment  cria-t-elle. 
Mot  qui  vaut  bien  un  mot  grec  ou  romain. 
«  D'un  ange  c'est  la  voix  surnaturelle  > 
Dirent  les  sœurs  surprises.  Et  soudain 
A  triple  tour  s'abattit  le  gourdin, 
Et  s'abattit  durant  une  heure  entière. 
Sœur  Crudelis  y  lai&sa  son  derrière, 
Mais  elle  avait  miraculeusement 
Appris  qu'un  ange  a  la  voix  d'une  enfant. 

Nice. 


LA  LÉGENDE  D'OSCAR 


AJis  était  bien  belle.  Elle  avait  dans  les  yeux 
Tous  les  feux  du  soleil ,  elle  avait  sur  la  bouche 
Un  sourire  semblable  au  sourire  des  dieux  ,*' 
Elle  avait  le  corps  frêle  et  souple  et  vaporeux 
Des  Wyllis  qu'un  souffle  effarouche. 

Lorsque  sur  les  crénaux  de  son  ducal  manoir 
Comme  une  aire  d'aiglons  incliAé  sur  l'abîme , 
Aux  clartés  de  la  lune  elle  rêvait ,  le  soir , 
On  eut  dit  un  génie  occupé  de  savoir 
Si  dans  les  rocs  passait  le  Crime. 


123 
Souvent  son  père  ulric  ,  de  qui  dans  les  combats 
L'ennemi  nîort  sentit  jadis  la  forte  épée, 
Des  guerres  où  les  rois  se  battaient  en  soldats 
Et  sur  le  sol  conquis  se  taillaient  des  états 
Contait  la  Taillante  épopée. 

Et  c'était  un  contraste  aimable  et  ravissant  : 
On  les  voyait  assis  sur  la  même  escabelle  , 
La  fille  aux  bruns  cheveux ,  le  vieillard  au  chef  blanc. 
Comme  d'anciens  amis  retrouvés  devisant , 
La  châtelaine  était  si  belle  ! 

Et  dans  les  grands  salons  aux  vieux  lambris  vermeils 
L'enfant  du  noble  preux  quelquefois ,  comme  un  ange 
A  qui  Dieu  pour  joujoux  donnerait  des  soleils, 
Jouait  avec  le  cor  qui  sonna  les  réveils , 
Et  le  guidon  veuf  de  sa  frange, 

Et  les  poignards  ayant  des  chaînes  pour  baudriers , 
Et  les  haches  de  fer,  et  ces  immenses  heaumes 
Qui  pourraient  contenir  trois  fronts  de  nos  guerriers , 
Et  ces  cuirasses  d'or,  et  ces  larges  boucliers 
Trop  lourds  à  présent  pour  quatre  hommes  ! 


121 

Et  le  duc  éprouvait  de  la  joie  en  son  cœur, 
Car  sa  fille  était  bonne  encore  plus  que  belle  ; 
Pour  les  serfs  elle  était  la  source  de  bonheur  : 
Lui  tendaient-ils  des  mains  que  sécha  le  malheur, 
Elle  y  vidait  son  escarcelle. 

Or,  la  joie  ici-bas  est  courte.  Le  démon 
Déteste  notre  joie  autant  que  l'eau  bénite. 
Il  jeta  ses  regards  sur  un  vassal  félon, 
Laid,  cruel,  mais  portant  très-haut  un  rugueux  front 
Où  l'infamie  était  écrite. 

Il  jeta  ses  regards  sur  ce  cruel  vassal 
Et  grommela  :  «  Céans  je  vais  gagner  deux  âmes.  » 
Or  advint  un  tournoi  (  c'était  alors  le  bal  ) 
Où  maint  page  devait  sur  un  fringant  cheval 
Rompre  des  lances  pour  les  dames. 

Le  vassal  y  courut ,  la  belle  aHs  aussi  ; 
Et  la  belle  aUs  fut  la  reine  de  la  fête. 
Or  le  vassal  joutant  sur  son  destrier,  la  vit, 
Et  soudain  il  l'aima  d'un  amour  de  maudit, 
Terrible  comme  la  tempête. 


125 
Les  carrousels  finis ,  il  revint  sous  son  toit. 
Là^  troublé'clans  son  sang,  il  veillait  sur  sa  couche  : 
«  Je  l'aurai  »  disait-il  ce  par  le  Christ!  sur  ma  foi!! 
Qui  donc  me  livrera  cette  duchesse?  —  Moi.  » 
Cria  Satan  d'un  ton  farouche. 

C'était  l'heure  lugubre  où  chante  le  hibou  , 
Où  le  chien  fait  entendre  un  aboiement  qui  navre , 
L'heure  où  dans  son  cachot  hurle  le  pauvre  fou , 
Où  sous  la  bise  froide  ainsi  qu'un  loup-garou 
Remue  au  gibet  le  cadavre  ; 

L'heure  par  les  sorciers  consacrée  aux  sabbats  , 
L'heure  où  le  voyageur  au  carrefour  des  routes 
Voit  des  nains  accroupis  lui  tendre  de  long  bras , 
Où  l'impie  orgueilleux  qui  le  jour  ne  croit  pas 
Fait  abandon  de  tous  ses  doutes  ! 

<(  Tu  la  veux?  »  dit  Satan.  —  «  Je  la  veux.  »  dit  oscar. 
—  «  Alis  est  belle ,  aHs  est  la  plus  belle  femme 
Qui  jamais  ait  dicté  des  lois  au  montagnard  ! 
Je  te  la  liverai  demain  et  pas  plus  tard, 

Mais  que  me  donnes-tu?  —  Mon  âme.  » 


426 

Il  avait  reconnu  Tinfemal  visiteur  ; 
Il  prit  donc  bravement  le  philtre  nécessaire, 
Ce  philtre  pour  lequel  il  eût  vendu  sa  sœur  ; 
Et  qu'il  serait  allé  même  prendre  en  fureur 
Dans  les  entrailles  de  sa  mère. 

Voici  l'instant. . .  Minuit. . .  Aux  flancs  du  mont  à  pic 
Oscar  grimpe  en  rampant  de  crevasse  en  crevasse  ; 
Il  cherche  le  balcon  de  la  fille  d'ulric , 
Et  dans  l'ombre  il  a  l'air  d'un  monstrueux  aspic 
Qui  d'un  pauvre  oiseau  suit  la  trace. 

Allons  !  vierge  au  sein  blanc,  fraîche  et  suave  fleur, 
A  de  lubriques  yeux  expose-toi  sans  voiles.... 
Plus  d'accents,  plus  de  pouls. . .  Le  philtre  est  ton  vainqueur. 
De  ses  lèvres  oscar  t'enveloppe...  D'horreur 
Au  ciel  s'éteignent  les  étoiles. 

Une  griff'e  frappa  plusieurs  coups  au  carreau  : 
oc  Encor  quelques  baisers  »  dit,  ivre  de  délire, 
Le  damoisel.  Un  coup  retentit  de  nouveau  : 
«  Encore,  encore  un  peu  »  cria  le  hobereau. 
On  ouït  dehors  un  gros  rire. 


I 


127 


L'horrible  passion  est  satisfaite  enfin. 
Debout  !  le  créancier  réclame  sa  créance  ! 
Debout!  traître  vassal!  Là-bas  dans  le  ravin, 
Un  sauvage  étalon  aux  noirs  sabots  d'airain 
Bat  le  granit  d'impatience. 

«  Me  voici  »  dit  oscar.  L'autre  répondit  «  viens  » , 
Et  d'un  vol  l'emporta  sur  la  bête  puissante. 
Et,  les  crins  hérissés,  sans  mors  d'acier,  sans  liens. 
Plus  prompte  qu'un  lion  des  cirques  des  Païens, 
Elle  s'élança  sur  la  pente. 

Et  l'on  se  dirigeait  en  face ,  sans  détours. 
Et  l'animal  allait,  allait,  vivante  trombe. 
Satan  (nos  éperons  eussent  été  trop  courts) 
Lui  déchirait  les  reins  qui  rendaient  des  bruits  sourds 
Comme  un  soupir  dans  une  tombe. 

Au  galop  !  les  cailloux  fendus  lançaient  du  feu  ; 
Les  échos  répétaient  les  chocs  du  pied  sonore; 
Sur  le  fonds  du  seigneur  et  sur  le  franc-alleu 
Il  courait ,  il  volait.  Bientôt  dans  le  ciel  bleu 
De  l'Orient  monta  l'aurore. 


128 

Au  galop  !  l'air  manquait  à  la  gorge  d'oscar. 
Demi-mort  il  voyait  paraître,  disparaître, 
Ainsi  qu'un  tourbillon,  ainsi  qu'un  cauchemar, 
Les  cabanes,  les  blés  et  les  bœufs  et  leur  char 
Et  les  verts  branchages  du  hêtre. 

Vite ,  vite,  au  galop  !  au  splendide  horizon 
L'astre  éclatant  rendit  sa  splendide  lumière. 
Rien  n'arrêtait,  ni  bois,  ni  coteau,  ni  vallon: 
Une  rivière  à  lui  s'offrait-elle ,  d'un  bond 
L'animal  sautait  la  rivière. 

Au  galop  !  sur  leurs  pas  les  reptiles  fuyaient. 
Au  galop  !  tout  au  tour  comme  sous  la  rafale 
Les  feuilles  frémissaient,  les  herbes  s'inclinaient. 
Au  galop!  de  la  gueule  et  des  naseaux  sortaient 
Des  jets  de  flammes  en  spirale. 

Au  galop!  du  village  accouraient  les  paysans, 
Mais  ils  ne  trouvaient  plus  que  la  poussière  grise. 
Entre  eux  et  les  fuyards  étaient  déjà  vingt  champs , 
Et  l'on  n'entendait  plus  que  les  rugissements 
Du  démon  passant  près  l'église. 


129 
Plus,  plus  vite,  au  galop!  parfois  le  chevalier 
Murmurait:  <(  une  soif  ardente  me  consume. 
Pitié  ,  je  tombe.  »  Alors  Lucifer,  pour  étrier 
Mettait  ses  doigts  crochus,  et,  pour  eau,  du  coursier 
En  ricanant  baillait  l'écume. 

Au  galop,  au  galop!  Et  l'Archange  du  mal 
Sans  cesse  ranimait  la  fumante  monture. 
Sur  la  croupe  blessé  se  tordait  le  vassal , 
Mais  de  ses  crocs  Satan  l'y  fixait  comme  un  pal 
Qu'on  plante  dans  la  terre  dure. 

Et  vint  le  crépuscule....  Et  vint  encor  la  nuit.... 
Et  puis  encor  l'aurore....  Et  puis  ce  fut  le  terme: 
Devant  eux  apparut  la  plaine  qui  reluit , 
Le  gouffre  gigantesque  où  chaque  torrent  fuit , 
La  vaste  mer  qui  nous  enferme. 

Et  si  là  s'arrêta  ce  funèbre  hussard, 
C'est  que  ne  pouvait  plus  à  ses  brasiers  immondes 
Echapper  la  victime  engloutie  au  hasard  : 
Que  craindre  !  pour  laver  de  son  forfait  oscar 
La  mer  n'avait  pas  assez  d'ondes. 

Nice. 


10 


CINQUIÈME  AUX  MATHEMATICIENS 


Dès  son  berceau  la  triste  humanité 
A  cherché ,  cherche  et  cherchera  de  même 
Jusqu'à  sa  tombe  un  quadruple  problème  : 
Produire  l'or,  d'un  rond  faire  un  carré, 
Guérir  tous  maux  par  un  remède  unique , 
Et  retrouver  l'introuvable  bonheur. 
Or  que  pensez  des  trois  premiers  ,  lecteur  ? 

—  Rêve.  —  Et  de  l'autre? —  Encor  rêve  menteur. 

—  Ah!  vous  croyez?  Hé  bien!  moi,  je  me  pique 
D'avoir  cettui  bientôt  et  sans  sueur, 


431 

Si  le  bon  Dieu  veut  remplir  mon  programme  : 
Cent  francs  par  mois ,  un  jardin ,  une  femme, 
Un  blond  enfant,  des  livres,  des  oiseaux, 
De  la  musique,  un  gros  chien  ,  des  pinceaux, 
La  santé  ,  puis  le  réconfort  de  l'âme  , 
La  liberté  ;  que  faut-il  donc  de  plus? 

0  Liberté  ,  vierge  dont  Toeil  farouche 
Devient  si  doux  pour  les  fils  de  Brulus , 
0  Liberté  qu'un  castel  effarouche, 
Qui  sous  le  chaume  étends  la  rude  couche 
Où  tu  t'endors  d'un  franc  et  dur  sommeil , 
0  Liberté  qui  vas  nue  au  soleil, 
0  Liberté  que  tout  grand  cœur  désire , 
0  Liberté  qui  peux  à  ton  gré  rire 
Des  gueux,  des  rois,  des  écrivains,  des  sots 
Sous  l'habit  noir  en  notre  siècle  égaux , 
0  Liberté,  fille  des  vastes  flots, 
0  Liberté,  fleur  du  ravin  sauvage, 
0  Liberté,  sublime  Liberté, 

Quand  te  verrai-je,  en  pleins  champs,  sous  l'ombrage, 
A  mes  baisers  offrant  ton  brun  visage, 
Quand  te  verrai-je  assise  à  mon  côté?... 


132 

Çà!  que  chanté-je!  Avec  cette  homélie 
Veut-il ,  Thyrtée  ,  aller  en  Italie? 
Lors  bon  voyage.  Essayons ,  quant  à  nous  , 
De  renouer  bien  ou  mal  les  deux  bouts 
De  notre  histoire  "  à  nulle  autre  pareille." 
Mais ,  par  ma  barbe  !  à  propos  de  bonheur , 
.Je  viens,  je  crois  ,  d'endormir  le  lecteur... 
Hé!  holà!  hé  !  par-là,  que  Ton  s'éveille... 
"  Je  disais  donc  hier  soir  au  tribunal  " 
Qu'à  rechercher  le  quadruple  problème 
Plus  d'un  mortel  était  devenu  blême  ; 

Or  je  n'ai  là  dit  rien  d'original. 

Pour  dire  mieux  permettez  que  j'allie 

A  ce  problème  issu  de  l'alchimie 

La  question  que  Benoît  se  posa. 

«  Dès  que  les  us  veulent  qu'on  se  marie , 
Pensait  Benoît  «  que  voire  sans  cela, 
Probablement  je  ne  serais  point  là, 
Je  dois  aussi  contracter  mariage  ; 
Mais  point  ne  veuy  ouïr  ni  commérage , 
^'i  babil  :  faut  découvrir  quelque  part 
Femme  n'osant,  au  sein  de  son  ménage  , 
Oncques  parler  si  ce  n'est  du  regard... 


Problème  neuf!  défi  pour  la  science! 
Lors  il  Courut  et  parcourut  la  France, 
Et  tant  courut  en  quête  du  phénix 
Qu'il  en  perdit  à  la  fin  patience , 
Et  qu'il  revint,  jurant  pnr  saint  Denis, 
Dessous  son  toit  savourer  le  silence. 

Que  voulez-vous!  Benoît  ('tait  enclin 
A  l'humeur  sombre;  il  ne  supportait  brin 
Ces  niais  propos  que  du  soir  au  matin 
Et  du  malin  jusques  au  soir  les  belles 
Sur  pierre  et  paul  savent  tenir  entre  elles. 
On  lui  savait  icelle  opinion  ; 
On  lui  savait  aussi  force  billon , 
Lequel  billon  mille  défauts  rachette. 
Qu'arriva-t-il?  Un  rusé  Harpagon 
Qui  possédait  ravissante  fillette , 
La  décida  de  faire  la  muette; 
Puis  h  Benoît  très-dextrement  alla 
Répétailler  contre  le  célibat 
Tout  un  sermon  de  feu  l'abbé  Roquette. 
Lors  notre  sars  fit  connaître  sa  foi. 


434 

«  Ah!  »  dit  le  vieux  «  ah!  monsieur  de  Benoît, 
Raison  avez  :  une  femme  bavarde 
Est  un  fléau  ;  que  le  ciel  vous  en  garde! 
Mieux  vaut  rester  éternellement  coi 
Que  trop  parler,  aussi  je  vous  conseille, 
Puisqu'à  présent  vous  voici  décidé 
Avec  Hymen  de  faire  un  tour  de  dé....  > 
Le  vieux  se  tut  et  se  gratta  l'oreille. 

—  «  Conseillez  quoi?  —  Le  plus  simple  moyen 
Qu'on  puisse  avoir  de  résoudre  un  problème 
Moult  ardu.  Crac!  tranchez  le  nœud  gordien. 
Sancho  l'a  dit  et  Salomon  de  même  : 

Qui  ne  voudra  femme  qui  parle  prou. 
Femme  prendra  qui  parle  pas  du  tout.    * 

—  Hé  bien  !  —  Hé  bien  !  prenez  une  muette. 

—  Je  l'avouerai,  jà  dedans  mon  esprit 
Semblable  idée  était  venue  ;  aussi 
Pouvez  tenir  la  chose  comme  faite. 

—  Ha  !  que  ne  suis-je  assez  riche  !  —  Pourquoi? 

—  Hélas!  j'ai  fille  et  jolie  et  honnête. 
Mais  par  malheur  ou  plutôt  par....  ma  foi , 
Bonheur  serait  en  telles  occurrences , 

Si  j'étais  riche.  —  Eh!  le  suis-je  point,  moi, 
Pour  deux,  pour  vingt,  voire  pour  les  dispenses? 


435 
—  Pauvre,  monsieur,  mais  muette.  —  Très  bien, 
Tope!:»' 

Trois  jours  après  cet  entretien  , 
A  la  mairie  apparaissait  le  couple. 
Ainsi  qu'un  gant  l'Harpagon  était  souple  ; 
Il  craignait  tant  de  ne  pas  réussir  ! 
Le  tricolore  adjoint,  pour  les  unir 
Ayant  d'abord  lu  certain  paragraphe , 
Dit  à  Benoît  :  a  mossieu,  l'acceptez-vous 
Pour  votre  femme  ?  —  Oui  »  répliqua  Tépoux 
Qui  signa  l'acte  avec  un  beau  paraphe. 
Le  père  avare  en  fut  tout  éblouï. 
«  L'acceptez-vous  pour  mari,  mamezelle  ?  » 
Lors  ajouta  le  bleu-blanc-rouge.  Icelle 
Signa  bien  vite  et  puis  répondit  :  «  oui.  ^ 


Mc«. 


CONTE  JAUNE 


De  ce  fait  pour  que  personne 
Ne  puisse  douter,  parbleu! 
Je  dirai  qu'un  conte  jaune 
N'est  jamais  un  conte  bleu. 
Or  ce  fait  est  assez  drôle, 
Comme  tout  ce  qui  survint 
Du  temps  de  Ledru-RoUin , 
Cavaignac  et  Picrochole. 


137 
Les  gardes  nationaux, 
Alors  soldats  par  mégarde  , 
Avaient  Tair  sous  leurs  shakos 
De  Suisses  sans  hallebarde. 
Bourgeois,  ils  montaient  la  garde 
De  si  bourgeoise  façon, 
Qu'on  sentait  que  leur  galon 
Était  bien  une  "  sardine.  " 
En  la  nuit,  souventes  fois^ 
Ils  étaient  par  discipline , 
Quand  leur  moitié  féminine 
Dormait  sur  la  laine  fine , 
r.ensés  dormir  sur  le  bois. 


Un  matin,  un  capitaine 
Après  le  réveil  sortit , 
Et  fut  sans  reprendre  haleine 
Chez  sa  femme  encore  au  lit , 
Il  la  croyait  moult  en  peine 
D'avoir  passé  loin  de  lui 
Une  si,  si  longue  nuit. 
0  des  maris  race  vaine  ! 
Il  frappe  ;  elle  ouvre,  mais  tard  : 


138 

Fallait  sans  doute  au  regard 

Soustraire  certain  désordre. 

Il  entre,  il  aime,  il  repart; 

Du  général  c'était  l'ordre. 

Mais  admirez  le  hasard! 

Lorsqu'après  cette  entrevue 

Il  retourna  dans  le  fort , 

Sa  casquette  aux  filets  d'or 

D'un  filet  s'était  accrue. 

€  Bon!  î>  dit  un  bizet  plaisant 

Qui  devinait  la  bévue 

«  Il  paraît  que  maintenant 

Les  femmes  font  commandant  !  » 


Nice. 


LANTERNE   VÉNITIENNE 


Tu  m'aimes ,  paola ,  mon  ardente  maîtresse  , 
Toi  dont  le  Titien  eût  peint  le  front  bruni , 
Tu  m'aimes  comme  Dieu ,  plus  que  Dieu  ;  mais  aussi 
Je  préfère  de  toi  la  plus  simple  caresse 
Aux  transports  d'une  reine. 

—  0  noble  Luigi , 
Pour  toi ,  rien  que  pour  toi  ta  paola  respire. 


■140 

—  De  mon  côté,  je  t'aime,  ô  rayon  de  mes  jours, 
Je  t*aime  ;  mais  ce  mot  je  veux  seul  te  le  dire  , 
Des  baisers  je  veux  seul  t'en  prodiguer. 

—  Toujours 
L'injuste  jalousie. 

—  Oui,  toujours.  Mon  martyre 
Naît  avec  mon  bonheur  de  nos  fières  amours. 
Que  ton  regard  distrait  tombe  sur  un  autre  homme , 
Je  souffre,  et  pour  calmer  le  mal  que  je  ressens 
J'ai  besoin  de  cueillir  sur  ta  bouche  un  doux  baume. 
Oh!  malheur,  si  jamais  tu  me  trahissais  comme 
L'infâme  aiuseppa  ! 

—  Ces  soupçons  offensants 
Ne  sont,  mon  Luigi,  qu'un  reflet  de  vain  songe. 

—Des  soupçons  !  c'est  plutôt  la  crainte  qui  me  ronge 
Aux  lèvres  des  beautés  se  plait  tant  le  mensonge  î 
Malheur  si  tu  passais  au  bras  d'un  autre ,  un  jour  ! 
Vois-tu ,  j'appellerais  la  Vengeance  livide, 
J'armerais  contre  toi  ma  main  de  sang  avide. 
Et  de  tes  seins  gonflés  par  un  coupable  amour 
Je  briserais  le  globe  ainsi  qu'un  verre  vide  ! 


til 


II 

As-tu  bien  vu ,  pictro  ? 

—  Monseigneur,  au  flot  noir 
Se  mêlait  le  ciel  noir,  et  comme  un  noir  reptile 

A  glissé  la  gondole.  Ils  ont  quitté  1b  ville. 

—  Durant  une  nuit  sombre  on  peut  ne  pas  bien  voir. 

—  Monseigneur  a  promis  des  ducats  bien  sonores , 
Et  ma  lanterne  sourde  est  fidèle.  Bonsoir. 

III 

Tu  m'aimes,  n'est-ce  pas,  paola?  Tu  m'adores? 

—  En  oses-tu  douter  ? 

—  J'en  doutais  sans  pietro. 

—  Que  dis-tu  là? 

—  Je  dis  que  lorsqu'une  maîtresse 
A  trahi  son  amant  ;  que  le  coup  saigne  trop  ; 


U2 

Qu'une  dérision  est  sous  chaque  caresse  ; 

Qu'un  homme,  fùt-il  duc,  fût-il  prince,  a  le  droit 

De  bafouer  l'amant  en  le  montrant  du  doigt  ; 

Qu'à  cet  homme  l'amante  a  livré  toute  nue 

Sa  gorge  aux  purs  contours  pour  son  amant  perdue  : 

L'amant  sous  son  manteau  cache  un  poignard  vengeur , 

S'en  va  chez  la  maîtresse,  et  froidement  la  tue. 


IV 


Pietro,  ma  paola,  je  l'ai  frappée  au  cœur. 
J'ai  fait  comme  Othello,  ce  chef  du  peuple  Maure. 
Depuis  lors  un  fantôme,  hélas  !  à  chaque  aurore, 
Vient  finir  mon  sommeil  :  c*est  elle ,  paola 
Qui  sourit  tristement.  Pietro ,  cette  nuit-là 
As-tu  bien  vu? 

—  Seigneur ,  vous  m'avez  crié  :  «  va 
Vois  et  je  te  paierai.  »  L'espion  qu'on  implore, 
Avant  tout ,  veut  gagner  le  ducat  bien  sonore. 


Nice. 


FRANCHISE  OBLIGE 


Un  curé  dont  la  panse  ronde 
Et  la  figure  rubiconde 
Prouvaient  qu'il  plaçait  Savarin 
Au  dessus  de  Saint -Augustin  , 
Passait  un  jour  sur  un  chemin 
En  rêvant....  sans  doute  à  Joconde. 
Ce  joiir  était  un  vendredi. 
Tout-à-coup  à  l'ombre  d'un  hêtre , 
Il  vise  un  cantonnier  blotti 


144 

Oui,  sérieux  comme  un  mufti, 
Pour  la  troisième  fois  peut-être 
Déjeunait.  Loin  de  l'œil  du  maître 
Cantonniers  ont  tant  appétit  ! 

Or,  notre  vaillant  prolétaire 
A  son  pain  avait  cru  devoir 
Joindre  un  morceau  de  lard.  Que  faire? 
Au  sermon  comment  se  soustraire? 
Son  curé  venait  de  le  voir  ; 
Et,  pour  comble  de  désespoir, 
De  son  péché  si  détestable, 
Péché  mortel,  péché  maudit , 
Ses  doigts  encor  dans  leur  repli 
Tenaient  la  preuve  irrécusable. 
Fallut  se  résigner,  fallut 
Attendre  que  sur  son  chef  nu 
Éclatât  le  pieux  tonnerre. 
Mais  l'abbé,  n'étant  plus  en  chaire. 
Sur  la  différence  des  plats 
Parla  sans  feinte  au  pauvre  hère  : 
«  Va  !  »  lui  dit-il  «  ne  rougis  pas , 
Mon  maigre  vaut  mieux  que  ton  gras,  j) 


RIRA  MAL  QUI  RIRA  LE  PREMIER 


C'est  dedans  Alby  qu'arriva  la  chose. 
Le  curé  du  lieu ,  joyeux  directeur, 
Du  déiste  fier ,  du  dévot  morose 
Dirigeait  si  bien  et  l'âme  et  le  cœur 
Qu'aux  pesants  fardeaux  que  l'église  impose 
A  peine  on  trouvait  le  poids  d'une  rose. 
Tous  allaient  à  vêpre  indistinctement, 
Parce  qu'après  vêpre ,  aux  yeux  du  bon  père , 
Tous  pouvaient  danser  sur  la  commune  aire, 
Que  voire  il  payait  pour  ce  l'instrument. 

11 


146 

Los  à  tel  curé  !  bravo  !  Seulement 
Pas  il  ne  voulait  que  durant  l'office 
Oncques  s'entendit  voler  moucheron  : 
Le  cher  homme  avait  la  prétention, 
Lorsque  dans  sa  chaire  il  fouettait  le  vice, 
D'être  sérieux  plus  que  Massillon. 
Il  disait  souvent  qu'une  légion 
De  Grassots  farceurs  ,  pendant  le  sermon  , 
Point  ne  parviendrait  à  le  faire  rire  ; 
Or  tant  le  disait  qu'on  dut  contredire. 

Une  dame,  un  jour,  de  le  dérider 
Au  prône,  entre  amis  voulut  parier. 
L'abbé  consentit  certain  de  lui-même. 
Un  repas  pour  tous  fut  l'enjeu.  Survint 
Fête  de  ne  sais  quel  illustre  saint  ; 
Le  prêcheur  devait  débiter  un  thème 
A  la  fois  français,  gascon  et  latin, 
Qu'il  jugeait  rivaj  du  Petit  -  carême. 
Savez-vous  quel  fut  le  gai  stratagème 
Employé?  Ce  fut  petit  lapin  blanc. 
La  dame ,  placée  auprès  de  la  chaire , 
Sous  son  chall  tenait  l'animal  ;  et ,  quand 
Le  prêtre ,  poussé  par  ce  sentiment 


147 
Qui  vers  un  péril,  vers  une  misère 
Dont  avons  horreur  nous  pousse  pourtant, 
Tournait  malgré  lui  les  yeux  vers  la  dame 
Qui  de  ses  regards  onc  ne  le  perdait. 
Petit  lapin  blanc  soudain  surgissait. 

«  Mes  frères ,  l'avare  est  un  être  infâme  ; 
Saint-Luc  jadis....  »  Zet  !  petit  lapin  blanc! 
((  Je  signalais  donc  l'horrible  avarice.....  » 
Zet  !  le  lapin  blanc!  «  Le  plus  affreux  vice...  » 
Zet  f  petit  lapin!  «  L'avare  vraiment 
Est  des  animaux  le  plus  dégoûtant  : 
Comme  un  noir  eunuque  il  prive  les  autres 
De  ce  dont  il  n'use....»  »  Et  2et  le  lapin  ! 
«  Voyez  Jésus-Christ,  voyez  les  apôtres....  » 
Voyez  le  lapin. 

Notre  théatin 
Avait  beau  tousser  afin  de  ne  rire  : 
Rire  retenir  est  un  tel  martyre, 
Qu'Heraclite  en  pleurs,  Jérémieen  ire 
Mêmes  n'auraient  pu  l'endurer.  En  vain 
L'humble  Bourdalou  vouait  à  la  flamme 
L'avare ,  à  l'instar  de  l'avare  brin 
Son  discours  diffus  semblait  n'avoir  d'âme. 


U8 

Et  toujours  jeannot  sautait,  et  la  dame 
Toujours  grimaçait.  Pauvre  parieur  ! 
Plus  n'y  put  tenir.  Perdant  la  mémoire 
Et  la  gravité ,  le  prédicateur 
Partit,  à  la  fin  et  de  si  bon  cœur, 
D'un  rire  si  gros  que  tout  l'auditoire 
Par  contagion  en  fit  tout  autant. 
Tout  le  monde  rit,  jusqu'au  lapin  blanc. 


TABXjE    r>E©    COIVTJES 


La  consultation  1 

Le  règlement  du  Gascon  3 

Victor  ou  l'enfant  de  la  Cannebière  0 

Ce  petit  instrument  19 

La  pyrrhocomiade  25 

Un  homme  à  la  mer  43 

L'amour  des  bêtes  47 

Le  baron  De  ***  53 

La  métempsycose  59 

L'hydropique  65 

Trois  soleils  67 

La  hausse  et  la  baisse  70 


150 

Le  poulet  à  la  compatriote  74 

•  Un  Grassois  et  six  canons  76 

Boutade  79 

Comment  on  fait  banqueroute  84 

Stances  Macabres  86 

Un  commandement  de  l'église  94 

A  modèle  modèle  et  demi  94 

Le  pape  et  le  congrès  99 

II  y  a  fagot  et  fagot  402 

Marquises  et  comtesses  4  05 

Allez  à  Marseille  4  09 

Un  mari  qui  ne  sait  pas  lire  443 

Les  miracles  de  nonnes  419 

La  légende  d'oscar  4  22 

Cinquième  aux  mathématiciens  430 

Conte  jaune  4  36 

Lanterne  Vénitienne  4  39 

Franchise  obligé  4  43 

Rira  mal  qui  rira  le  premier  4  45 


ŒUVRES   D'EMILE    NEGRIN 


Les  Palladiennes  , 
La  Folle  du  lac  d'Oo, 
Vers  et  rimes, 
Lais  d'amour, 


Sous  presse. 
Deuxième  édition. 
Deuxième  édition. 
Deuxième  édition. 


tj 


LE  13EÂU  CiËL 


9 


rOESIES 


m\V^  NEGRIN, 


f.l'.iEl;     IJBK.UKli; 

Hue  dos  l^uU:'V"c- 


(jAiub.v  :•  ,  :  .  rau- 


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LE  BEAU  CIEL 

DE 

CANNES, 


A  MON  PÈRE 
cP&    ou>  je  </o€ô  iec/uca/ehn/ 


LE  BEAU  CIEL 


CANNES, 


POÉSIES 


EMILE  NEGRIN. 


TOULOUSE, 

TYPOGRAPHIE  DE  V*  SENS  ET  PAUL  SAVY 

'     Rue  Saint-Rome  ,   4. 
1855. 


PROLOGUE. 


Quid?  —  NiL 

Je  ne  veux  pas  mal  à  propos 

Chercher  comme  tant  de  poètes 

Dans  ma  jeunesse  ou  dans  mes  délies 

L'excuse  de  ces  vers  nouveaux. 

Si  c'est  bien  ,  pourquoi  des  trompettes  ? 

Si  c'est  mal ,  pourquoi  des  défauts? 

Les  préfaces  les  plus  complèles 

Je  les  résume  en  douze  mois  : 

Dieu  fasse  que  ces  violettes 

Pour  vous  ne  soient  pas  des  pavots  ! 


Toulouse,  1855. 


ODES. 


MA  PIPE, 


Allons  ,  ma  pipe  ,  un  peu  de  la  fumée  y 
Viens  m'enivrer  de  ton  parfum  divin  ; 
Contre  l'ennui ,  ma  pipe  bien -aimée  , 
Viens  me  bercer  de  tes  rêves  sans  fin. 


Lorsque  je  suis  ,  dans  sa  marche  inégale  , 
Ce  flot  d'azur  que  ton  foyer  vomit , 
Qui  se  balance  en  légère  spirale  , 
Qui  monte  ,  monte  et  puis  s'évanouit  : 


Tantôt  je  rêve  une  palme  guerrière  , 

Sur  des  débris  flotte  mon  étendard 

Et  sous  mes  pieds  ,  le  front  dans  la  poussière 

Des  rois  vaincus  implorent  un  regard  ; 


< 


—   10  — 
Tantôt  je  rêve  un  laurier  poétique  , 
Le  siècle  a  fui  ,  ma  lyre  vibre  encor 
Et  l'avenir  sur  le  marbre  historique 
Grave  mon  nom  en  caractères  d'or  ; 


Tantôt  je  rêve  amour  ,  baisers  ,  sourire 
J'ai  senti  battre  un  cœur  à  mon  côté  , 
Ou  sur  un  sein  palpitant  de  délire 
Ma  lèvre  avide  a  bu  la  volupté. 


Et  tant  qu'aux  cieux  se  déroule  et  s'élève 
En  tournoyant  ta  joyeuse  vapeur  , 
la  douce  pipe  ,  ainsi  de  rêve  en  rêve  , 
on  âme  vole  et  trouve  le  bonheur. 


Allons  ,  ma  pipe  ,  un  peu  de  ta  fumée 
Viens  m'enivrer  de  ton  parfum  divin  ; 
î|     Contre  l'ennui  ,  ma  pipe  bien-aimée  , 
Viens  me  bercer  de  les  rêves  sans  fin. 


Cannes.  1849. 


—  44   — 


LA  COTE. 


Lorsque  l'ouragan  siffle  et  gronde  , 
Que  hurle  la  lame  profonde 
Aux  flancs  des  rochers  isolés  , 
J'aime  à  voir  la  blanche  mouette  , 
Comme  une  enfant  de  la  tempête  , 
Raser  les  flots  échevelés  ; 


Puis,  quand  les  hôtes  du  bocage  , 

Sous  les  pins  qu'a  plies  l'orage  , 

Ont  appelé  par  leurs  concerts 

Le  pêcheur  hors  de  sa  chaumière  , 

Et  que  l'aube  de  sa  lumière 

Fait  resplendir  le  sein  des  mers  , 


—  12 


J'aime  à  voir  les  barques  légères , 
Comme  des  ombres  passagères  , 
S'évanouir  dans  le  lointain  , 
La  goélette  qui  se  balance  , 
Hésite  un  instant  et  s'élance 
Aux  brises  fraîches  du  matin  , 

Le  port  où  s'agite  la  foule  , 
L'immensité  qui  se  déroule 
Sous  l'impuissance  du  regard  , 
Notre  île  aux  légendes  pieuses  , 
Et  les  vagues  capricieuses 
Qni  bondissent  de  toute  part  ; 

Et  puis  ,  le  soir  ,  dans  la  mâture  , 
La  voix  du  mousse  qui  murmure 
Les  ballades  de  son  pays  , 
L'écueil  où  le  phare  s'allume  , 
Où  les  eaux  laissent  leur  écume 
Et  le  goëlan  ses  petits  , 

Les  feux  argentés  de  la  lune  , 
L'ombre  rêveuse  de  la  dune 
D'où  l'oiseau  des  nuits  prend  l'essor 
Et  les  avirons  qui  s'élèvent 


—    13   — 

Tombent  à  la  fois  et  soulèvent 
Des  milliers  de  paillettes  d'or  , 


Et  les  sables  blancs  du  rivage  , 
Et  ce  long  soupir  de  la  plage  , 
Et  ces  vacillantes  lueurs  , 
Et  ce  flot  d'azur  qui  sommeille 
Sur  sa  couche  d'algue  vermeille 
Comme  l'insecte  sur  les  fleurs  : 


Pour  moi  toujours  la  mer  est  belle  , 
Toujours  de  son  onde  éternelle 
J'admire  les  plaines  sans  fin  , 
Toujours  son  courroux  est  sublime  , 
Toujours  cette  voix  de  l'abîme 
Me  semble  dire  un  chant  divin. 


Cannes.  1850. 


—  44  — 


LE  SABBAT. 


C'était  l'instant  où  sur  la  terre 
Tout  se  tait  ,  tout  est  solitaire  , 
La  nuit  pesait  sur  les  vallons 
Et  l'oiseau  des  tristes  augures 
Chantait  seul  au  fond  des  masures 
Et  l'étoile  était  sans  rayons  : 


Pour  le  sabbat ,  mille  fantômes  , 
Les  sorciers  ,  les  sylphes  ,  les  gnomes 
S'assemblèrent  dans  un  ravin  , 
Aux  lueurs  d'une  pâle  flamme 
Firent  là  leur  banquet  infâme  , 
Et  puis  se  prirent  par  la  main  ; 


—  15  - 

Et  puis  dans  une  ronde  immense  , 

Ils  dansèrent  tous  en  cadence  , 

Enfants  lugubres  de  la  nuit  , 

Et  leurs  têtes  tourbillonnèrent  , 

Et  leurs  cris  ,  leurs  chants  résonnèrent 

Jusques  à  l'heure  de  minuit  ; 


Puis  le  beffroi  dans  les  ténèbres 
Poussa  douze  soupirs  funèbres 
De  la  cime  des  vieux  donjons  , 
Et  l'on  entendit  dans  l'espace  , 
Comme  la  rafale  qui  passe  , 
Siffler  ,  en  fuyant  ,  les  démons. 


Cannes,  1850. 


—  16 


L'EXPOSITION   DE  LONDRES. 


Qui  rendra  la  vie  à  tes  bardes 
Pour  chanter  l'éclat  de  ces  jours 
Albion  ?  leurs  voix  montagnardes 
Se  taisent-elles  pour  toujours  ? 


Aucun  Ossian  qui  s'inspire 

De  la  bruyère  aux  noirs  rameaux 

N'arrachera-t-il  une  lyre 

A  la  poussière  des  tombeaux  ? 

Qu'aujourd'hui  de  votre  génie , 
Bardes  ,  les  sauvages  refrains 
Eclatent  pour  votre  patrie 
Comme  un  torrent  dans  les  ravins 


Cliaiitcz  ,  (le  Ml  iiloh'c  nouvelle 
Faites  tous  retentir  ses  bords  : 
L'univers  a  les  yeux  sur  elle  , 
L'univers  vante  ses  tilforts  ! 

Pourquoi  cette  foule  innombrable 
Ces  étrangers  de  tous  pays  ? 
Quel  est  cj  concours  admirable 
Dont  mes  rec;ards  sont  éblouis  ? 


Quel  est  ce  palais  magnifique 
Où  l'or  ,  l'argent  et  le  vermeil 
Se  disputent  tout  le  portique 
Qui  resplendit  comme  un  soleil  ? 


Est-ce  un  caprice  d'une  fée 
Qui  l'a  jeté  là  par  hasards 
Pour  représenter  le  trophée 
De  sa  victoire  sur  nos  arts  ? 


Kon  ,  c'est  l'autel  que  l'Indu,  trie 
Dresse  pour  le  Génie  humain  : 
Au  lieu  d'encens  chaque  patrie 
Apporte  les  fruits  de  sa  main. 


18 


Gloire  à  ces  luttes  pacifiques 
Où  le  sang  ne  se  verse  pas  , 
Où  l'art ,  où  les  Muses  pudiques 
Donnent  l'arme  pour  les  combats 

Plus  de  guerre  ,  plus  de  batailles  , 
De  cris  ,  de  triomphes  sanglants  , 
Plus  de  bronze  sur  les  murailles  , 
Plus  de  farouches  conquérants  ! 

Albion  ,  tu  donnes  Fexemple  , 
Tu  cesses  les  divisions 
Et  tes  murs  deviennent  le  temple 
Des  chefs-d'œuvre  des  nations  : 

Sois  bénie  et  que  dans  l'histoire 
Ton  nom  ne  soit  plus  repoussé  , 
Que  ce  bienfait ,  que  cette  gloire 
Fassent  pardonner  ton  passé  , 

Et  que  du  roc  de  Sainte-Hélène 
L'ombre  du  sublime  guerrier 
Ne  jette  plus  un  œil  de  haine 
Sur  ton  peuple  deux  fois  meurtrier  !  ! 


Aix,1851. 


—  19  — 


NAPOLÉON  III 


Qu'ils  étaient  beaux  les  jours  où  l'Europe  attentive 
Des  glaces  de  Russie  à  l'Hispanique  rive 
En  sa  course  de  feu  suivait  le  conquérant  , 
Lorsque  divinisé  dans  de  sanglantes  fêtes 
11  faisait  incliner  les  plus  royales  têtes  , 

Un  pied  sur  chaque  continent. 

La  France  dans  ces  jours  marchait  en  souveraine 
Vingt  peuples,  à  son  char  attelés  d'une  chaîne, 
Dans  la  poudre  tremblaient  même  de  l'implorer 
Et  notre  aigle ,  planant  sur  les    débris  des  trônes  , 
Dans  ses  serres  tenait  des  restes  de  couronnes 
Qu'elle  achevait  de  dévorer. 

On  n'entendait  jamais  que  des  hymnes  de  gloire  ; 
Le  héros  pour  lier  à  ses  pas  la  Victoire  , 


—  20  — 

Empruiitaii  au  soleil  lei  feux  de  son  regard  ; 
Qu'il  dit  et  refoulant  une  fange  d'esclaves 
Sur  les  forts  aussitôt  bondissaient  mille  braves 
Pour  y  planter  notre  étendard. 


Aujourd'hui  sur  des  fleurs  ,  demain  sur  les  murailles 
Il  vit  d'un  œil  égal  les  festins  ,  les  batailles  ; 
Il  fît  de  notre  siècle  un  siècle  de  géants  ; 
De  trophée  ennemi  chacun  formait  sa  couche 
Et  l'enfant  pour  jouet  n'avait  qu'une  cartouche 
Entre  ses  doigts  déjà  puissants  ! 


Mais  c^t  éclat  n'est  plus  ;  dans  un  brillant  mirage 
Le  prisme  du  passé  nous  en  montre  l'image  , 
C'est  assez  de  conter  ces  belles  actions  : 
Le  monde  est  trop  petit  pour  notre  grande  armée 
Et  le  Temps  voit  encor  sur  l'Europe  alarmée 
La  blessure  des  nations. 


Depuis  ,  de  nos  autels  s'envola  la  fortune  ; 
Albion  ,  parvenue  au  trident  de  Neptune  , 
Sans  que  Paris  frémît ,  sans  qm  de  son  tombeau 
L'ombre  du  vieux  Jean-Bart  s'élançât  irritée  , 
Sans  qu'on  brandit  des  Francs  la  hache  rec^outee 
A  craché  sur  notre  di-apeau  ; 


—  ^'1  — 

Depuis  ,  un  noir  linceul  a  pesé  sur  la  France  ; 
Les  révolutions  ont  vomi  leur  souffrance  ; 
Des  rois  ont  fait  de  l'or  le  prix  du  déshonneur  ; 
Depuis  ,  d'affreux  écrits  ,  de  stupides  doctrines 
Ont  prêché  le  viol  ,  le  meurtre  ,  les  rapines , 
Le  mépris  des  lois  et  du  cœur  ; 

Depuis  ,  les  passions  partout  se  sont  dressées  ; 

Les  familles  partout  ont  été  menacées  ; 

Une  fièvre  de  sang  a  brûlé  les  esprits  ; 

De  nouveaux  Jacobins  ,  sur  une  immense  liste  , 

JMélant  avec  fureur  libéral  ,  royaliste  , 

N'ont  tiré  que  sur  les  habits  !  ! 

Ils  attendaient  qu'enfin  leur  heure  fût  venue  , 
L'heure  de  l'échafaud  ,  et  déjà  dans  leur  vue 
Nous  lisions  l'espoir  de  nous  assassiner  , 
Sicaires  monstrueux  !  c'en  était  fait  du  monde  : 
Famille  ,  autel ,.  patrie  ,  en  moins  d'une  seconde  , 
Leur  folie  allait  tout  ruiner. 

Cela  se  pouvait-il  ?  La  sainte  Providence 
Devaît-elle  déjà  laisser  tomber  la  France  , 
L'Europe  ,  l'avenir  au  gouffre  du  malheur  ? 
Non  ,  non  ,  un  cri  du  peuple  a  tiré  de  ses  chaînes 


—  22  — 

L'e.xilé  qui  devait  après  trente  ans  de  peines 
Etre  un  nouveau  libérateur. 


Tu  parus  et  soudain  cette  horde  meurtrière 
Recula  devant  toi ,  rentra  dans  sa  poussière  , 
De  même  que  la  foudre  ,  aux  flancs  creux  du  vallon  ^ 
Lorsque  son  bruit  puissant  réveille  les  abîmes  , 
Fait  rentrer  les  vautours  inassouvis  de  crimes 
Au  fond  des  sables  de  Memnon  ! 

Et  la  société  maintenant  est  tranquille  ; 
Des  menaces  de  mort  au  sein  de  chaque  ville 
Ne  viennent  plus  troubler  l'honnête  citoyen  : 
Si  le  tigre  dompté  gronde  encor  dans  sa  cage  , 
C'est  toi  qui  nous  défends  ,  nous  rions  de  sa  rage  , 
Notre  sort  est  tout  dans  le  tien. 

Et  pour  consolider  l'œuvre  de  délivrance  , 
Des  partis  terrassés  pour  briser  l'existence . 
Pour  qu'un  principe  sûr  ramène  le  bonheur  , 
Pour  qu'un  bel  horizon  à  nos  yeux  se  déroule  , 
Tu  viens  interroger  les  désirs  de  la  foule 
Sur  ton  offre  d'un  Empereur. 

Les  voix  par  millions  te  donnent  leur  suffrage 
El  l'univers  entier  sauvé  d'un  grand  naufrage 


—  23  — 
Dans  un  élan  commun  approuve  notre  vœu: 
Sois  donc  ,  sois  empereur  et  de  l'ardent  génie 
Qui  de  tant  de  rayons  couronna  la  patrie  , 
Sois  pour  nous  le  digne  neveu  ! 


Mais  puisque  dans  tes  mains  le  sort  remet  un  sceptre 
Comme  lui  ne  pouvant  souffrir  un  autre  maître  , 
Vas-tu  faire  voler  les  trônes  en  éclats  ? 
Héritier  de  son  nom  ,  l'es-tu  de  son  délire  ? 
Vas-tu  nous  rendre  encor  l'ivresse  de  l'Empire  ? 
Vas-tu  nous  rendre  les  combats  ? 


Oh  !  c'est  assez  !  chez  nous  trop  de  noms  retentissent 
Les  lauriers  trop  nombreux ,  dédaignés  se  flétrissent  ; 
On  voit  partout  les  pas  de  notre  légion  ; 
La  France  ,  écoutant  trop  son  humeur  vagabonde , 
La  France  a  déchiré  les  entrailles  du  monde  : 
Laisse  un  peu  dormir  le  lion. 


Qu'une  sublime  paix  enfin  nous  régénère  , 
Qu'on  rende  moins  amer  le  pain  de  la  misère  , 
Que  les  arts  donnent  seuls  une  proie  aux  esprits  , 
Que  plus  instruit  le  peuple  à  ta  hauteur  grandisse  , 
Que  ta  main  généreuse  au  mérite  fournisse 
De  l'encens  ,  de  l'or  et  des  prix. 


24 


Alors  tu  seras  grand  ,  plus  grand  que  dans  la  guerre 
Alors  à  te  bénir  s'habitûra  la  terre  ; 
Une  triple  auréole  illustrera  ton  front  ; 
Salut  ,  gloire  ,  bonheur  ,  on  y  pourra  tout  lire 
Et  pleins  d'orgueil  un  jour  nos  enfants  pourront  dire  : 
Napoléon  !  Napoléon  !  !  ! 


Aix,  novcinlire  1352. 


—  r6  - 


LE  JOUR  DE  L'AN, 


Encore  un  an  qu'un  soufïlc  de  la  tombe 
Vient  d'emporter  dans  le  séjour  des  morts. 
Encore  un  an  qui  s'écroule  et  qui  tombe 
Malgré  nos  cris ,  nos  regrets  ,  nos  efforts. 

Qu'y  faire  ,  hélas  !  ie  vieillard  aux  guenilles 
Frappe  en  aveugle  et  sans  rémissions  , 
Et  de  sa  faulx  moissonne  les  familles 
Comme  les  ans  ,  comme  les  nations. 


Fermons  les  yeux  ,  laissons  passer  la  foule 
Dormons  en  paix  ,  poursuivons  nos  désirs  , 
Et  qu'à  nos  pieds  ce  torrent  qui  s'écoule 
Gronde  et  jamais  ne  trouble  nos  plaisirs  ; 


—  26  — 

Laissons  mourir  les  siècles  et  les  hommes  , 
Sajis  murmurer  attendons  notre  tour , 
Et  pour  masquer  le  péril  où  nous  sommes 
Cueillons  encore  une  rose  en  ce  jour  ; 

Buvons  encor  :  la  coupe  de  la  vie 
S'épuise  hélas  !  bien  vite  en  notre  main  ; 
Buvons  encor  :  nous  touchons  à  la  lie , 
Qui  de  nous  sait  si  nous  serons  demain  ? 

L'année  a  fui  dans  la  nuit  éternelle  ,     - 
Mais  oublions  ce  qu'elle  nous  a  pris  , 
Puisque  le  Temps  ramène  sur  son  aile 
Cet  heureux  jour  dont  chacun  est  épris. 

Salut ,  salut ,  Nouvel  An  qui  commences  , 
Qui  viens  à  nous  les  mains  pleines  de  fleurs  , 
Toi  qui  promets  le  baume  à  nos  souffrances  , 
Le  terme  au  rêve  et  la  palme  aux  labeurs  ! 

L'espoir  fait  vivre  et  l'espoir  tu  le  donnes  ; 
Chargé  de  biens  ,  tu  nous  descends  des  cieux 
Sur  ton  front  pur  j'aperçois  des  couronnes 
Dont  les  fleurons  tombent  pour  les  lieur.ux. 


27 


Dis- moi  ,  vas- tu  me  donner  pour  étrenne 
Un  beau  palais  aux  murs  de  marbre  blanc 
Et  du  Caucase  où  chaque  femme  est  reine 
Pour  y  régner  m'amener  une  enfant  ? 

Me  gardes-tu  ton  plus  charmant  sourire  ? 
Toi  qui  de  Dieu  répartis  le  trésor , 
Vas-tu  pour  moi  détruire  quelque  empire 
Et  parsemer  ma  route  de  son  or  ? 

Vas-tu  me  prendre  en  ta  course  rapide 
Et  m'engloutir  au  loin  dans  l'infini  ? 
Ou  de  mon  cœur  remplir  la  place  vide  ? 
Ou  dans  la  gloire  éteindre  mon  ennui? 

N'importe  enfin  !  que  je  vive  ou  je  meure 
De  tes  arrêts  tu  me  verras  content. 
Au  Nouvel  An  ouvrons  notre  demeure  , 
Embrassons-nous  ,  salut  au  Nouvel  An  !! 


Aix,  1853. 


28 


LA   MORT    DE  MA  MÈRE. 


Mater   cara  ,  jaces    aelernse  morlis  in  ogro 
Sed  gralo  puerùra  jieutorc  vi\is  adiiùcr 


Seigneur,  pourquoi  sur  cette  terre 
Sommes  nous  jetés  pour  souffrir  ? 
Sous  le  souffle  de  la  misère 
Pourquoi  naître  ,  vivre  et  mourir? 

Pourquoi  faut-il  que  les  alarmes 
Composent  notre  court  destin  , 
Que  sans  cesse  d'amères  larmes 
Mouillent  l'humble  morceau  de  pain  ? 

Comme  un  fils  de  votre  colère 
L'homme  pour  gémir  est-il  né? 
Dans  les  entrailles  de  sa  mère- 
L'aviez-vous  déjà  condamné  ? 


Ilelas  !  chcKiue  jour  de  la  vie 
Arrache  une  joie  à  son  cœur 
Et  c'est  vainement  qu'il  envie  , 
Et  cherche  partout  le  bonheur  : 

Sous  ta  rose  il  trouve  l'épine , 
Sous  les  délices  les  labeurs , 
Sous  le  monument  la  ruine  ; 
Les  ris  mêmes  coûtent  des  pleurs. 

Et  dans  cette  carrière  étrange 
Où  le  plaisir  a  p^u  de  part, 
Nous  passons  connue  une  phalange 
Dont  la  mort  porte  l'étendard. 

0  mort ,  ô  déesse  implacable , 
Sombre  ministre  du  Très-Haut, 
Dis  nous  :  à  ta  loi  redoutable 
Qui  pourrait  ravir  un  tombeau? 

Aux  fleurs  des  festins  et  des  danses 
Tu  môles  l'arbi'o  du  malheur 
El  tu  termines  no^  soulTrances 
Par  une  deriiière  douleur  ! 

3. 


—   30  — 


Qu'ils  doivent  être  grands  vos  trésors  d'harmonies, 
Seigneur  ,  que  vos  bontés  doivent  être  infinies 

Pour  récompenser  vos  élusi 
Que  vous  devez  avoir  de  saintes  allégresses 
Pour  racheter  au  ciel  nos  heures  de  détresses 

Lorsque  nous  ne  pécherons  plus  , 

Quo  la  mort  nous  aura  de  son  aile  livide 
Brisés ,  que  notre  place  au  banquet  sera  vide 

Parmi  nos  parents  éplorés 
Et  que  notre  âme  ,  admise  aux  régions  célestes, 
Verra  par  la  piété  porter  ses  tristes  restes 

Sous  les  portiques  consacrés  1 

Oh  !  vous  devez  avoir  au  séjour  de  lumière 

Une  paix  inconnue  à  notre  humble  poussière  ,    - 

Une  mystique  volupté  , 
Des  plaisirs  réservés  à  vos  saints  ,  à  vos  anges  , 
Aux  vierges  ,  aux  prélats  qui  chantent  vos  louanges 

Durant  toute  l'éternité  ! 


—  31 


Il  faut  bienqiie  le  juste  en  proie  à  tant  de  haines  , 
Volontaire  martyr  qui  de  pieuses  chaînes 

Dans  sa  course  chargea  ses  pas , 
Qui  loin  des  fleurs  du  monde  alla  chercher  la  ronce  , 
Al  blasphème  orgueilleux  adressant  pour  réponse 

Un  cri  de  joie  à  son  trépas  ; 


Et  ce  pauvre  ,  en  guenille ,  à  la  marche  abattue 
Qui  par  amour  du  bien  n'a  pas  dans  une  rue 

Volé  du  pain  pour  son  enfant  ; 
Et  la  vierge  oubliée  au  fond  du  noir  hospice  , 
Où  sa  pudique  main  soigne  les  fruits  du  vice 

Par  un  sublime  dévouement  ; 


Et  cet  infortuné  croyant  parce  qu'il  souffre  , 

Alors  que  l'homme  heureux  prend  la  mort  pour  un  gouffre 

Sur  les  bords  du  néant  ouvert  : 
Il  faut  bien  que  ceux-là  dont  la  vie  est  amère  , 
Pour  lesquels  les  plaisirs  se  comptent  sur  la  terre 

Comme  les  ombres  au  désert , 


Il  faut  bien  ,  ô  mon  Dieu ,  que  tant  de  créatures , 

Vrais  enfants  de  la  foi ,  riches  de  leurs  tortures , 

Puissent  enfin  ouvrir  leur  cœur, 


32 


Et  voir  rémunérer  au  sein  de  la  justice 
Ce  courage  ,  cette  ferveur. 


Sans  cela  ,  contre  vous  l'impie  aurait  des  arm.s  : 
A  cjuoi  pourrait  servir  ce  baptême  de  larmes 

Auquel  le  juste  est  condamné  ? 
C'est  lorsque  vous  aimez  de  votre  amour  immense 
Que  vous  faites  souffrir  ;  par  votre  Providence 

Quiconque  souffre  est  pardonné. 


Oui ,  Seigneur  ,  oui  sans  doute  au  malheur  on  pardonno  : 
Chaque  peine  ici-bas  nous  vaut  une  couronne 

Dans  votre,  royaume  divin  ; 
Devant  le  repentir  tous  les  crimes  s'effacent 
Et  jamais  vos  pasteurs  à  l'autel  ne  se  lassent 

De  faire  du  pécheur  un  saint. 


Et  celle  qui  jadis  sur  ma  couche  légère 
M'apprit  à  bégayer  votre  douce  prière  , 

Les  deux  mains  jointes  ,  à  genoux  , 
Qui  dans  ce  monde  a  vu  de  pénibles  souffrances 
Transformer  tous  ses  jours  en  longues  pénitences  , 

^!'est-elle  pas  auprès  de  vous  ? 


—  33  — 

Celle  piur  qui  ,  de  pleurs  cruellement  r^^-mplie 
Comme  un  sinistiv  éclair  s'évanouit  la  vie  y 

A  qui  tout  distilla  le  fiel , 
Tout  fut  ennui,  dégoût  ,   amertume,  misère  , 
0  Seigneur  ,  ô  mon  Dieu  ,  celle  qui  fui  ma  ni>rc 

Dites  ,  n'est-ellc  pas  au  ciel  ? 


Ma  mère  !  hélas  !  j'ai  vu  mourir  ma  bonne  mère  I 
Comme  la  lampe  éteinte  au  fond  du  sanctuairo, 
J'ai  vu  son  œil  fermé  par  l'éternel  sommeil  ; 
Son  front  décoloré  ,  libre  de  la  pensée  , 
Ne  laissait  plus  de  place  à  sa  douleur  passée  ^ 
Et  semblait  espérer  un  céleste  réveil  ; 


Sa  bouche  ,  fatiguée  encore  de  se  plaindre  , 
Semblait  parler  des  cieux  qu'elle  venait  d'atleindre 
Semblait  presque  sourire  au  bienfait  de  la  mort  ; 
Sa  main  où  le  trépas  mettait  sa  froide  empreinte  > 
Ne  pouvait  plus  répondre  à  ma  douteuse  étreinte  : 
Je  pressais  ,  j 'a pp." la  s  ,  mais  inutile  effort  ! 


—  :u  — 

Fsî-il  jamais  sorti  quelque  voix  de  la  tombe  ? 

A  nos  pleurs  ,  à  nos  cr.s  ,  un  homme  qui  succombe 

S'est-il  jamais  dressé  couvert  de  son  linceul? 

.lamais  !  et  notre  mèro  était  inanimée  , 

Dans  le  passé  sa  ti-ace  allait  être  abîmée  , 

Et  pour  nous  ,  pour  toujours  le  regret  restait  seul  ! 

Le  soir  ,  lorsqu'arriva  la  nuit  silencieuse  , 
Dans  la  chambre  déserte  une  lampe  pieuse 
Répandait  près  du  corps  une  larme  de  feu  ^ 
Et  mes  sœurs  murmurant  de  lugubres  prières  , 
Tristes  comme  la  brise  aux  croix  des  cimetières  , 
Vers  la  sainte  Sion  fesaient  monter  leur  vœu; 


Et  sur  son  lit  de  mort  notre  mère  étendue  , 

De  longs  habits  tout  blancs  par  nous-mêmes  vêtue 

Muette  ,  ressemblait  à  l'ange  du  tombeau; 

Et  nous  allâmes  tous  sur  son  visage  auguste 

Où  rayonnaient  la  gloire  et  la  beauté  du  juste 

Rendre  encore  une  fois  les  baisers  du  berceau 


Et  comme  si  c'était  un  jour    de  belle  fête  , 

Comme  au  temps  où  pour  nou^  la  joie  était  parfaite, 

Comme  si  je  devais  encore  l'émouvoir  , 


—  35  — 

Si  le  sourire  cncor  devait  ouvrir  sa  bouche  , 

Sans  pleurer  ,  m'approchant  de  la  funèbre  couche 

Je  pris  sa  pâle  main  et  je  lui  dis  bonsoir  ! 


Et  je  ne  pleurai  pas  et  mon  àmc  brisée 
Sous  la  douleur  alors  s'atfaissant  épuisée  , 
Alla  chercher  ailleurs  des  pleurs  pour  sanglotter 
Le  lendemain  la  terre  avait  fait  une  place  ; 
L'airain  sacré  gémit  et  vibra  dans  l'espace  ; 
Des  fantômes  voilés  vinrent  pour  l'emporter  ; 


L'avide  éternité  réclamant  sa  victime  , 
Bientôt  tout  le  convoi  qui  s'ébranle  et  s'anime 
Couvrit  au  loin  le  sol  de  ses  replis  de  deuil  ; 
De  mortuaires  chants  dans  l'air  se  répandirent  ; 
Les  anges  radieux  en  chœur  y  répondirent  . 
Et  de  nous  lentement  s'éloigna  le  cercueil. 


Tout  était  dit  :  ce  fut  une  grâce  pour  elle  ; 
Elle  soupirait  tant  après  l'heure  mortelle  , 
Dans  trois  jours  d'agonie  elle  avait  tant  souffert , 
Trois  longs  jours  d'agonie  !  et  c'était  impossible 
D:  rendre  cette- fin  moins  lente  ,  moins  horrible 
0  mon  Dieu  ,  le  calice  à  nor  cœurs  fut  oflert. 


—  36 


Tant  que  son  œil  brilla  d'une  lueur  fatale  , 
Tant  qu'elle  fit  entendre  un  difficile  râle , 
De  notre  voix  tremblante  elle  connut  le  son 
TA  ,  comme  si  des  morts  distrayant  sa  pensée 
Los  souvenirs  parlaient  à  son  âme  oppfessée  , 
De  son  époux  sans  cesse  elle  redit  le  nom. 


Oh  !  bienheureux  celui  qui  possède  sa  mère  , 
Qui  ne  recherche  point  le  temple  solitaire  ; 
Bienheureux  l'homme  exempt  des  blessures  du  cœur 
L'homme  qui  peut  en  vain  s'asseoir  sur  une  tombe  , 
L'homme  qui  ne  sait  pas  si  la  gaîté  succombe  , 
Si  l'âme  se  flétrit  au  souffle  du  malheur  ! 


Heureux  !  ils  n'ont  jamais  les  tourments  que  nous  eûmes; 

Leur  lèvre  a  repoussé  la  coupe  d'amertumes  ; 

Ils  ont  planté  leur  tente  à  l'ombre  du  bonheur 

Et ,  lorsqu'ils  sortiront  du  désert  de  la  vie  , 

Si  de  biens  ,  de  vertus  leur  mémoire  est  suivie  , 

Ils  prendront  leur  essor  ,  vierges  de  la  douleur. 


Et  toi ,  ma  mère  ,  assise  au  banquet  des  prophètes 
Tu  vas  goûter  des  cieux  les  ineffables  fêtes  ; 
Le  tenîps  inaperçu  va  couler  à  tes  pieds  , 


Et ,  plaignant  des  humains  la  race  criminelle  , 
Tu  vas  glorifier  dans  une  hymne  éternelle 
Celui  qui  fait  plier  les  fronts  les  plus  altiers. 


Implore-le  pour  nous  ;  et  de  la  voûte  sainte 
L'encens  à  flots  épais  parfumera  l'enceinte 
Pour  rendre  grâce  au  Dieu  qui  fait  naître  la  fleur 
Et  toujours  nous  irons  prier  sur  ta  poussière  ; 
Et  ton  nom  bien-aimé  de  ta  modeste  pierre 
S'effacera  plutôt  qu'au  fond  de  notre  cœur  !  !  ! 


Cannes.  m\  1853. 


—  38 


MA  BRUNE. 


Oh!  ma  brune  ,  oh  !  qu'elle  est  belle. 
Quand  son  ardente  prunelle 
Lance  un  éclair  pour  aveu  ; 
Qu'elle  est  belle  sur  sa  couche  ; 
Qu'elle  est  belle ,  quand  sa  bouche 
Me  couvre  de  baisers  de  feu  ! 


Qu'elle  est  belle ,  quand  la  foule 
Sous  ses  fenêtres  s'écoule 
Pour  la  voir,  pour  l'admirer; 
Au  bal  où  ,  loin  des  quadrilles  , 
Les  jalouses  jeunes  filles 
îSe  viennent  que  pour  soupirer  ! 


39  — 


C'est  qu'elle  est  belle,  ma  brune 
Oh'!  bien  plus  belle  qu'aucune 
Des  déesses  du  sérail  ; 
C'est  qu'en  sa  main  si  jolie 
Tous  les  sultans  de  l'Asie 
Laisseraient  toujours  l'éventail  ; 


C'est  qu'elle  est  douce  et  fidèle , 
Vive  comme  la  gazelle 
Qu'ont  vu  naître  les  déserts; 
Et  lorsque  l'amour  l'enflamme 
Elle  ressemble  à  la  lame 
Qui  déchire  le  sein  des  mers  ; 


Et  je  l'aime  :  elle  est  si  belle , 
Lorsqu'à  genoux  devant  elle 
Je  guette  quelque  soupir, 
Qu'un  baiser  vaut  un  sourire , 
Qu'en  nos  transports  de  délire 
Ses  étreintes  me  font  mourir  ; 


Et  je  l'aime  :  en  sa  présence 
Notre  éphémère  existence 
Me  semble  un  bienfait  divin  ; 


—  40  — 

Et  je  l'aime  et  je  l'adore  , 

Comme  l'ange  de  l'aurore 

Qui  vient  soulager  mon  destin. 


Oui ,  je  t'aime ,  ô  ma  maîtresse  , 
O  l'objet  de  mon  ivresse , 
0  la  rose  de  mon  cœur  : 
Je  partagerai  ta  flamme 
Toujours  ,  toujours  ,  car  mon  âme 
Sur  ton  sein  trouve  le  bonheur. 


Can:es ,  1853. 


—  41  — 


LE  BEAU  CIEL  DE  CANNES. 


Cannes  ,  c'est  mieux  que  la  Provence  et 
mieux  que  l'Italie. 
(  J.-J.  Bavde  ,  les  Côtes  de  Provence.) 


Salut ,  beau  ciel  de  ma  patrie , 
Salut  ,  ineffable  harmonie 
De  la  brise  au  milieu  des  pins  , 
Salut ,  parfums  de  la  colline  , 
Algues  vertes  ,  rochers  que  mine 
L'écume  des  gouffres  marins  ; 


Bosquets  ,  sables  d'où  je  m'inspire  , 
Salut  !  je  voudrais  de  ma  lyre 
Tirer  des  chants  dignes  de  vous  ; 


—  42  — 

Mais  si  ma  voix  est  impuissante 
Ma  Muse  toute  palpitante 
Pour  admirer  est  à  genoux. 


C'est  vous  qui  m'avez  fait  poète  : 
Qui  n'a  pas  senti  dans  sa  tête 
Germer  mille  pensers  divins , 
Lorsque  gronde  le  sombre  orage  , 
Ou  que  le  mistral  avec  i*age 
Souffle  et  siffle  au  fond  des  ravins? 


Ou  bien  en  parcourant  la  dune  , 
Le  soir  ,  lorsque  la  pleine  lune 
Fait  scintiller  les  flots  ardents  , 
Et  que  de  belles  Néréides 
Semblent  sur  leurs  cimes  limpides 
Jouer  avec  des  diamants  ? 


O  Cannes  ,  sur  ton  sol  fertile 

Où  l'étranger  cherche  un  asile 

Contre  les  frimas  de  l'hiver , 

Trois  choses ,  comme  un  trait  de  flamme 

De  poésie  emplissent  l'âme  : 

Le  soleil  ,  le  mistral  ,  la  mer  ! 


—  43  — 

Quel  climat  et  quelle  richesse  î 
Naples  n'a  pas  tant  de  mollesse 
Kice  n'a  pas  tant  de  douccur  , 
L'Orient  pas  tant  de  lumière  , 
Les  savanes  tant  de  mystère  , 
Les  oasis  tant  de  fraîcheur. 


L'aloës  ,  le  palmier  s'allient 

Aux  sapins  dont  les  branches  plient  ; 

Le  citron  donne  ses  saveurs  , 

Et  pour  toi  sur  les  eaux  tran([uilles 

Une  fée  a  laissé  deux  îles 

Comme  deux  corbeilles  de  Heurs. 


Tous  ces  châteaux  où  l'or  ruisselle 
Cette  villa  qui  nous  rappelle 
Le  minaret  des  vieux  Emirs 
Sur  ton  éternelle  verdure 
Semblent  former  une  parure 
De  topazes  et  de  saphirs. 


Conime  de  languissantes  roses 
Après  une  tempête  écloses 
Sous  les  feux  de  notre  «oîeil  , 


Que  il'onfanLs  qu'un  mal  do  poitrine 
Lentcnicnl  vers  la  tombe  inclitic 
Ici  trouvent  un  doux  réveil  ! 


Ici  ,  les  paysannes  heureuses 
Foulent  plus  de  lleurs  précieuses 
Qu'ailleurs  les  reines;  de  gazons  ; 
I/oranger  ,  l'olivier  immense 
Ombragent  ici  mieux  leur  danse 
Que  les  grands  chênes  des  vallons. 


Les  présents  que  Flore  te  laisse 
Te  procurent  plus  de  richesse 
Que  l'Asie  aux  enfantas  de  Sem  ; 
Tes  jasmins  et  tes  tubéreuses 
Aux  sultanes  voluptueuses 
Feraient  oublier  le  harem. 


Il  te  manquait  la  renonmiée  : 
Et  (juand  Elbe  fut  désertée  , 
Quand  Napoléon  imprima 
Sur  ton  rivage  qui  s'étonne 
Le  premier  pas  vers  la  couronne 
Napoléon  te  la  donna. 


DiiiiH  hi  roiiU',  tic  r<!\ist('ii((^  , 
0  mo»'»  piiys  ,  la  l'n)vl(l.'M<'«î 
T(î  iii(''n.i;^<^  Ions  w<'H  l}ivtiU\U  ; 
Tour  ciiclici'  leurs  t^lcs  soiillVfinlcs 
LuH  Utllres  |H'il|)h'S  oui  (les  Icnirs 
Kt  noiiM  ,  nous  avoti^  nu  i».i|;iis  ! 


Cannij;>,  1854. 


t6  ^ 


LE  MOIS  DE  MARIE, 


Pour  ma  sœur  Suzanne. 


Venez  ,  enfants  d'une  mère  chérie  , 
Venez  en  foule  offrir  vos  jeunes  cœurs  , 
Et  cie  ce  mois  réservé  pour  Marie 
Sur  son  autel  versez  toutes  les  fleurs. 


Pour  que  ,  du  haut  du  céleste  séjour  , 
Marie  ,  assise  au  milieu  de  ses  anaes 


Marie  ,  ô  Reine  ,   ô  sainte  protectrice  , 
A  tes  genoux  humblement  nous  prions  ; 
Guide  à  travers  les  noirs  écueils  du  vice 
Notre  nacelle  ,  lielas  !  sans  avirons. 


Lorsque  l'orage  a  déchiré  les  voiles  , 
C'est  toi  qui  viens  faire  baisser  les  flots 
Et  dans  les  airs  ton  front  paré  d'étoiles 
Rassure  enfin  les  pauvres  matelots. 


Ainsi  ,    du  mal ,  des  luttes  de  la  vie 
Rends  nos  elTorts  victorieux  ; 
Pitié  ,  Marie  ,  et  notre  âme  ravie 
T'adressera  des  chants  mélodieux  ; 


Car  ta  prière  a  pour  nous  plus  de  charmes 
Que  pour  l'insecte  un  doux  rayon  de  miel 
Toi  qui  paieras  chacune  de  nos  larmes 
Par  une  palme  dans  le  ciel  , 

Toi  dont  le  nom  fut  joint  par  notre  mère 

Au  premier  baiser  du  berceau  , 
Toi  qui  bien  mieux  que  l'arbre  funéraire 


Cannes.  1854. 


—  48 


LE  MISTRAL. 


Quel  est  ce  bruit  ?  sur  ces  vitrages 
Quels  sont  ces  sifflements  sauvages  ? 
Quels  sont  ces  discordants  concerts  ? 
Dans  les  champs  ,  dans  la  ville  entière 
Un  rideau  mouvant  de  poussière 
Parfois  obscurcit  la  lumière  ; 
L'àme  est  triste  ,  les  quais  déserts. 


Savez- vous  pourquoi  les  murs  tremblent? 
Pourquoi  les  grands  oliviers  semblent  , 
Comme  au  triomphe  d'un  rival  , 
Courber  leur  gigantesque  tête  ? 
Pourquoi  la  voix  de  la  tempête 
D'échos  en  échos  se  répète  ? 
■Pourquoi  cela  ?....  c'est  le  mistral  ; 


—  49 


Le  tyran  de  notre  rivage  , 
Le  mistral  !  Ecoutez  :  il  rage  ; 
On  croirait  que  tous  les  dénions 
Jetant  contre  l'espèce  humaine 
Un  cri  de  menace  et  de  haine  , 
Joignent  leur  formidable  haleine 
Pour  déraciner  tous  les  monts. 


D'où  vient  ce  voyageur  sinistre  ? 
Serait-ce  le  fatal  ministre 
D'une  fatale  déité  ? 
Ou  bien  est-ce  l'antique  Eole 
Qui  reprend  sa  royauté  folle 
Et  que  brave  sur  notre  môle 
L'écume  du  flot  irrité  ? 


Rocs  ,  maisons  ,  Tour ,  bois  ,  faites  pîace 

Pour  chemin  il  lui  faut  l'espace. 

Voyez  :  pas  un  nuage  aux  cieux  ; 

La  mer  devant  lui  se  replie  ; 

La  vague  aux  vagues  se  relie  , 

D'un  boa  de  la  Colombie 

On  dirait  le  dos  sinueux  ; 


—  50 


Les  mâts  du  vaisseau  qu'il  incline 
Comme  l'arche  qu'un  fleuve  mine 
Craquent  ;  sous  son  souCQe  puissant 
La  voile  flotte  et  se  déchire 
Mieux  que  le  simple  cachemire 
D'une  jeune  fille  en  délire 
Sous  les  doigts  fiévreux  d'un  amant. 


Femme  ,  va  prier  sur  la  grève  , 
Remplace  un  cierge  qui  s'achève  : 
L'abîme  est  grand  ,  le  vent  est  fort 
Le  marin  au  loin  n'a  personne 
Que  ta  prière  et  la  Madone  ; 
Promets  une  belle  couronne 
Pour  qu'elle  l'arrache  à  la  mort  ! 


Plusieurs  fois  le  soleil  au  monde 
Ramène  sa  chaleur  féconde  , 
Et  toujours  rugit  le  mistral  : 
Aussi ,  libres  de  sa  colère 
Lorsque  les  pins  peuvent  se  taire 
Que  de  débris  jonchent  la  terre  , 
Encens  offert  au  dieu  du  mal  !  ! 


51  — 


Tous  ces  conquérants  honiicitles 
Que  suivaient  des  bandes  avides 
Kn  ont  moins  semé  sous  leurs  pieds 
Souvent  il  brise  dans  la  plaine 
Une  branche  d'olives  pleine 
Où  riroquois  pourrait  sans  peine 
Se  creuser  des  canots  entiers. 

Abattis  ,  décombres  ,  ruines  : 
Il  a  passé  sur  nos  collines 
Comme  le  simoun  autrefois 
Sur  les  phalanges  de  Cambyse  , 
Comme  la  nuée  indécise 
Sur  Gomorrhe  au  banquet  assise» 
Comme  la  honte  sur  les  rois  ! 


Cannes,  1854, 


—  52  — 


LE  BOUTE-SELLE. 


A  mon  ami    Guibert ,    officier  au  12*  d" artillerie. 


Amis  ,  voici  le  boute-selle , 
Écoutons  ses  joyeux  accords  , 
Alerte  !  Au  cœur  le  plus  rebelle 
La  trompette  qui  nous  appelle 
Semble  demander  des  transports 


Vite  ,  vite  ,  déjà  l'on  sonne 
A  cheval  ;  voyez-vous  là-bas 
Se  former  l'ardente  colonne? 
Allons,  courons  au  polygone 
Nous  façonner  pour  les  combats. 


53  — 


Grand  Dieu  !  c'est  presque  une  bataille  ! 
Le  bruit  féroce  des  caissons 
Se  mêle  au  bruit  de  la  mitraille  ; 
La  butte  ,  mouvante  muraille  , 
Tremble  sous  les  coups  de  canons; 


La  bombe  siffle  dans  l'espace  ; 
La  fanfare  chante  un  succès  ; 
La  voix  des  chefs  crie  et  menace 
La  poudre  en  nuages  s'entasse  , 
Son  odeur  enflamme  à  l'excès  ; 


La  jument  hennit  toute  fièi'e 
Sous  le  poids  des  futurs  guerriers  : 
Ses  fers  un  jour  dans  la  carrière 
Soulèveront  moins   de  poussière 
Que  de  débris  et  de  lauriers  l 


Amis  ,  le  mors  est  blanc  d'écume  , 
Le  rappel  fait  serrer  les  rangs , 
La  crx)upe  de  nos  chevaux  fume  , 
C'est  assez  ;  le  chenik  s'allume 
Au  quartier  pour  les  vétérans. 


Demain  aussi  le  boute-selle 
Redira  ses  joyeux  accords  , 
Demain  au  cœur  le  plus  rebelle 
La  trompette  qui  nous  appelle 
Viendra  demander  des  transports. 


Toulouse,  16®  d'artillerie  à  cheval,  1354 


L'AMOUR  DU   POÈTE. 


A  Mademoiselle  E.   L. 


Aimé  de  vous  ,  aimé  !  Mon  Dieu  puis-je  le  croire  ? 
Cet  aveu  n'est-il  pas  un  mirage  illusoire? 
Avez- vous  consulté  vos  battements  de  cœur? 
Est-ce  de  la  pitié  pour  un  sort  qui  vous  touche  ? 
Dites  ,  dans  votre  bouche 
Est-ce  une  aumône  sans  valeur? 

Quoi  !  vous  m'aimez  !  Ces  mots  sont  si  doux  à  l'oreille  , 
Si  doux  que  l'on  dirait  qu'à  peine  je  m'éveille  , 
Que  je  nais  à  la  vie  ,  à  la  joie ,  aux  plaisirs  , 
Que  dans  un  autre  azur  mon  destin  se  déroule  , 
Que  déjà  mon  pied  foule 
Le  reste  de  tous  mes  désirs  ! 


—  56  — 


Si  vous  m'aimez ,  au  ciel  doit  luire  mon  étoile  ; 
L'abandon  et  l'ennui  la  recouvraient  d'un  voile  , 
Mais  l'amour  à  présent  lui  donne  mille  éclats  : 
L'amour,  le  saint  amour,  c'est  là  tout  le  poète  ; 
Quand  son  âme  est  muette  , 
Son  astre  aussi  ne  brille  pas. 


Il  faut  que  le  poète  ici-bas  chante  et  prie; 
Il  faut  qu'à  son  chevet  un  ange  lui  sourie  ; 
Il  faut  que  pour  la  femme  il  dresse  des  autels  , 
Qu'il  y  fasse  brûler  son  cœur  en  holocauste  , 
Qu'en  tremblant  il  accoste 
L'aimable  reine  des  mortels  ; 

Il  faut  que  dans  son  luth    il  ait  de  l'harmonie 
Pour  charmer,  pour  bercer  vos  sens  de  mélodie , 
Pour  rendre  à  vos  désirs  de  nouvelles  ardeurs  : 
D'un  baiser  s'il  endort  le  soir  celle  qu'il  aime  , 
Il  l'éveille  de  même 
Quand  l'aurore  répand  des  pleurs. 

Oh  !  c'est  que  le  poète  est  digne  de  la  femme  ; 
C'est  que  son  âme  seule  est  la  sœur  de  votre  âme 
Que  Dieu  nous  anima  tous  deux  du  même  amour  ; 


—  57  — 

Que  s'il  nous  fit  rêveurs ,  pour  nous  il  vous  fit  bonnes  ; 
Que  les  mêmes  couroime» 
X\l%  cieu^ç  nous  attendent  un  jour  ! 


Aimez-moi!  voyez-vous  :  je  serais  votre  esclave; 
Dans  les  veines  mon  sang  se  changerait  en  lave  ; 
A  vous  tous  mes  soupirs  ,  tous  mes  baisers  brûlants  , 
Le  prix  de  mes  sueurs  ,  le  prix  de  mes  victoires , 
Tous  mes  rêves  de  gloires , 
De  l'or,  des  roses  ,  de  l'encens  ; 


A  vous  tous  mes  pensers ,  mon   travail ,  mes  caresses  ; 
Je  voudrais  pour  vous  seule  et  titres  et  richesses , 
Pour  vous  seule  ,  et  rubans  et  perles  et  brocards  , 
Afin  qu'à  votre  abord  l'homme  le  plus  rebelle 
S'écriant  :  qu'elle  est  belle  ! 
Mendiât  un  de  vos  regards. 


Je  vous  ferais  entendre  une  langue  divine  : 
Avant  de  l'exiler  sur  ce  globe  en  ruine  , 
Les  anges  au  poète  apprennent  à  parler  ; 
Et  vous  croiriez  alors  dans  un  ciel  sans  nuages 
Voir  de  gentes  images 
Vous  sourire  et  vous  appeler  ; 


58   — 


Et  vous  admireriez  ce  suave  mystère  ; 
Et ,  d'un  pied  dédaigneux  repoussant  notre  terre  , 
Sur  l'aîle  des  Amours ,  au  son  des  harpes  d'or, 
Vers  mille  voluptés  où  le  délire  abonde  , 
Oublieuse  du  monde  , 
Avec  moi  vous  prendriez  l'essor  ! 

Oh!  si  vous  dites  vrai  ,  merci ,  soyez  bénie  ; 
Merci  de  mon  bonheur,  de  ma  joie  infinie  ; 
Merci  de  ces  transports  dont  s'enivrent  mes  sens  : 
L'avenir  maintenant  m'apparaît  plein  d'ivresse  , 
Devant  lui  je  me  dresse 
Et  je  croise  des  bras  puissants. 


Tu  m'aimes  !  !  !  dis-moi  donc  ,  dis-moi  si  ta  pensée 
Des  souvenirs  du  bal  est  encor  caressée , 
Si  mon  nom  quelquefois  fait  palpiter  ton  sein , 
Si ,  lorsque  de  ton  Ut  les  draps  jaloux  s'entrouvrent 
Tes  blanches  lèvres  s'ouvrent 
Pour  prier  Dieu  sur  mon  destin  ; 


Dis-moi  si  tu  languis  ;  dis-moi  si  dans  Un  songe 

Mon  image  chérie  en  extase  te  plonge  , 

Si  les  sylphes  légers  protègent  ton  sommeil , 


—    o'J   — 

Si  quelque  bonne  fee  à  me  servir  discrète 
Pose  sur  ta  toilette 
Un  beau  bouquet  pour  ton  réveil. 


C'est  que  ,  vois  tu ,  je  doute  et  le  doute  me  peine  ; 
N'as-tu  pas  imité  les  chants  de  la  Sirène? 
Ton  aveu  serait-il  comme  eux  doux  et  trompeur? 
Ne  dois-je  pas  plutôt  juger  cette  parole 
Un  compliment  frivole  , 
Un  mensonge  sous  une  fleur? 


Oh  !  non  ,  mentir,  mentir  en  étant  si  jolie', 
Non  ,  tu  ne  l'as  pas  fait  !  Ces  deux  soirs  dans  ma  vie 
Sont  comme  l'oasis  au  milieu  des  déserts; 
Tes  entretiens  charmants  ont  réjOui  mon  âme 
Et  versé  le  dictame 
Sur  tous  les  maux  que  j'ai  soufferts. 


Viens  donc  me  rassurer,  viens  ,  lorsque  la  nature 
Sous  le  mant:au  des  nuits  s'assoupit  et  murmure 
Lorsque  le  firmament  étincelle  de  feux  , 
Que  tu  vas  ,  m'as-tu  dit ,  errer  par  les  prairies  , 
Enfant  des  rêveries  , 
Viens  ,  nous  deviserons  tous  deux  ! 


—   60 


Viens  ,  le  rossignol  seul  aura  nos  confidences  ; 
Les  lutins  amoureux  nous  suivront  en  cadences  ; 
Je  plierai  devant  toi  les  tiges  du  gazon  ; 
Sur  un  tapis  de  fleurs  que  j'aurai  répandues  , 
Comme  Mab  sur  les  nues  , 
Tu  poseras  ton  pied  mignon  ! 


Viens  une  seule  fois  ,  c'est  là  mon  plus  beau  rêve 
Comme  on  écoute  encor  le  flot  loin  de  la  grève , 
11  me  semble  toujours  que  j'écoute  ta  voix  ; 
Viens ,  nos  cœurs  goûteront  un  délice  suprême  ; 
Pour  me  dire  :  je  t'aime  ! 
Viens ,  oh  !  viens  une  seule  fois. 


Toulouse,  février  1855. 


«)1  — 


LA  GARONNE. 


Coulez  ,  flots  bleus  do  la  Garonne  , 
Coulez  vers  de  lointains  séjours  ; 
Le  rêve  auqud  je  m'abandonne 
Avec  vous  s'enfuit  pour  toujours  î 

D'où  viens-tu ,  charmante  rivière  ? 
Où  commencent  tes  jolis  bords  ? 
Comme  le  ISil ,  dans  un  mystère 
Caches-tu  l'urne  d'où  tu  sors? 

Maudite  enfant  des  avalanches  , 
Les  elTroyables  ouragans 
Qui  brisent  l'if  aux  noires  branches 
Te  conçoivent-ils  dans  leurs  flancs  ? 


—   62  — 


Ou  sur  quelque  douce  colline , 
Inaccessible  à  ces  chasseurs 
Dont  l'isard  fuit  la  carabine  , 
T'échappes-tu  du  sein  des  fleurs  ? 


Tu  nais  où  naissent  les  orages  ; 
Les  aigles  boivent  dans  ton  eau 
Comme  une  gaze ,  les  nuages 
Entourent  toujours  ton  berceau  ! 


Jadis  ,  au  temps  de  la  prouesse  , 
Là  retentit  le  son  d'un  cor  : 
Dis-moi ,  quand  la  nuit  est  épaisse 
Dis-moi ,  résonne-t-il  encor  ? 


J'aime  ton  courant  ,  si  limpide 
Loin  des  bruits  de  notre  cité  , 
Si  blanc  d'écume  ,  si  rapide 
Lorsqu'il  gronde  d'être  arrêté  ; 

J'aime  tes  deux  rives  coquettes 
Où  se  mire  l'azur  des  cieux  , 
Où  les  saules  penchent  leurs  têtes , 
Comme  pour  baiser  tes  flots  bleux 


G.i    — 


J'aime  ta  fraîcheur,  ta  pelouse, 
Tes  bosquets  pleins  de  demi-jour, 
Dont  Armide  serait  jalouse  , 
Où  l'on  vient  deviser  d'amour; 


J'aime  l'harmonieux  silence 

De  tes  antiques  peupliers 

Qui  durent  ombrager  Clémence  , 

Quand  ses  mains  tressaient  des  lauriers 

Dis-moi ,  fille  des  Pyrénées  , 

Où  sont  tes  Nymphes ,  tes  S\  Ivains 

Et  ces  victimes  couronnées 

Qu'on  immolait  aux  dieux  romains  ? 

Où  sont  les  terribles  druidesses 
Qui  priaient  parmi  les  éclairs  ? 
Où  sont  les  hordes  vengeresses 
Que  vomirent  les  froids  déserts? 

Où  sont  les  rois  du  Capitole? 
Où  sont  ces  gloires  du  passé  ? 
L'avenir  a  brisé  l'idole  : 
Ce  qui  fut  n'a  jamais  été. 


Hélas  !  quand  j'admire  ton  onde, 
]Won  cœur  a  de  cruels  frissons  ; 
Elle  est  l'image  de  ce  monde  , 
Comme  elle  ici-bas  nous  passons. 

Coulez ,  flots  bleus  de  la  Garonne , 
Coulez  vers  de  lointains  séjours  ; 
Le  rêve  auquel  je  m'abandonne 
Avec  vous  s'enfuit  pour  toujours  ! 


Toulojse,  1855. 


—  05  — 


LE  POÈTE, 


Pauvre  barde  ,  isolé  dans  ce  désert  humain 
Regagne  de  Fingal  les  profondes  bruyères  ; 

Ote  la  lyre  de  ta  main 

Pour  la  plonger  dans  les  mystères. 


Tais-toi ,  ne  chante  pas  :  tu  ne  trouveras  plus  , 
Comme  au  temps  féodal  ,  ces  gontes  châtelaines 
Qui  te  jetaient  leurs  belles  chaînes 
Du  haut  des  donjons  vermoulus  ; 


Dans  les  bras  d'une  amante  humide  de  caresses  , 

Tu  n?  pourras  non  plus  CDuronner  un  beau  jour  : 

Tu  n'as  pour  elle  que  l'amour  , 

Elle  ne  veut  que   les  ricliesses  ; 

2. 


—   66  — 

Et  si  de  tes  soupirs  tu  poursuis  ses  attraits , 
Ton  front  s'inclinera  vers  l'ombre  des  cyprès 
Avant  d'obtenir  un  sourire  : 
L'argent  séduit  mieux  que  la  lyre  ; 


La  foi  n'ébranle  plus  les  murs  de  Jéricho  ; 

Les  mortels  prosternés  se  souillent  de  poussière 

Devant  une  idole  grossière  ; 

Où  veux-tu  trouver  un  écho  ? 


Cesse  donc  de  chanter  ;  au  milieu  de  l'espace, 
Si  parfois  une  Muse  aujourd'hui  plane  encor , 
De  la  Bourse  elle  a  pris  l'essor  , 
Et  la  tienne  est  dans  la  disp;race. 


Ne  jette  plus  en  vain  des  sons  harmonieux  : 
Qu'à  l'heure  de  la  mort ,  dans  ses  bras  tutéîaires  , 

Un  ami  ferme  tes  paupières 

Et  t'ouvre  la  porte  des  cieux; 

Que  ses  deux  mains  de  fleurs  couvrent  ta  pauvre  tombe 
Et  qu'à  l'heure  où  l'on  prie  à  l'entour  du  cercueil , 

Longtemps  sur  son  habit  de  deuil 

Une  larme  de  regret  tombe  !  L 


—  f)7  — 


Mais  ,  dis,  que  t'importe  ,  après  tout 
Que  l'homme  soit  pétri  de  fange , 
Que  la  terre  soit  un  égout , 
Que  la  bure  soit  sous  la  frange? 


Dans  nos  cités,  temples  des  sens  , 
Que  t'importe  ,  si  ton  cœur  aime  , 
Que  le  cœur  soit  un  contre-sens 
Et  que  l'amour  soit  un  problème 


Le  rossignol  dans  le  bosquet 
Ne  deqiande  pas  qu'on  l'écoute , 
La  rose  tous  les  ans  renaît , 
Le  fleuve  suit  toujours  sa  roule, 


Toujours  de  suaves  accents 
Sortent  des  harpes  d'Eolie  , 
Toujours  l'autel  a  de  l'encens  , 
Toujours  sous  la  nef  l'orgue  prie  ! 


—  68  — 


Chante  pour  toi  seul ,  que  ta  voix 
S'harmonise  avec  le  zéphyre  , 
Et  jusqu'aux  pieds  du  Roi  des  rois 
Monteront  les  sons  de  ta  Ivre  , 


Et  des  deux  alors  entr'ouverts 
Rapproché  par  la  solitude  , 
Tu  croiras  des  divins  concerts 
Entendre  déjà  le  prélude. 

Quoi!  tu  crains  de  perdre  tes  chants 
Comme  une  fleur  perd   ses  arômes  ; 
Tu  veux  plaire  même  aux  méchants  ; 
Tu  veux  les  louanges  des  hommes; 

Dans  les  fêtes  ,  sur  un  perron  , 
Tu  veux  te  montrer  à  la  foule  ; 
Tu  veux  voir  saluer  ton  nom 
Par  chaque  règne  qui  s'écoule  ; 


Tu  veux  qu'en  berçant  son  enfant 
La  mère  dise  tes  ballades 
Et  que  le  guerrier  triomphant 
Change  tes  hymnes  en  aubades  ; 


—  69  — 


Tu  veux  être  un  des  demi-dieux 
Qui  de  siècle  en  siècle  grandissent... 
Insensé  ,  n'aime«-tu  pas  mieux 
Qu'au  ciel  les  anges  t'applaudissent 


Non  ,  ton  cœur  a  besoin  de  battre  ot  de  sentir  ; 
Non ,  au-dessus  du  ciel  ton  cœur  place  la  femme  ; 
Les  anges  avec  toi  ne  peuvent  pas  souffrir  , 
Tandis  qu'elle  prend  part  aux  douleurs  de  ton  àme. 


C'est  pour  elle  que  dans  ton  sein 
Le  Seigneur  a  mis  l'harmonie  ; 
C'est  pour  elle  qu'à  ton  matin 
Il  traça  sur  ton  front  serein 
Les  signes  brûlants  du  génie 


—  70 


L'étoile  est  faite  pour  briller, 
Le  vent  pour  caresser  la  feuille  , 
Le  passereau  pour  gazouiller  , 
Le  feu  follet  pour  sautiller , 
Le  fruit  doré  pour  qu'on  le  cueille 


L'ombre  des  bois  pour  abriter  , 
La  mousse  pour  couvrir  les  ruines 
Le  flot  des  mers  pour  s'agiter  , 
Le  poète  pour  nous  chanter 
Ses  inspirations  divines  ! 

Laisse  le  siècle  dédaigneux 
Se  moquer  de  ta  douce  ivresse  ; 
Pour  lui  tu  ne  viens  pas  des  cieux 
Un  éclair  ne  jette  des  feux 
Qu'au  milieu  d'une  nuit  épaisse. 


Courage  :  un  jour  tu  trouveras 
L'àme  sympathique  à  ton  âme  , 
Qui  rira  lorsque  tu  riras  , 
Pleurera  quand  tu  pleureras  , 
Ange  j  sylphide  ,  fée  ou  femme  ! 


—  71  — 


Consacre  à  ses  tendres  amours 
Les  romances  que  tu  fredonnes  , 
Pour  cette  amante  tous  les  jours 
Prépare  de  gentils  atours 
Avec  les  fleurs  de  tes  couronnes; 


Vers  elle  vont  tous  les  accords 
Qu'elle  seule  pourra  comprendre  , 
Et  pour  payer  tes  saints  efforts 
Elle  te  garde  des  transports 
Auxquels  le  ciel  ne  peut  prétendre. 


Et  quand  cet  esprit  répondra 
A  tout  l'élan  de  ta  pensée, 
Que  ton  rêve  s'accomplira  , 
Que  de  tes  bras  elle  sera 
Comme  d'un  collier  enlacée  , 


Chante  alors  le  céleste  hymen 

De  deux  cœurs  créés  l'un  pour  l'autre 

Que  ta  bouche  collée  au  sein 

Défie  ici-bas  le  destin 

D'égaler  un  bonheur  au  vôtre  ; 


72  — 


Chante  ,   chante  ,   cygne  aux  aboi 
Jusqu'à  ce  que  dans  le  délire 
Ses  mains  emprisonnent  tes  doigts 
Ses  baisers  étouffent  ta  voix  , 
Ses  caresses  brisent  ta  Ivre  !  ! 


Toulouse,  1855. 


LA  MDBT  DE    MA  SŒUR. 


Morte  ,  ma  pauvre  sœur,  quand  de  fraîches  couronnes 

Semblaient  orner  son  avenir  , 
Quand  du  haut  des  autels  les  pieuses  Madones 

Semblaient  sourire  et  la  bénir  , 


Quand  d'un  époux  chéri  les  fidèles  caresses 
De  son  passé  séchaient  les  pleurs  ,. 

Et  dans  un  horizon  tout  brillant  d'allégresses 
S'épanouissaient  mille  fleurs  , 


Morte  si  promptement ,  au  malin  de  la  vie, 
Morte,  morte  loin  de  mes  yeux, 

Sans  qu'un  dernier  baiser  distrait  de  l'agonie 
M'ait  fait  le  dernier  des  adieux 


—  74 


A  peine  de  l'hymen  la  torche  est  allumée 

Et  la  Mort  paraît  sur  le  seuil , 
Et  la  robe  de  noce  est  déjà  transformée 

En  suaire  pour  le  cercueil. 

Affreux  destin  !  0  Dieu  ,  dis-nous  pourquoi  de  l'homme 
Le  cœur  se  brise  à  tous  les  vents  ; 

Les  larmes  qu'il  t'adresse  ont-elles  un  arôme 
Plus  doux  que  celui  de  l'encens  ? 


Le  jour  où  ton  regard  nous  montra  notre  place 
Au  bout  des  vastes  régions , 

Le  monde  essuya-t-il  ,  en  traversant  l'espace  , 
L'impure  haleine  des  démons  ? 

Peut-être  par  pitié  ta  sainte  Providence 
Aura-t-elle  voulu  ,  Seign.ur, 

A  son  âme  épargner  quelque  grande  souffrance 
Écrite  au  livre  du  malheur? 

Tu  viens  de  la  juger  digne  de  tes  phalanges  : 
Dès  lors  ni  vertu  ,  ni  beauté  , 

K\  jcunes-e  ,  ni  vaux  ,  ni  plaintes  ,  ni  louanges 
N'ont  retenu  ton  bras  levé  ! 


—  75  — 


Par  ton  ordre  divin  ,  d'étoiles  en  étoiles 
Descendue  ici-bas  ,  la  nuit  , 

Le  corps  enveloppé  de  mystérieux  voiles, 
Penchée  au  chevet  de  son  lit  , 


Sans  doute  à  Marceline  a  parlé  notre  mère  : 

«  Viens  ,  ma  fille  ,   quitte  ces  lieux  , 
«  Du  sentier  parcouru  secouant  la  poussière  , 


«  Si  le  fruit  de  ton  sein  dédaigna  l'existence 

u  Qu'il  recevait  de  ton  amour  , 
«  C'est  que  lui   seul  devait  te  préparer  d'avance 

«  Un  nimbe  au  céleste  séjour  ; 

«  Viens ,  et  je  t'offrirai  pour  bijoux  les  étoiles  , 

«  Pour  demeure  l'immensité  , 
«  Les  brumes  du  matin  pour  diaphanes  voiles  , 

«  Les  prières  pour  volupté; 

«  Viens  ,  là-haut  tu  seras  à  l'abri  des  désastres  ; 

«  Les  anges  te  diront  :  ma  ?œur; 
Et  bien  loin  ,  sou^  tes   pieds  t'apparaîtront  les  astres 
«  Roulant  au  souffle  du  Seigneur  ; 


—  76   — 


«  Viens ,  viens ,  au  tendre  époux  qui  pleurera  ta  perte 
((  Nous  enverrons  des  rêves  d'or, 

«  Et  sur  la  triste  couche  où  ta  place  est  déserte 
«  Tu  pourras  le  revoir  encor  !  » 


Et  notre  sœur ,  séduite  à  ces  belles  promesses 
S'écria  :  j'y  vais  ,  et  soudain 

Elles  ont  pris  leur  vol  vers  les  saintes  ivresses, 
Riant  et  se  donnant  la  main  ! 


Et  nous  qui  l'aimions  ,  privés  de  sa  présence  , 
Longtemps  nous  aurons  à  gémir  : 

Insecte  ,  oiseau  ,  cyprès  ,  brise ,  faites  silence  , 
Laissez  sa  dépouille  dormir  !  ! 


Toulouse ,  juillet  1855. 


—   77  — 


SÉBASTOPOL 


Sous  le  drapeau  tricolore 
Va  réchauffer  cœurs  et  bras 
De  vous  j'ai  besoin  encore. 
(de  Béra>ger.) 


Sébastopol  est  pris,  gloire  ,  gloire  à  nos  braves  ! 
Vainement  la  Russie  à  ses  troupeaux  d'esclaves 
Contre  nous  fit  tremper  les  armes  dans  le  fiel , 
La  ville  aux  murs  d'airain  par  des  géants  fondée 
A  ces  autres  géants  qui  l'ont  escaladée 
Sert  de  marche-pied  vers  le  ciel  ! 


Ils  ont  fui  :  l'incendie  éclairait  leur  retraite  , 
Et  pendant  que  la  mer  comme  dans  la  tempête 
A  leurs  vaisseaux  coulés  ouvrait  son  vaste  flanc 


—  78  — 
Les  zouaves  ,  héros  dont  doutera  l'histoire  , 
Plantaient  notre  étendard  si  cher  à  la  Victoire 
Sur  Malakotî  encor  fumant  ! 


Ah  !  tu  croyais  ,  ô  czar  ,  que  l'Europe  asservie 
Dans  une  coupe  d'or  ,  œuvre  de  son  génie  , 
T'offrirait  la  sueur  de  vingt  peuples  nouveaux  , 
Et  certain  d'opposer  le  nomhre  à  la  vaillance  , 
Sur  la  carte  déjà  tu  calculais  d'avance 
Tes  conquêtes  par  tes  rivaux  !! 


Tu  ne  voudrais  qu'un  Dieu, qu'un  empereur,  qu'un  pape. 
Afin  qu'au  monde  entier  permettant  une  agape 
Tu  pusses  pour  toi  seul  garder  tous  les  festins  ; 
Devant  les  rois  vaincus  passant  la  tête  haute 
Tu  voudrais  renverser  du  talon  de  la  hotte 
Tous  les  dieux  Termes  des  chemins  : 


Mais  la  France  ,  éveillée  aux  sons  du  boute-selle  , 
La  France  te  combat —  et  reine ,  grande  et  belle  , 
Un  pied  sur  ta  poitrine  et  le  front  dans  les  cieux  , 
De  Jéhovah  lui  même  empruntant  le  tonnerre  , 
Elle  te  tient  meurtri  dans  les  champs  de  la  guerre 
Comme  un  reptile  venimeux  ! 


—  79  — 


Tes  noliles  ,  'tes  boyards ,  stupide  valetaille  , 
S'honorent  du  mépris  de  la  sainte  canaille  , 
Aussi  pour  les  défendre  ,  elle  n  a  pas  de  cœur  : 
Le  mot  de  liberté  qu'ignore  son  oreille 
Lui  peut-il  inspirer  dévouement  et  merveille  ? 
Le  knout  fait  toute  sa  valeur. 


Liberté  ,  liberté  !!  Jamais  cette  déesse  , 
Jamais  dans  tes  déserts  où  l'on  meurt  de  détresse  , 
Jamais  ne  se  verra  dédier  des  autels  : 
Elle  veut  pour  vestale  une  humble  roturière  , 
Elle  veut  pour  encens  la  joyeus;3  poussière 
De  l'écroulement  des  castels. 

C'en  était  fait  des  arts  !  Et  la  Prusse  et  l'Autriche 
Ménageant  à  la  fois  le  pope  et  le  derviche  , 
Attendent  l'arme  au  bras  le  prix  de  nos  efToris  ; 
Tant  mieux  !  on  a  montré  sans  elles  du  courage  , 
Sans  elles  les  beaux-arts  sont  sauvés  du  naufrage  , 
Sans  elles  on  a  pris  les  forts  ! 

Et  lorsque  dans  les  airs  les  clairons  ,  les  trompettes  , 
Les  hymnes  ,  les  tambours  ,  les  cris  ,  les  bruits  de  fêtes 
Chantèrent  la  Victoire  ouvrant  Sébastopol  , 


—  80  — 
Moscou  vit  frissonner  ses  plaines  reculées  : 
De  nos  pères  c'étaient  les  ombres  consolée  s 
Qui  se  remuaient  sous  le  sol  ; 


Et  lorsque  a  retenti  le  bronze  au^  Invalides  , 
Le  Guerrier  de  l'Empire  avec  des  yeux  avides  , 
Couvert  d'un  vieux  drapeau  comme  d'un  mantel  d'or. 
Vers  les  remparts  conquis  prenant  un  vol  immense  , 
Est  allé  contempler  ces  succès  de  la  France  , 
Si  grands  qu'ils  réveillaient  un  mort  ! 


0  Stamboul  ,   libre  encor  ,  du  haut  de  tes  murailles  , 
Admire  ces  flots  purs  déroulant  mille  écailles 
Q.:e  la  lune  le  soir  transforme  en  diamants  , 
Tes  jardins  de  palmiers  ,  tes  bois  de  sycomores  , 
Et  ton  ciel  sans  nuage  ,  et  les  palais  des  Mores  , 
Et  la  mosquée  au  marbres  blancs  ; 


Dors  ,  fille  des  Césars  ,  an  sein  de  tes  portiques  , 
Entoure-toi  de  fleurs  et  de  tapis  lubriques  , 
Des  nuits  de  l'Orient  goûte  tous  les  parfums  : 
Notre  aigle  aux  minarets  pour  toi  fait  sentinelle , 
Pour  toi  le  léopard  grince  une  dent  mortelle 
Contre  les  vautours  importuns  ! 


—  81   — 

Et  maintenant  ,  du  fond  de  ces  lointains  rivages 
L'avenir  ne  peut  plus  nous  montrer  tant  d'orages 
L'aigle  noire  des  czars  fuira  vers  les  glaçons  , 
Et  là  de  garde-chiourme  usurpant  le  bv.'au  rôle  , 
Pour  conduire  des  serfs  et  dominer  le  pôle 
Aux  serres  tiendra  des  bâtons  ! 


Toulouse  septeniLre  î8o5. 


I 


ÉPITRES. 


Ho  — 


tS^  ^teaeuc   ^S%(cve ,  ai^c-caé. 


Un  mois  !  c'est  beaucoup  trop  prolonger  ton  silence  ! 

Je  languissais  beaucoup  et  la  sainte   Espérance 

Du  soir  au  lendemain  seule  me  soutenait , 

Surtout  quand  ,  le  matin ,  dans  le  dortoir  venait 

Le  facteur  de  céans  distribuer  les  lettres 

Et  me  gratifier  de  ses  sourires  traîtres. 

Les  autres  ,  radieux  ,  s'enfuyaient  sur  leur  lit 

D'un  doigt  impatient  décacheter  le  pli  , 

Et  moi  par  demi-tour  évitant  le  cerbère 

Je  n'avais  que  l'espoir  pour  tromper  ma  colère  . 

Souvent  peu  s'en  fallut  qu'Umann  le  brigadier 

Sous  mes  coups  ne  payât  le  retard  du  courrier  , 

Mais  je  respecte  trop  son  immense  moustache  , 

Ou  plutôt  je  crains  trop  l'ours  vengeur  qu'elle  cache. 


86  — 


Que  faire  ?  En  attendant  ta  missive  et  du  pain 
Je  passais  tout  le  jour  à  désirer  demain  , 
Je  rêvais  :  je  ne  vis  que  par  la  rêverie  , 
Que  peut-on  faire  hélas  !  dans  une  infirmerie  ? 


Enfin  !  je  tiens  enfin  le  papier  précieux  , 
Je  le  relis  vingt  fois  sans  repaitre  mes  yeux; 
Il  est  là ,  déplié  ,  pendant  que  je  griffonne 
Ces  soldatesques  vers  dont  ton  bon  goût  s'étonne. 
Des  v.rs!  je  suis  bien  sûr  qua  ce  nouveau  début 
Sur  ta  lèvre  un  sourire  aussitôt  a  couru  ! 
Des  vers  !  un  artilleur  qui  veut  rimer  encore  , 
Lorsque  tout  vrai  soldat  n'aime  que  Terpsychore  , 
Le  petit  dieu  malin  ,  compagnon  de  Vénus 
Et  le  grand  ,  l'immortel  ,  l'invincible  Bacchus  ! 
Un  artilleur  qui  fuit  l'amusement  des  autres 
Et  sait  la  prosodie  avant  ses  patenôtres  ! 
Des  vers  !  ah  !  pour  le  coup  c'est  la  première  fois 
Qu'un  tel  fait  se  présente.  Halte-là  ,  tu  le  crois, 
Hé  bien  !  mon  cher  il  faut  réformer  tes  idées  : 
Le  régiment  est  plein  de  sauvages  orphées 
Qui ,  d'une  lyre  inculte  ont  tiré  de  vrais  chants  , 
Des  airs  dignes  en  tout  des  poètes  puissants  , 
Et  j'en  garde  pour  toi  la  preuve  en  portefeuille. 
Or,  ai-je  dit  tantôt ,  il  est  temps  que  je  cueille 
A  mon  tour  une  fleur  au  pied  du  double  Mont  ; 


—   87  — 

Ma  Muse  est-elle  morle?  Un  cruel  abandon 

A-t-il  enseveli  mon  luth  dans  la  poussière? 

Voyons  ,  que  je  prélude;  et  sous  ma  main  guerriJre 

Les  cordes  à  la  fois  ont  frémi  sans  accord  , 

La  rime  paresseuse  est  née  avec  efTort  , 

Mais  mon  âme  bientôt  a  repris  son  aisance 

Et  les  vers  maintenant  coulent  en  abondance. 

Il  me  semble  encore  être  assis  à  mon  bureau 

Pour  notre  Conférence  écrivant  un  morceau. 

Que  les  temps  sont  changés  !  Si  ma  verve  s'éveille  , 

Si  je  me  sens  encor  le  Raybaud  de  l'Abeille 

Et  si  mon  feu  sacré  n'est  pas  encore  éteint  , 

Hélas!  c'est  pour  mieux  voir  le  malheur  qui  m'atteint. 

Oh  !  que  n'es-tu  témoin  de  mes  vicissitudes  ! 

L'hiver  est  arrivé  :  je  n'ai  plus  nos  études 

Pour    adoucir  l'ennui  de  ses  jours  nébuleux  ; 

Il  fait  froid,  or  ici  la  chaleur  vient  des  cieux, 

Et  le  soleil  depuis  une  semaine  entière 

De  grisâtres  rideaux  a  voilé  sa  lumière  ; 

11  pleut ,  il  pleut  toujours ,  mon  Dieu  que  devenir? 

Gardes  ,  conscrits  ,  grognards    s'occupent  à  dormir, 

Et  sous  des  draps  puants  évitent  la  froidure. 

Moi  ,  blotti  sur  mon  lit ,  je  rêve  ,  je  murmure 

Nos  scholaires  refrains  ,  je  pense  à  ce  bonheur 

Dont  le  gai  souvenir  me  rend  de  belle  humeur, 

Je  pense  à  toi ,  je  fais  mille  châteaux  ,  j'arrange 

Mon  avenir  sui\ant  quelque  projet  étrange  ; 


—  88  — 
Bref  ,  je  suis  près  de  vous  ,  je  ne  vis  qu'avec  vous. 
Et  l'exil  est  moins  lourd  et  l'espoir  est  plus  doux  ! 
Au  moins  j'ai  ce  loisir  dans  cette  infirmerie  : 
Que  c'est  triste  ,  Bon  Dieu  !  quel  désert  1  quelle  vie  ! 


Allons ,  décidément  l'essai  n'est  pas  mauvais  ; 
Voilà  pas  mal  de  vers  qu'en  galoppant  je  fais  ; 
Pour  la  première  fois  que  je  lâche  la  rêne 
A  ma  Muse  oubliée  ,  elle  en  prend  pour  sa  peine  : 
Je  suis  encor  poète  et  je  puis  dignement 
Pour  la  saint  Frédéric  forger  un  compliment. 
C'est  bien.  A  te  donner,  je  n'avais  pas  grand'  chose 
Aussi  j'ai  supposé  qu'en  cueillant  cette  rose 
Au  Parnasse  ,  j'aurais  du  prix  à  te  l'offrir  , 
Car  un  pareil  bouquet  ne  peut  pas  se  flétrir. 
Pour  toi  seul  ,  cher  ami  ,  seulement  pour  ta  fête 
Le  soldat  voudra  bien  redevenir  poète  : 
Bonne  fête  !  A  tes  pieds  que  les  cieux  opportuns 
Jettent  de  l'Orient  les  fleurs  et  les  parfums , 
Qu'un  vin  bien  généreux  au  banquet  de  famille 
Plus  que  le  feu  d'hiver  sur  la  table  pétille  , 
Qu'un  toste  sympathique  implore  ton  patron  , 
Que  ta  bouche  chérie  y  mêle  aussi  mon  nom  , 
Que  sur  des  plats  fumants  Cécile  avec  adresse 
Des  Maillons  (*)  dépouillés  entasse  la  richesse  , 

(*)  Montagnes  de  châtaigniers^ 


—   8!)  — 


Et  que  ton  cœur  de  joie  et  de  plaisir  rempli 
Cesse  pour  uji  moment  de  pleurer  un  ami  !! 


Je  m'arrête,  il  est  temps  ,  ma  Muse  trop  lancée, 
D'une  telle  manœuvre  à  la  fin  fatiguée, 
Comme  un  sous-verge  au  vent  jetterait  le  bridon , 
Et  Mars  de  mon  excès  punirait  Apollon  ; 
Je  m'arrête  ,  ma  bouche  encor  va  rester  close: 
Ramenons  l'avant-train  et  passons  à  la  prose. 


Toalouse.  1B«  d'artillerie  à  cheval,  1854. 


—   90  — 


cP&    •j:rt€r/rif^c  ^S%uue ,    auoca^. 


Décidément  tu  ne  veux  plus  m'ecrire  , 

C'est  un  travail  pour  toi  trop  ennuyeux  , 

Ni  ton  esprit  ,  ni  ton  cœur  ne  t'inspre  , 

Tant  pis  pour  moi  !  pour  ta  sieste  tant  mieux  1 

Je  sais  déjà  ce  que  tu  vas  répondre  : 

Le  cabinet  absorbe  mes  instants  ; 

Mauvaise  excuse  et  je  puis  te  confondre 

En  quatre  mots.  J'admets  que  de  clients 

Par  le  chômage  une  foule  grossie 

Le  jour  durant  assiège  ton  bureau  , 

Mais  ta  liasse  une  fois  dégrossie 

Au  lieu  d'aller  jouer  au  domino 

Chez  monsieur  Franc  ,  ne  peux-tu  pas  écrire  ? 

Las  !  avant  moi  tu  places  l'écarté  , 

Méchant  !  aussi  je  veux  à  coup?  de  lyre 

Te  corriger  de  cette  oisiveté  ! 


—  91   — 
Que  maudit  soit  le  métier  de  notaire 
Et  sa  chicane  et  tout  son  baragouin  ! 
Pour  le  talent  c'est  un  gaz  délétère. 
Sur  ton  fauteuil  perché  c  mme  un  pingouin 
Pérore  ,  crie  ,  épuise  ta  science 
A  démontrer  au  plus  fin  de  l'endroit 
Qu'au  fils  ingrat  appartient  sa  chcNance  , 
S'il  ne  la  vend  pour  éluder  la  loi  ; 
Et  quand  sera  fini  ton  monologue  , 
Pour  te  prouver  qu'il  a  fort  bien  compris  , 
Il  conclura  par  forme  d'épilogue 
Que  de  sa  terre  il  veut  priver  son  fils  , 
Mais  qu'il  ne  peut  se  résoudre  à  la  vendre. 
Et  dire  encor  que  pour  de  telles  gens 
Tu  fis  du  grec  dès  l'âge  le  plus  tendre  ! 
Ah  !  mon  ami  ,  qu'as-tu  fait  de  ton  temps  ? 
Et  que  fais-tu  ?  Tu  barbouilles  des  actes  , 
Des  bordereaux  ,  des  grosses  ,  des  protêts  , 
Affreux  langage  !  On  dirait  de  vrais  pactes 
Par  Lucifer  lui-même  tous  dictés  ! 

—  Monsieur  ,  cherchez  de  bonnes  hypothèques. 

—  Monsieur  ,   cherchez  un  bon  bailleur  de  fonds. 
Et  toi  soudain  dans  tes  bibliothèques 

De  consulter  les  obhgations. 
Voilà  ta  vie  ,  infortuné  notaire  ! 
Jaunir  ,  maigrir  des  soucis  d'un  client  ! 
Pour  moi ,  le  Parque  avec  moins  de  salaire 
Daigne  filer  un  coton  plus  riant. 


—  92  — 
«  Quoi ,  diras-tu ,  c'est  ainsi  que  tu  traites 
«  Ce  noble  état!  Oses-tu  mépriser 
«  Dossiers  ,  extraits  ,  minutes  et  requêtes  , 
«  Quand  tu  savais  naguère  les  priser  ? 
ft  De  ton  passé  perdrais-tu  la  mémoire  ? 
«  Avant  d'entrer  aux  gages  d'Apollon  , 
«  Avant  d'avoir  de  Mars  brigué  la  gloire  , 
«  >"as-tu  pas  dû  ,  simple  tabellion , 
«  Ainsi  que  moi  passer  la  vie  entière 
«  A  griffonner  mille  papiers  timbrés 
«  Qu'on  fait  payer  d'une  grasse  manière  ? 
«  Contre  un  tel  sort  point  tu  ne  te  cambrais. 
«  Ne  viens  donc  pas  tant  prôner  les  artistes  , 
«  Un  malheur  seul  a  changé  tes  destins  , 
«  Et  maintenant  tu  railles  ,  tu  persistes 
«  A  croire  verts  d'imprenables  raisins.  » 
Tout  beau  ,  tout  beau  ,  monseigneur  du  notaire 
Si  votre  e-pèce  est  bête  ,  assure-t-on  , 
Suis  trop  poli  pour  dire  le  contraire  ; 
Tous  vos  écrits  valent-ils  ma  chanson  ? 
Or  si  je  ments  ,  le  vrai  touche  au  mensonge  : 
La  plume  est  lourde  à  présent  pour  tes  mains  , 
La  Conférence  a  passé  comme  un  songe  , 
Tu  ne  fais  plus  peintures  ni  dessins , 
On  n'entend  plus  résonner  ta  musique  , 
Adieu  les  arts  ,  te  voilà  bon  papa 
Jusques  au  cou  plongé  dans  la  pratique  , 
M'écriras-tu  pour  démentir  cela  ? 


—  !»;5  — 

iMaudit  métier  ,  il  éteint  dans  vos  tètes 
Ce  feu  sacré  qui  dans  nos  jeunes  ans 
Nous  fait  rêver  avenir  plein  de  fêtes  , 
Palmes  ,  lauriers  et  baisers  délirants  , 
Et  coupes  d'or  et  guirlandes  de  roses  , 
Et  piédestal  bâti  par  les  Amours  , 
Et  seins  ouverts  comme  deux  fleurs  écloses  , 
Et  toit  de  marbre  où  finiront  nos  jours  ! 
Sous  son  fatras .  sous  son  grimoire  infâme 
Qui  fait  sécher  l'imagination  , 
Il  assoupit  bientôt  l'ardeur  de  l'âme  : 
Or  ,  ou  ta  verve  est  en  location , 
Ou ,  fils  déchu  de  la  littérature , 
Tu  ne  sais  plus  rédiger  de  l'esprit  , 
Et  d'où  viendrait  telle  déconfiture  ? 
De  ton  métier  ,...  métier  maudit ,  maudit  !  ! 

N'encours -tu  pas  ce  terrible  reproche  ? 
Je  te  préviens  :  tous  les  demi-ISewtons 
Et  les  banquiers  à  la  profonde  poche  , 
Mêlés  en  bloc  à  des  tabellions  , 
N'ont  pu  jamais  entraîner  la  balance  , 
Un  grain  d'esprit  tenant  l'autre  plateau  ; 
Donc  si  dans  peu  tu  ne  rompts  le  silence 
Je  vais  te  joindre  à  ce  léger  trio. 

Toulouse,  juin  i 855. 


94 


cPé"  ^lec/euc  <Sn!^uve  ,  av-ocaé. 


Voilà  déjà  six  mois  que  loin  du  régiment 
Je  fais  d'autres  châteaux  avec  d'autre  ciment , 
Six  mois  que  j'ai  quitté  Tate-vin  pour  Pégase  ; 
Sur  ce  dernier  j'attends  qu'une  meilleure  phase 
De  mon  astre  éclipsé  ramène  la  splendeur; 
Je  chevauche  ,  des  jours  j'abrège  la  longueur. 
Mais  si  je  me  distrais  dans  les  champs  de  ma  Muse  ; 
Si  pour  moi  d'Hippocrène  elle  lâche  l'écluse  , 
Ai-je  de  l'amitié  rempli  tout  le  devoir? 
Ai-je  sur  son  autel  attisé  l'encensoir? 
De  récits  ,  de  détails  à  votre  âme  jalouse 
Ai-je  dit  quelque  chose  au  sujet  de  Toulouse  ? 
Ami ,  pardonnez-moi  :  mes  singuliers  revers 
M'avaient  un  peu  guéri  de  la  fièvre  des  vers. 
Rarement  le  chagrin  pour  rimer  nous  inspire , 
A  moins  qu'à  l'élégie  accordant  notre  lyre, 


—  05  — 

De  la  Nuit  revêtant  le   funèbre  manteau  , 
Comme  naguère  Young  aux  marbres  du  tombeau 
Nous  n'allions  mêler  nos  pleurs  à  ceux  du  saule  , 
Ou  contre  le  faquin  dont  l'orgueil  nous  désole  , 
D'un  équipage  dû  gagnant  le  marche-pied  , 
Nous  n'osions  venger  l'homme  d'esprit  à  pied  : 
Vous  savez,  nous  tenons  le  fouet  d'Archiloque. 
Hors  de  ces  cas  les  pleurs  nous  rendent  la  voix  rauque. 
Donc  je  veux  aujourd'hiri  racheter  mon  oubli , 
J'invoquerai  Marot  et  vous  serez  servi. 


Depuis  quinze  ans  Toulouse  est  mis  au  rang  de  ville 
Depuis  quatre  cents  ans  un  conseil  imbécile 
Par  acclamation  tous  les  soirs  décidait 
Qu'il  fallait  l'embellir  et  toujours  il  tardait  : 
Ici  chaque  projet  un  siècle  s'élabore  , 
On  le  prend  ,  on  le  laisse  ,  on  le  reprend  encore  , 
Et  les  neveux  des  fils  des  arrière-neveux 
A  peine  peuvent  voir  ce  qu'on  vota  pour  eux. 
Pourquoi  de  Fabius  suivre  ainsi  la  tactique  ? 
Pourquoi?  mon  cher  ami  ,  la  cause  en  est  logique  , 
Le  conseil  n'est  formé  que  d'avares  vieillards. 
Allez  donc  dans  un  ciel  surchargé  de  brouillards 
Découvrir  un -rayon  !  Dans  une  tête  chauve 
Toussant ,  crachant ,  prisant  au  fond  de  son  alcôve  , 


Après  tout ,  ce  peut  être  une  précaution 


—  96  — 

Le  Capitole  un  jour  fut  sauvé  par  des  oies. 

Toulouse  en  attendant  sur  les  nouvelles  voies 

Arrive  le  dernier  et  le  chemin  de  fer 

Qu'on  réprouve  en  criant  qu'il  va  tout  rendre  cher , 

Pour  extirper  l'esprit  routinier  de  ces  rives 

Pourra  bien  atteler  plusieurs  locomotives. 

Ce  qu'on  voit  de  joli  date  donc  de  quinze  ans; 

Les  femmes  néanmoins  l'y  furent  de  tout  temps. 

Saint-Etienne  et  sa  tour  de  briques  enfumées 

Où  les  pigeons  bourgeois  déposent  leurs  nitées 

Par  Botta  de  Ninive  en  cadeau  fut  offert  ; 

L'antique  Saint-Sernin  de  châsses  recouvert 

Se  déclare  l'endroit  le  plus  saint  de  la  terre  ;  (*) 

Son  clocher,  du  quartier  vaste  paratonnerre. 

Avec  les  mille  anneaux  qui  vont  en  décroissant 

Semble  être  un  vieux  palmier  qu'effeuilla  l'ouragan  ; 

Ecrasé  ,  quoiqu'en  dise  une  aveugle  peuplade 

Le  Capitole  attend  sa  troisième  façade , 

Et  pour  favoriser  l'écoulement  de  l'eau 

La  place  qu'il  décore  attend  un  bon  niveau  : 

Trois  fois  de  cent  paveurs  la  troupe  réunie 

Agita  sur  le  sol  la  truelle  et  la  hie , 

Trois  fois  l'entrepreneur  jeta  sa  langue  aux  chiens 

Et  le  maire  trois  fois  a  décuplé  ses  biens. 

N'avoir  pas  su  bomber  quatre  arêtes  égales 


(•)  Non  est  in  toto  sanctior  orbe  locus. 

(Inscription.) 


—  97  — 

En  menant  d'un  carré  les  deux  diagonales  ! 

IS'ont-il-;  point  de  Barème?  Aussi  certain  plaisant 

Nu-pieds  courut  un  jour  par  la  pluie  et  le  vent 

S'installer  sur  la  place  et  pécher  à  la  ligne. 

Un  pareil  trait  d'esprit  du  grand  Voltaire  digne 

Prouva  que  son  auteur  n'était  pas    du  pays , 

On  le  mit  en  prison  :  que  firent  ses  amis? 

Cinq  ou  six  jours  plus  tard  pour  venger  sa  défaite 

D'un  bonnet  rouge  au  maire  ils  votaient  la  toilette  ; 

Riquet ,  mis  bien  après  l'intérêt  communal  , 

Riquet  tourne  le  dos   à  son  fameux  canal  ; 

Aux  lieux  où  par  le  sang  notre  gloire  est  écrite 

En  briques  on  a  fait  un  plaisant  monolithe  ; 

L'hôtel  Cipière  est  beau  ,  mais  il  est  sans  trottoir  ; 

L'hôtel  de  Lacezat  ne  peut  s'apercevoir  : 

Celui  qui  veut  à  l'aise  admirer  ses  sculptures 

Doit  d'un  iconoclaste  essuyer  les  murmures. 

Grand  Dieu,  dans  quelles  mains  ces  chefs-d'œuvre  sont  ils! 

Que  vous  dirai-je  encor?  Des  contes  puérils. 

Irai-je  vous  conduire  au  milieu  de  nos  rues? 

Hors  celle  des  Marchands  ,  toutes  sont  biscornues  : 

Le  maître  dont  le  bouge  y  masque  le  soleil 

De  peur  qu'on  l'exproprie  entre  vite  au  conseil  ; 

Les  trottoirs  de  Toulouse  ont  émigré  dans  Londres  ; 

LesCapitouls  ne  sont  que  de  vieux  hypocondres  , 

Et  le  musée  aux  yeux  des  sages  amateurs 

Comme  objet  curieux  offre  les  visiteurs  ; 

J'excepte  cependant  un  bonhomme  d'IIerctile  , 


—  98   — 

Des  garçons  boulangers  trop  farineux  émule  , 
Dont  l'auteur  pour  prouver  la  beauté  du  tableau 
En  dernier  argument  fut  se  jeter  à  l'eau. 

Je  passe  aux  citoyens.  Vous  ,    moi,  toute  la  France  , 
Tout  l'univers  connaît  leur  vaine  outrecuidance; 
I.e  paradis ,  l'enft  r  ,  les  démons  et  les  dieux 
Mourraient  bientôt  d'ennui  ,  s'ils  ne  s'occupaient  d'eux  ; 
Tout  est  plein  de  leur  nom  et  s'il  faut  les  en  croire 
Les  Ga-cons  seulement  remplissent  notre  histoire. 
Drôles  de  gens  !  Un  d'eux  un  jour  d'un  ccup  de  poing 
Me  ditqu'il  m'enverrait  si  loin...  si  loin...  si  loin 
Qu'avant  d'être  tombé  j'aurais  été  des  mouches 
Croqué  !  Les  histrions  n'auraient  pas  dans  leurs  bouches 
Plus  vite  escamoté  la  muscade  aux  gamins. 
Henri  Quatre  à  chacun  donna  des  parchemins  , 
Tous  sont  nobles  ,  savants,  tous  pourraient  à  Tonlouse 
Troquer  contre  l'écharpe  une  mauvaise  blouse  , 
Tous  autant  que  Piron  ,  Voltaire  ,  Beaumarchais  , 
A  la  presse  vendraient  l'esprit  à  bons  marchés  , 
Tous  sont  prévôts  de  canne  et  de  boxe  et  d'escrime  , 
Tous  sont  de  leur  préfet  l'ami  le  plus  intime , 
Enfin  et  caetera  !  Je  conna-s  des  tailleurs  , 
Apostats  de  Cybèle  habillés  en  seigneurs  , 
Qui  dans  un  col  bien  droit  plaçant  l'intelligence  , 
Après  quelque  aperçu  fait  sur  quelque  science  , 
Sans  dout    furieux  de  n'avoir  rien  compris 
Derrière  l'orateur  lui  coupent  des  habits 


—  90  — 
Je  connais  un  butor,  un  barbouilleur  d'enseigne, 
Lâche  comme  \in  dévot  ,  rampant  comme  une  teigne, 
Entre  tous  les  \antarus,  vantard  le  plus  vantard  , 
Pour  payer  le  vin  blanc  n'ayant  pas  un  liard  , 
Qui,   baryton  venu  des  plaines  d'Arcadie  , 
De  ses  chants ,  dès  qu'il  voit  la  moindre  compagnie  , 
Poursuit ,  fatigue  ,  tue  ,  obsède  sans  pitié  , 
Qui ,  la  canne  à  la  main  et  le  vernis  au  pied  , 
Dimanche  incognito  se  gUsse  dans  le  monde 
Et  lundi  de  couleurs  couvert ,  puant ,  immonde  , 
A  table  énumérant  ses  trésors ,  ses  talents  , 
Avec  nous  mange  un  pain  qu'il  doit  depuis  deux  ans! 
Ces  gens-là  chez  Buffon  formeraient  une  espèce 
Dont  le  type  est  la  blague  et  la  loi  la  confesse. 
Or,  pour  guérir   les  vents  dont  leur  vcrtcx  est  plein. 
Dédaignant  les  p  jisons  d'un  docteur  assassin 
Je  leur  prescris  à  tous  le  séjour  d'Anticyre  , 
Ils  pourront  prendre  après  la  palette  ou  la  lyre, 
Et  quand  la  Parque  aura  fde  tout  le  colon  , 
Des  Illustres  un  jour  leur  illustre  Sal  n 
Peut-être  verra-t-il  au  fond  d'un  plat-à-barbe 
Leur  buste  roide  et  fier  comme  un  cheval  de  Tarbe. 

Sur  les  mœurs  à  présent  jetterai-je  un  regard? 
Là  je  suis  obligé  de  mettre  un  peu  de  fard. 
Dois-je  en  effet  lever  d'une  main  saugrenue 
Le  voile  qui  nous  cache  une  lorette  nue  ? 
Dois-je  vous  découvrir  les  secrets  du  Gran:i-Rond 


—  100  — 
Nocturne ,  immense  autel  où  du  bal  Abeillon 
Accourent  tous  les  soirs  les  filles  demi-grises 
En  offrande  à  Vénus  déposer  leurs  chemises  ? 
Parlerai-je  d'un  bal  où  les  couples  ardents  , 
Quand  la  foule  étrangère  a  déserté  les  bancs , 
Des  mystères  des  Grecs  suivant  l'ignoble  marche  , 
Dansent  comme  David  dansait  au  tour  de  l'Arche  ? 
De  ces  mères  qui  vont  pour  un  lucre  maudit 
Elles-mêmes  trousser  leur  fille  sur  un  lit? 
De  cette  opinion  entièrement  reçue 
Qu'un  amant  est  un  meuble  et  que  sans  retenue 
La  grisette  peut  bien  l'offrir  à  tous  les  yeux? 
De  certaine  madame  aux  roussàtres  cheveux  , 
Chez  qui  de  son  moulon  viennent  les  petits-maîtres 
Flâner  en  prétextant  un  faux  achat  de  guêtres 
Ft  qui  pour  prélever  des  prix  exorbitants 
Du  royaume  de  Tendre  a  tiré  ses  clients  ? 
De  ces  entremetteurs  d'une  infâme  nature 
Qui  fournissent  sa  proie  à  la  riche  luxure? 
Enfin  de  tout  le  reste  et  d'aulre  chose  encor? 
Non,  ce  qu'on  fait  sans  honte  on  le  fait  sans  effort. 
Ils  ont  même  à  ce  goût  façonné  le  langage  ; 
En  désignant  la  sœur,  l'épouse  la  plus  sage  , 
Cinquante  fois  un  frère  ,  un  mari  vous  dira  : 
La  Victoire  a  fait  ci  ,  la  Juhe  a  fait  ça. 
Admirable  bêtise  !  0  Toulouse  ,  Toulouse  , 
Sur  ton  compte  combien  le  touriste  se  blouse  ! 
Chez  toi  si  les  sourmands  trouvent  un  bon  couvert 


—    toi    — 

Hélas  !  le  ;  gens  d'esprit  tie  trouvent  ({u'uri  désert  ; 
Les  jésuites  ,  saiiyés  des  (lanitnes  de  Gomorrlie  , 
Orgueilleux  dans  les  m  irs  osent  régner  encore  ; 
Tu  fais  bien  ,  comble-les  des  dons  de  Syphilis 
Pour  quj  leur  amitié  t'ouvre  le  paradis, 
Tes  femmes  au  bonnet  n'ont  plus  de  mentonnières  , 
Elles  pourront  ôter  lacets  et  jarreti  M'es  : 
Ils  ^ont  là,  toujours  là  pour   l'absolution  , 
Eux  ,  ces  négociants  de  la  dévotion. 

Mon  apostrophe  étonne.  Un  marchand  de  parole 
Pour  toi  de  défenseur  va-t-il  jouer  le  rôle? 
De  tes  instituteurs  ,  tes  bas-bleus  ,  tes  pédants 
Vais-je  voir  contre  moi  monter  les  flots  grondants 
Et  me  cracher  l'écume  et  la  bile  au  visage? 
A  leur  pamphlet  vengeur  je  rirais  davantage; 
De  sûr,  en  entendant  leur  barbare  jargon  , 
Les  Muses  sortiraient  du  mystique  vallon  , 
Phébus  de  l'arc  d'argent  rebanderait  la  corde  , 
Et  tous  sans  demander  d'où  vient  notre  discorde  , 
De  cet  aîTreux  patois  fuyant  l'étrangeté, 
Soudain  sj  rangeraient  à  mon  faible  côte. 

0  mon  ami  ,  jamais  vous  n'aurez  une  idée 
Du  bizarre  instrument  dont  se  sert  leur  pensée. 
Qu'une  étude  au  notaire  ,  en  dépit  de  Lhomond  , 
Donne  la  liberté  de ,  pour  elle,  en  S)n  nom  , 


-    f02  — 

Parler  comme  autrefois  les  \aches  en  Espagne  , 

Rai,  je  consens  l'abus  ;  de  peur  qu'il  ne  me  gagne  , 

Pour  déguiser  l'ennui  vous  parlez  baragouin  : 

Ce  que  je  n'entends  pas  ne  m'offensera  point. 

Mais  que  dans  une  ville  où  la  littérature 

Avec  la  halle  aux  blés  est  sa  seule  parure  , 

Où  Clémence ,  la  fée  en  admiration  , 

A  la  plus  laide  rue  a  légué  son  gra  nd  nom  , 

Oîi  Germaine  Cousin  entre  mille  miracles-;, 

Des  flots  qu'élargissait  la  digue  du  Bazacles 

K'ayant  pu  garantir  le  pont  mal  affermi  , 

En  a  gardé  du  moins  l'actionnaire  endormi  : 

Le  pont  Saint-Pierre  hélas!  était  un  pont  sans  pierre  ; 

Dans  une  ville  ,  dis-je ,  où  sous  un  dais  de  lierre 

Quand  vient  le  mois  de  mai,  quand  reviennent  les  fleurs 

Far  amour  du  sonnet  ou  donne  à  vingt  rimeurs 

Des  soucis  en  Ruo-lz,  des  bons-points,  des  marottes  , 

Des  soucis  pour  prouver  au  moyen  de  litotes 

Que  dans  les  Jeux-Floraux  ,  que  dans  ce  Ga^Saber 

On  s'amuse  beaucoup  bien  qu'on  regarde  en  l'air; 

Que  dans  Toulon  e  enfin  où  les  arts ,.  où  les  lettres 

Sur  de  petits  fauteuils  voient  tant  de  petits-maîtres  , 

Comme  à  Soles  jadis  ,  des  hommes  de  salon 

Pour  me  parler  français  viennent  parler  gascon , 

Oh  !  cela  me  surprend  ,  cela  me  désenchante  ! 

La  faculté  pour  eux  s'est  montrée  obligeante  , 

Elle  a  voulu  forger  autant  de  bacheliers 

Que  le  père  Vcuillot  a  sali  de  papiers  , 


—   '03  — 

Klle  a  voulu  refaire  une  lettre  Persanne  , 
A  moins  qu'on  leur  livrant  à  tous  une  peau  d'âne  , 
Elle  n'ait  désiré  rendre  à  chacun  le  sien  : 
L'épigramme  est  permise  et  c'est  un  bon  moyen. 
Que  des  ouvriers  sortis  de  l'école  d'un  frère 
Osent  impunément  écorcher  la  grammaire  , 
Haï ,  le  frère  est  payé  pour  être  ignora ntin  ; 
Mais  quiconque  en  pensum  copia  du  latin  , 
Quiconque  au  séminaire ,  au  lycée  ,  au  collège  , 
Feuilleta  ,  barbouilla  Virgile  et  le  solfège  , 
Ne  doit-il  pas  quitter  le  jargon  du  pays  ? 
Le  français  n'est-il  donc  qu'un  patois  de  Paris? 
Et  n'allez  point  pour  ça  me  traiter  de  sophiste  : 
Abordez  dans  la  rue  un  gueux  ,  un  journaliste  , 
Un  adjoint  ,  un  banquier,  un  revendeur  de  choux  : 
Si  vous  le  salu.'z  ,  il  vous  salue   à  vous  , 
Il  vous  embrasse  à  vous  ,  et  le  long  de  sa  tempe 
Pour  un  peu  de  sueur  il  dit  qu'il  est  tout  trempe. 
Honteux  d'en  fabriquer  un  si  grossier  pain  bis 
Ils  appellent  millet  l'exotique  mais  , 
Ils  aiment  mieux  ce  mot  que  non  pas  le  mot  propre; 
Et  même  de  l'erreur  me  rendrai-je  l'apôtre 
En  ne  point  la  citant?  Que  non ,  car  selon  l'us 
Pour  vous  la  signaler  paraîtrait  quelqu'un  plus. 
Toutes  les  fois  et  quand  qu'on  les  traite  de  bêtes, 
Ils  savent  répliquer  plus  que  nous  vous  en  êtes; 
Enfui ,  parmi  le  peuple  et  les  gens  comme  il  faut  ^ 
Après  employé  seul  a  le   sens  de  tantôt  : 


—   104  — 

Après  je  l'ai  trouvée  à  sa  femme  aux  arcades , 
Je  ne  vous  ai  pas  vue  après  à  la  Dalbades  , 
Et  même  à  vous  chercher  mes  yeux  se  sont  lassés. 
—  Oh  !  que  vous  êtes  sot.  —  Hélas  !  j'en  suis  a  sez. 

Etrange  tés  !  Ici  la  langue  de=!  Corneilles 
Ferait  à  des  Chinois  boucher  les  deux  oreilles. 
Pour  punir  ces  Ronsards  ,  au  Parnasse  espérons 
Qu'on  bâtira  bientôt  des    petites-maisons. 

Vous  paraissez  surpris  ,  vous  ne  pouvez  comprendre 
Tout  ce  qu'en  mauvais  vers  je  viens  de  vous  apprendre  , 
Vous  riez  ,  vous  doutez  que  des  gens  en  habits 
Puissent  faire  en  causant  un  tel  salmigondis. 
Dieu  !  le  certificat  d'un  an  de  rhétorique  , 
De  talent  dans  le   monde  est-il  un  viatique  ? 
Boileau  n'existant  plus  ,  doit-on  impunément 
Placer  avant  Racine  un  stupide  roman? 
Parce  qu'un  imprimeur  pour  des  trafics  indignes 
Jugera  d'un  article  en  calculant  ses  lignes  , 
Parce  qu'un  Toulousain  ,  affichant  un  grand  air, 
Préfère  à  cent  journaux  celui  de  Jupiter, 
Parce  qu'un  écolier  pour  faire  ses  études 
Compile  feuilletons  ,  gazettes ,  platitudes  , 
Parce  que  notre  langue  au  sein  des  nations 
En  béquille  colporte  un  amas  de  haillons , 
Parce  que  mille  auteurs  ont  osé  sans  vergogne 
Se  montrer  plus  féconds  que  la  mère  Gigogne  , 


—  lOo  — 

Faut-il  ,  dites  .  faut-il  qu'à  cet  affreux  argot 

Je  sois  inclinèrent  et  comme  eux  je  sois  sot? 

Oh  !  non  ,  mon  cher  ami  ,  les  ]^lu?es  dans  votre  âme 

Ont  trop  du  feu  sacré  sauvegardé  la  flamme  ; 

Le  grand  siècle  chez  vou-î  espère  un  rejeton  ; 

Vous  devez  approuver  mon  indignation  , 

A  moins  que  tous  les  deux  inspirés  par  Thalie  , 

En  quête  du  français  nous  n'allions  en  Russie  : 

Aux  enfants  des  Boyards ,  dit-on ,  nos  grands  auteurs 

Pour  parler  mieux  que  nous  servent  d'instituteurs. 

Toutes  les  fois  et  quand  que  ma  veine  rimaille  , 
A  ces  marchands  de  cuirs  j'aime  à  livrer  bataille  ; 
Ils  sont  bien  les  vrais  fils  du  peuple  Vi>igoth  ; 
Sur  tous  les  voyageurs  s'ils  posaient  l'embargo  , 
Au  moins  l'esprit  d'autrui  remplirait  leur  enceinte  ; 
Dans  le  temple  du  goût  si  leur  lampe  est  éteinte  , 
Qu'au  foyer  de  Paris  ils  prennent  un  rayon  : 
La  Vestale  vouée  au  culte  d'Apollon 
Là  de  Déranger  seul  habite  la  demeure. 

Mais  qu'importe  ,  après  tout ,  que  l'idiome  meure  , 
Qu'ils  vous  aiment  à  vous  ,  me  détestent  à  moi , 
Que  pour  plaire  au  jésuite  ils  aient  mis  en  émoi 
Tous  les  quartiers  bridant  de  cent  mille  bougies  , 
Alors  qu'avec  l'argent  de  ces  faintes  orgies  , 
Aux  pauvres  dévorés  d'une  implacable  faim. 


—    106  — 

Pendant  six  mois  entiers  on  eût  donné  du  pain  ! 

Qu'importe  qu'au  passif  ils  mettent  tous  les  verbes  , 

Qu'après  moi  quelqu'un  plus  leur  apporte  des  herbes  , 

Qu'en  parlant  de  sa  fille  un  père  théalin 

Vous  dise  la  Fanny  comme  d'une  catin  , 

Que  si  nous  sommes  niais  ,  plus  que  nous  ils  en  soient , 

Qu'ils  se  disent  savants  et  surtout  qu'ils  le  croient , 

Et  que  du  Capitole  aux  paisibles  passants 

Le  mur  inachevé  semble  montrer  les  dents , 

Qu'importe  !  Malgré  ça  le  monde  est  toujours  monde  , 

La  rivière  toujours  de  son  eau  vagabonde 

Sans  vannes  ,  sans  écluse  ,  inondera  Tounis  , 

Les  habitants  toujours  vous  parleront  sadis 

Du  vieux  château  sadis  où  comme  leurs  ancêtres 

Sadis  dans  la  Garonne  ils  pissent  des  fenêtres  ; 

Reconstruit  dans  mille  ans  leur  infortuné  pont , 

D'un  angle  pour  couper  les  vagues  en  amont 

Sera  toujours  privé  :  son  habile  archibête 

A  le  rendre  moins  fort  se  cr,  usera  la  tête  , 

Et  pour  que  leur  sueur  donne  aux  ouvriers  du  pain  , 

Trente  fois  refaira  son  tra\ail  peu  romain  ; 

Moi ,  je  serai  toujours  votre  ami  le  plus  tendre  , 

Et  comme  à  de  bons  vers  vous  auriez  pu  prétendre  , 

Si  vous  lisez  les  miens  avec  des  yeux  d'Argus  , 

Je  vous  dirai  :  mon  cher  ,  allez  voir  quelqu'un  plus. 

Tûuloase,  1355. 


107  — 


Ç.P&  7na   veue=(iccu?^  ô/t^a. 


De  la  bavarde  Schérâzade 

Que  n'ai-je  à  mon  gré  sous  la  main 

Le  féerique  gobelin  , 

Ou  ,  comme  au  temps  de  la  croisade  , 

Que  n'ai-je  du  fameux  Merlin 

L'abracadabrante  baguette  ; 

Que  n'ai-je  en  guise  de  mazette , 

Pour  chevaucher  par  monts  ,  par  vaux  , 

Le  vieux  balai  d'une  sorcière  , 

De  Jupin  le  porte -tonnerre  , 

Ou  de  Vénus  les  pigeonnaux  , 

Ou  la  béquille  que  Le  Sage 

Avec  certain  diable  boiteux  , 

Quand  Madrid  éteignait  ses  feux  , 

Employait  à  certain  voyage  , 

Ou  bien  un  rock  de  Broguignac  , 


—   108  - 
Ou  bien  un  litre  de  cognac 
Qui  m'enverrait  dans  un  nuage... 
Et  vite  je  prendrais  l'essor 
Vers  les  sites  de  ma  Provence , 
Sans  qu'il  fût  utile  ,  je  pense  , 
De  me  nantir  d'un  passeport  !  ! 
Mais  tous  ces  jolis  véhicules  , 
Comme  les  classiques  férules  , 
Sont  passés  de  mode  aujourd'hui  ; 
Les  éclairs  de  l'esprit  ont  lui , 
Et  pour  faire  mentir  Homère 
Et  les  légendes  d'autrefois  , 
La  science  met  aux  abois 
La  poésie  et  sa  chimère  : 
La  réalité  mille  fois 
Est  au-dessus  de  ces  merveilles. 
A  mon  service  j'aurais  donc 
L'Etna  traînant  un  phaëton  , 
Un  vapeur  ,    moderne  Triton  , 
Un  hydrogénique  ballon  , 
Trente  machines  sans  pareille  , 
Mais  hélas  !  mon  amie  ,  hélas  ! 
Comme  le  renard  sous  la  treille  , 
Je  pourrais  me  gratter  l'oreille  : 
Il  faut  de  l'argent  pour  du  gaz. 
De  l'argent  !  Et  par  modestie 
J'ai  fait  vœu  très-chrétiennement 
Que  les  gros  billons  seulement 


—    109  — 

Dans  ma  bourse  du  régiment 
Auraient  le  droit  de  bourgeoisie  ! 
Adonc  tu  peux  perdre  l'espoir 
De  m'embraï^ser  ,  de  me  revoir  ; 
A  plus  tard  remets  la  partie. 

Heureusement ,  grâc^'  à  Cadmus 
Je  puis  à  mon  aise  l'écrire  , 
Et  la  poste  ,  enfant  de  Cyrus  , 
Jusqu'aux  limites  de  l'Empire 
Te  portera  mon  papyrus  : 
Cette  poste-là  n'est  pas  fière  , 
De  gros  billons  font  son  affaire. 

Ecoute  donc  tout  mon  babil 
A  l'égal  du  conte  Joconde  ; 
Mais  si  je  n'ai  pas  la  faconde 
DuLafontaine  si  gentil 
Pour  exciter  quelque  sourire 
Sur  ta  bouche  où  le  cœur  respire , 
Tâche  au  moins  de  ne  pas  dormir 

Mademoiselle  la  Fortune 
Pour  moi  réservant  sa  rancune  , 
Croyait  me  faire  ici  blêmir  ; 
Toi-même  par  excès  de  zèle 


—    MU   — 
Croyais  qu'au  fond  d'une  ruelle  , 
Sans  pain  ,  sans  habit  ,  sans  argent , 
J'irais  sur  l'angle  d'une  pierre  , 
IMarmotant  deux  mots  de  prière  , 
Reposer  mon  front  indigent  ; 
Mais  le  bon  Dieu  dans  la  nature 
A  cha:un  donne  sa  pâture  , 
J'ai  ma  place  sous  le  soleil  : 
Quand  je  rêvais  dans  la  richesse  , 
Mon  rêve  était  plein  de  tristesse  , 
Aujourd'hui  voici  le  réveil  ; 
la  Liberté  que  je  possède 
M'a  fait  traverser  le  Léthé  , 
Et  pour  les  soucis  mon  remède 
C'est  d'être  gai  ,  constamm.nt  gai. 


Ma  simple  chambre  du  troisième 
Vaut  un  salon  officiel , 
Car  si  j'en  ouvre  la  persienne 
J'admire  de  plus  près  le  ciel  ; 
Je  n'entends  jamais  comme  à  Cannes 
Crier  ,  tempêter  ,  tapager  ; 
J'y  chante  sans  me  déranger 
Des  refrains  sacrés  ou  profanes  ; 
Et  mes  cinquante  francs  par  mois  , 
Lorsque  j'ai  Foldé  ma  dépense, 
Sont  réduits  à  de  tels  abois 


—  m  — 

Que  eans  instruments  de  défense 
J'y  dois  content  et  rassuré  : 
Le  voleur  serait  le  volé. 
Le  matin  je  griffonne  vite 
Les  vers  composés  dans  le  lit  , 
Puis  à  la  maîtresse  du  gîte 
Qui  tout  doucement  me  sourit 
Je  souhaite  bonne  journée  , 
Et  d'une  chan.-^on  fredonnée 
J'accompagne  encor  mon  départ. 

Tu  vois  que  l'homme  de  nectar 
Peut  s'emplir  lui-même  la  coupe  , 
Et  que  s'il  a  de  la  vertu , 
Toujours  un  Génie  à  la  poupe 
De  son  bateau  qu'on  croit  perdu  , 
Après  les  tourments  de  l'orage  , 
Tôt  ou  lard  prend  le  gouvernail 
Pour  le  ramener  au  rivage  ! 
Tempérance  ,  joie  et  travail , 
Ces  trois  mots  forment  ma  devise. 
Oh  !  pour  papa  quelle  surprise 
S'il  soupçonnait  tout  mon  bonheur  !  ! 

11  verrait  avec  des  artistes 
Dont  le  trésor  est  dans  le  cœur 
Régner  toujours  ma  belle  humeur , 


—  -112   — 

Pendant  nos  courses  de  touristes  ; 

Il  verrait  mon  cher  Rocamir , 

Armé  d'une  horrible  palette  , 

Grave  ,  plus  grave  qu'un  Emir  , 

Suer  son  sang  en  gouttelette 

Pour  me  façonner  un  portrait 

Qui  dans  l'espoir  d'une  conquête 

Ne  me  montre  pas  aussi  laid  ; 

Et  pour  lui  ,  contre  ce  chef-d'œuvre  , 

Aux  heures  du  coq  matinal  , 

Souvent  il  me  verrait  à  l'œuvre 

D'un  compte-rendu  de  journal  ; 

D'autres  fois  il  pourrait  encore  , 

Au  milieu  d'un  bruyant  festin  , 

Les  verres  remplis  de  ce  vin 

Qu'un  beau  rayon  de  soleil  dore  , 

Ouïr  ma  Muse  dont  on  implore 

Quelques  couplets  sur  le  Poussin  : 

Le  peintre  est  frère  du  poète. 

Or  si  dans  l'exil  je  regrette 

L'absence  du  meilleur  ami 

Et  d'une  famille  complète  , 

Grâce  à  Dieu  je  retrouve  ici 

Plus  de  vingt  charmantes  personnes 

Qui  ,  pour  moi  sans  doute  trop  bonnes  , 

Plaignent  mes  soi-disants  malheurs  , 

Et  qui  voudraient  cueillir  des  fleurs 

Pour  me  composer  des  couronnes. 


—   H3  - 

Ne  va  point  ni'accuser  d'oubli , 
De  dureté  ,  d'ingratitude  ; 
Quand  mon  horizon  fut  noirci  , 
Devais-je  avoir  l'inquiétude 
De  toujours  calculer  un  bien 
Dont  il  ne  me  restait  plus  rien  , 
De  toujours  pleurer  la  famille 
D'où  cette  coquine  de  fille 
Me  faisait  chasser  comme  un  chien  ? 
C'aurait  été  trop  de  misère  ; 
Mais  néanmoins  je  pens.'  à  toi , 
A  Suzanne  ,  à  ma  pauvre  mère  , 
A  Marceline  qu3  naguère 
Les  chants  lugubrer.  du  convoi 
Menaient  au  cypvèo  funéraire  ; 
Je  pense  à  vous  tous  ,  croyez-moi. 

Je  me  rappelle  nos  collines 
Où  l'oranger  ,  les  aubépines  , 
L'olivier  menaçant  les  cieux  , 
Le  jujubier  qui  vient  du  Pinde  ,        * 
Les  palmiers  ,  l'aloës  de  l'Inde 
Se  mêlent  aux  ifs  orageux  , 
Aux  sapins  des  sommets  neigeux  ; 
Et  toutes  ces  villas  splendides 
Que  caresse  le  flot  vermeil , 
Et  Cannes  et  son  beau  soleil , 
Et  nos  si  coquettes  bastides 


—   114  — 

Qui  ressemblent,  aux  flancs  du  mont  , 
A  des  perles  qu'un  noir  démon 
Jette  devant  les  Lords  avides. 


Et  toi ,  te  souvient-il ,  ma  sœur  , 
De  rile  Sainte-Marguerite 
Où  nous  cherchions  la  fraîcheur 
Sous  les  cotillons  d'Amphitrite  ? 
De  tous  ces  instants  de  plaisir  ? 
De  ces  ébats  de  jeune  fille  , 
Dont  le  radieux  souvenir 
Au  fond  de  mon  passé  scintille 
Comme  la  lune  au  fond  des  mers  ? 
Cette  époque  est  un  peu  l'avers 
De  ma  médaille  et  son  revers 
Depuis  m'offre  mainte  aventure. 


Il  me  semble  encor  voir  Toulon  , 
Ses  grands  vaisseaux  à  triple  pont 
A  la  gigantesque  mâture  , 
Où  je  fesais  avec  Gibouin 
Mon  maritime  apprentissage 
Pour  devenir  un  Duguay-Truin  ; 
Dans  un  plus  séduisant  mirage 
Je  vois  encor  la  faculté 
Et  son  indigeste  Digeste  , 


—    1!o  — 

Et  Lombard  plus  cruiiil  que  la  pc^te 

Et  les  soltiges  du  (  afé  , 

Les  bals  peu   masques  ,  le  Ibeàtre  , 

Les  punchs  à  la  llanmie  bk-uàtre  , 

Les  gros  petits  soupers  à  quatrv'  , 

Julie  et  Claire  et  Rosaiba, 

Et  plusieurs  autres  noms  en  a  , 

La  Conférence  littéraire 

Où  le  lecteur  pouvait  tout  faire 

Excepté  nous  faire  bâiller  ; 

Et  la  nuit  sur  mon  oreilk  r 

Ces  images  ,  joyeuse  ban  c  .. 

Pour  bannir  l'ombre  d'un  cbagriu 

Viennent  danser  la  sarabande  : 

\^\\  songe  est  un  prisme  divin. 

Mais  supposes-tu  que  /oublie 
Cette  huitième  batterie 
Où  j'ai)pris  la  philosophie 
Mieux  que  chez  un  auteur  ancien  ? 
L'oublier  ,  ingrat  !  Ne  crains  rien. 
Ah  !  je  me  rappelle  fort  bien 
Le  pain  bis  ,  le  bouillon  aveugle  , 
Le  maix'chal-logis  qui  beugle 
Aux  tPiUsses  du  pauvre  conscrit  , 
Mes  gros  sabots  ,  ma  gros^-e  toile 
Et  mes  Huits  à  la  belle  étoile  , 


—   446  — 

Le  livre  chinois  qui  décrit 

La  théorie  et  la  manœuvre  , 

Et ,  tout  barbouillés  de  crottin  , 

Mes  pauvres  doigts  traçant  une  œuvre  ; 

Cet  état  que  Callot  eût  peint , 

Maintenant  surtout  me  fait  rire. 

Le  canonnier  Trouin  dût  te  dire 

Qu'aux  cambuses  soir  et  matin 

Les  bons  mots  étaient  d'ordonnance  , 

Que  j'avais  part  à  leur  dépense 

Et  large  part  ,  que  l'indulgence 

Se  perdait  à  nous  écouter  , 

Que  ,  lorsque  je  courais  licher 

Sur  les  planches  de  la  cantine  , 

Je  faisais  excellente  mine  , 

Et  que  même  en  pansant  Thomas 

La  gai  té  ne  me  quittait  pas  , 

D'où  venx-ta  que  ça  me  chagrine  ? 

Enfin  ,   comme  tout  ici-bas 
Se  succède  ,  à  présent  pour  vivre 
Me  voici  donc  teneur  de  livre  , 
Plus  tard  je  serai  professeur  , 
Plus  tard....  Je  n'en  sais  rien.  Ma  sœur  , 
0  ma  sœur ,  tu  ne  pourrais  croire 
Ce  que  c'est  que  rêver  la  gloire  , 
Rêver  les  transports  de  l'amour  , 


—  117  — 
Rêver  k-s  regards  d'une  femme 
Qui  res;)IejKlissent  dans  voire  âme 
Comme  \o.s  feux  d'un  dernier  jour  , 
Rêver  la  foule  qui  s'empresse 
Enthousiaste  à  votre  entour  , 
Rêver  la  volupté  ,  l'ivresse  , 
Rêver  un  palais  ,  une  cour  , 
Rêver  pour  l'ange  que  l'on  aime 
Des  monceaux  d'or  ,  un  diadème  , 
Les  parfums  que  l'Orient  sème  , 
L'éventail  ,  redoutable  emblème 
Dont  cha(iue  coup  est  un  arrêt  , 
Et  pour  Notre  front  de  poète 
Rêver  l'auréole  qu'apprête 
Sa  main  plus  blanche  que  le  lait  !! 


Bienheureux  l'homme  dont  la  vie 
Peut  s'écouler  en  rêverie  ! 
Qu'importe  une  déception  ? 
La  pensée  est  assez  féconde 
Pour  remplajer  par  mille  un  monde 
Qu'a  détruit  la  froide  raison. 
Ainsi  ,  quand  l'ombra  se  déroule 
Dans  le  golfe  de  h  Napoule  , 
Que  d  s  cimes  de  l'Estcrel  , 
L'astre  à  la  ii:i  de  sa  c.irrièi'o 
S'.mble  Ij.nlser  la  lu.niJrj 


—    118  — 
Comme  une  brillante  poussière 
Sur  les  toits  de  ton  vieux  castel , 

Souvent  tu  guettes  les  nuages 
Formant  des  maisons  ,  des  villages 
Dorés  par  le  rayon  couchant  : 
Au  moindre  souffle  du  zéphyre 
Tout  cet  univers  se  chavire  , 
Mais  n'en  renaît-il  pas  autant  ? 

J'accepte  cette  destinée  , 
Je  ne  changerais  pas  mon  sort 
Contre  la  pourpre  couronnée  ; 
Ke  point  sentir  c'est  être  mort. 
Une  voix  m'a  toujours  dit  :  chante 
Et  je  chante  ,  et  peut-être  enfin 
Aux  sons  de  ma  cythare  aimante 
Une  femme  sur  mon  chemin  , 
Pour  reposer  ma  tête  errante 
Daignera  me  prêter  son  sein  ; 
Et  si  le  Nulgaire  idolâtre 
Montre  au  poète  l'hôpital , 
Le  poète  brave  ce  mal , 
Car  il  voit  sur  un  piédestal 
Camoëns  ,  Gilbert,  Malfllalre  ! 


Toulouse ,  1855. 


—    119  — 


tpé   '^y/éac/em.oc^eâe    S'.    J^. 


Vous  vous  êtes  mis  dans  la  tête 
De  savoir  comment  le  poète 
Aime  la  femme  ;  ce  désir 
Est  le  désir  d'une  coquette  , 
Et  vous  viendrez  après  songer  à  ma  conquête 
Quand  vous  en  aurez  le  loisir. 
N'importe  ,  une  Grâce  commande  , 
Ma  Muse  doit  vite  obéir, 
Il  faut  que  mon  orgueil  s'amende. 


Jamais ,  enfant ,  jamais  ,  vos  songes  du  matin 
Ne  vous  ont  tig'uré  de  plus  chaste  destin  , 
De  plus  tendre  discours  ,  de  volupté  plus  pure , 

Jamais  votre  brune  figure 
Ne  s'est  épanouie  à  de  plus  beaux  rayons. 


—   120  — 

Comme  le  lys  dans  les  vallons 

Garde  la  goutte  de  rosée  , 

Notre  cœur,  patère  sacrée  , 

Garde  les  nobies  passions  ; 
On  juge  du  poète  au  culte  de  la  femme  , 

Etre  poète  ,  c'est  aimer  : 

Le  Seigneur  a  voulu  former 
^'ot^e  essence  d'amour,  d'harmonie  et  de  flamme. 


Moins  douce  est  la  brise  du  soir, 
La  cloche  sonnant  la  prière  , 
L'onde  murmurant  sous  le  lierre  , 
Le  flot   contre  le  rocher  noir 
Faisant  gémir  l'algue  marine , 
Le  passereau  sur  la  chaumine 
Saluant  l'astre  qui  décline 
Et  semble  lui  dire  :  au  revoir, 
La  dernière  chanson  du  cygne  , 
Les  premiers  cris  du  nouveau  né  , 
L'arrêt  de  grâce  au  condamné 
Que  déjà  le  bourreau  désigne  , 
Et  les  ballades  du  berger 
Que  l'angelus  ramène  au  gîte  , 
Et  l'hymne  que  le  pauvre  ermite 
Entonne  sous  l'humble  verger, 
El  le  bruissement   du  zéphyre  , 
Et  l'orgue  saint  qui  nous  attire 


—    121  - 

Sous  l'ogive  du  monument, 

Et  les  fanfares  d'une  fête 

Sont  bien  moins  douces  que  le  cliant 

Que  la  voix  du  jeune  poète 

Oui  de  vou    aimer  fait  serment  ! 


Aimer  !  oh  î  que  de  gens  profanent  ce  langage  , 
Voient  tout  ce  qu'il  désigne  à  travers  un  nuage 
Et  n'ont  jamais  plongé  leur  regard  dans  les  cieux  ; 
Aimer,  c'est  vivre  ici  comme  vivent  les  anges  , 
Mieux  que  sur  les  duvets,  sur  les  plus  riches  franges, 
C'est  poser  votre  front  sur  un  sein  amoureux  ; 
Aimer,  c'est  respirer  l'haleine  d'une  femme  , 
C'est  lire  dans  son  œil  des  poèmes  d'amour, 
C'est  mettre  sur  son  cou  des  baisers  pour  atour, 
C'est  ouvrir  votre  cœur  et  dévoiler  votre  âme  , 
C'est  jeter  à  ses  pieds  rêves,  gloire  ,  bonheur, 
Pour  elle  à  l'avenir  demander  des  couronnes  , 
Choisir  les  plus  beaux  fruits  des  plus  belles  automnes  , 
Du  printemps  le  plus  gai  la  plus  suave  fleur  ; 
Aimer,  c'est  n'avoir  plus  de  désir  sur  la  terre 
Lorsque  la  femme  aimée  a  comblé  vos  désirs, 
Auprès  d'elle  trouver  le  charme  ,  les  plaisirs , 
Les  consolations  ,  l'oubli  de  la  misère  , 
C'est  vivre  de  sa  vie  et  mourir  de  sa  mort , 
Dans  ses  petites  mains  faire  vibrer  la  lyre 
El  ,  lorsque  à  vos  côtés  son  cœur  bat  et  soupire  , 


—  122  — 

Faire  envier  au  ciel  votre  brûlant  transport  ! 
Aimer  !  Un  fils  de  l'homme  aurait-il  dans  sa  bouche 
Pour  exprimer  l'amour  des  sons  assez  puissants  ? 
Au  milieu  des  châteaux  dont  il  orne  sa  couche 
Le  poète  lui-même  aurait-il  des  accents  ? 
Le  cœur  le  plus  ardent  n'a  qu'un  mot  pour  langage 
J'aime  ,  et  l'indifférent  dans  ce  mot  ne  voit  rien. 
Tel ,  aux  flancs  du  granit ,  monumentale  page  , 
A  Thèbes  ,  à  Memphis  ,  le  prêtre  égyptien 
Savait  peindre  ou  graver  un  symbole  ,  une  image 
Dont  les  initiés  comprenaient  seuls  le  sens. 

W  ais  il  tl^t  ces  Iturcs  d'ivresse  , 
Il  est  de  sublimes  instants 
Où  le  souffle  d'une  maîtresse 
Ranime  les  moins  éloquents. 
Comme  notre  coupe  déborde 
Sous  des  flots  de  généreux  vins  , 
Comme  au  troubadour  qui  l'accorde 
La  harpe  rend  des  sons  divins , 
Dans  les  étreintes  d'une  femme  , 
Heureux  de  sa  félicité , 
Le  poète  exalte  son  âme 
Avec  un  hymne  à  la  beauté  : 
Alors  les  douces  harmonies 
Qui  de  ses  lèvres  sans  détour 
Montent  aux  sphères  infinies. 
Sont  l'expression  de  l'amour. 


—   123  — 

Vous  ne  le  croyez  pas,  et  vous  trouvez  étrange 
Qu'aimer  soit  le  don  seul  du  poète  et  de  l'ange  , 
Vou^  doutez  ,  vous  riez ,  hé  bien  !  soyez  à  moi , 
Acceptez  mon  offrande  ,  acceptez  nia  tendresse  , 
Acceptez  les   serments  ,  les  gages  de  ma  foi , 
D'un  t^ensible  retour  donnez-moi  la  promesse  , 
Partagez  ,  excitez  ma  noble  émotion  , 
Dites  ,  dites ,  laissez  sur  votre  sein  de  neige  , 
Sans  qu'un  voile  jaloux  de  ses  plis  le  protège  , 
Comme  sur  un  jasmin  l'avide  papillon , 
Laissez-moi  promener  ma  lèvre  dévorante  , 
Laissez-moi  de  l'hymen  suivre  toute  la  pente, 
Laissez-moi  dans  vos  bras  m'èblouir,  m'inspirer  , 
Et  du  poète  alors  les  airs ,  lys  mélodies  , 
Comme  les  chants  du  cygne  au  moment  d'expirer  , 
Comme  les  chants  du  cloître  et  des  vierges  bénks  , 
Comme  les  chants  ce  gloire  au  triomphe  d'un  roi  , 

Viendront  enivrer  vos  oreilles  , 
De  déhces  remplir  nos  entretiens  ,    nos  veilks  , 

Vous  le  verrez  ,  soyez  à  moi  ! 

De  NOS  cheveux  défaits  mêlant  les  noires  tresses  , 
Enfant ,  sur  vos  genoux  mes  coudes  appuyés , 
Dans  vos  regards  de  feu  puisant  des  flots  d'ivresses  , 
Vos  deux  mains  dans  mes  mains,  serf  et  prince  à  vos  pieds, 
Après  un  long  silence  ,  un  serrement  suprême  , 
En  extase  ,  en  moiteur,  je  vous  dirai  :  je  t'aime  , 
Je  t'aime  !  Et  votre  tête  à  la  fin  sur  mon  front , 


—    124  — 

Comme  le  dahlia  courbé  par  l'aquilon  , 
S'inclinera  pensive  et ,  semblable  aux  murmures 
Qui  parcourent  la  nuit  ,  de  vos  lèvres  si  pures 
Un  mot  s'échappera  faiblement ,  mot  divin  , 
Mot  sublime,  sacré  ,  qui  fait  bondir  le  sein  , 
Mot  que  l'on  prostitue  et  qu'ici-bas  vénère 
Le  poète  rêveur,  mot  qui  jette  en  émoi , 
El  les  anges  au  ciel ,  les  sylphes  sur  la  terre 
Entendront  seuls  ce  mot,  ce  soupir,  ce  mystère  : 
Je  ne  l'entendrai  pas ,  mais  vous  serez  à  moi. 

A  moi  !  Qui  vous  dira  l'ivresse 
Dont  je  puis  abreuver  vos  sens? 
Qui  vous  dira  de  mes  accents 
L'enthou-iasme  ou  la  mollesse? 
Quand  verrai-je  d'un  peu  d'amour 
Une  femme  égayer  ma  vie  ? 
IS'est-ce  pas  encore  mon  tour  ? 
L'tspérance  de  jour  en  jour 
Doit-elle  aussi  m'être  ravie? 

Vous!  pour  vous  je  voudrais  cueillir  les  fleurs  des  champs, 
En  former  un  tapis  de\ant  votre  couchette, 

Appuyer  dessus  vos  pieds  blancs  ; 
Moi-même  je  voudrais,  le  soir,  de  la  toilette 
Dont  la  mode  à  grands  frais  surcharge  une  coquette 
Détacher  les  satins  ,  les  précieux  chilfons  ; 

Et  puis  ,  vous  prenant  demi  îuie 


I 


—    12o   — 

Doucement  dans  mes  bras  tremb'ants  de  passions  , 
Doucement  vous  poser  sur  vos  mous  édredons, 

Comme  une  Naïade  ingénue 

Couchée  au  milieu  des  gazons  ; 
Et  puis  dans  l'ombre  enfin  ,  libres  de  toutes  craintes  , 
Tous  les  deux  enlacés  ,  tous  les  deux  sans  contraintes, 
De  transport ,  de  délire  haletants  ,  enivrés  , 
Sur  nos  lèvres  laissant  de  brûlantes  empreintes  , 
Et  tomber  et  mourir,  anéantis  ,  brisés  , 
Et  retrouver  toujours  de  nouvelles  étreintes  , 
Et  renaître  toujours  sous  de  nouveaux  baisers!! 

Quel  beau  rêve  ,  Dieu  ,  quel  beau  rêve  ! 
Mais  hélas  !  pour  en  venir  là  , 
Comme  Adamastor  qui  se  lève 
Entre  l'Océan  et  Gama  , 
Le  fantôme  de  l'impossible 
Entre  nous  met  son  voile  noir. 
Il  faut  se  consoler  ;  l'odalisque  invisible 
Au  sérail  n'a  que  son  miroir 
Pour  admirateur  de  ses  charmes  , 
Ainsi ,  pour  vous  seule  gardez 
Vos  appâts  ,  vos  trésors  secrets 
Qui  pourraient  me  coûter  des  larmes. 

Et  je  donnerais  cependant 
Contre  une  nuit  de  vos  caresses 


—  126  — 
Tous  les  parfums  de  l'Orient, 
Le  trépied  des  vieilles  prêtresses  , 
Les  porcelaines  du  Japon  , 
Toutes  les  merveilles  de  Sèvres  , 
Le  nectar  que  portaient  aux  lèvres 
Les  dieux  déchus  de  l'IIélicon  , 
Tout': s  les  glaces  de  Voni-e  , 
Tous  les  festins  de  S^baris  , 
Et  ks  vases  d'or  de  l'église  , 
Et  la  Perse  et  tous  f  es  tapis  , 
Et  tout  le  sable  du  Potose  , 
Et  sur  une  feuille  de  rose 
Ces  vers  par  une  fée  écrits  1 


Toulouse,  1355, 


STANCES. 


—  120  — 


kS%  '^na   c&uétne  c5^.    &t<Qccaa. 


C'était  l'heure  où  sur  cette  terre 
L'homme  d'un  repos  salutaire 
Goûte  le  bienfait  précieux , 
L'heure  où  dans  tout  l'espace  immense 
Des  pieds  de  Jéhovah  s'élance 
L'hymne  grandiose  des  cieux. 


Nous  partons  :  la  rame  fidèle , 
Comme  dans  les  airs  de  son  aîle 
Se  dirige  au  loin  le  condor, 
Du  quai  Saint-Pierre  nous  enlève 
Et  sur  chaque  vague  soulève 
Une  humide  poussière  d'or. 


—  430  — 


Nous  fuyons  :  le  sein  d'Amphitrite 
Et  s'ouvre  et  s'abaisse  et  palpite 
S  JUS  les  coups  de  nos  avirons  ; 
Bientôt  disparaissent  ri\age  , 
Arbres  ,  châteaux  ,  obscure  image 
De  nos  gracieux  environs. 


Nous  voguons  ,  nous  voguons  encore 
Lorsque  dans  l'orient  l'Aurore 
Ouvre  ses  portes  de  cristal 
Et  semble  sur  la  côte  entière 
Mettre  une  frange  de  lumière 
Comme  sur  un  manteau  roval. 


Enfin  notre  légère  barque 
Touche  la  rive  et  nous  débarque 
A  la  vieille  Néapolis , 
Sombre  manoir,  ruine  antique 
Où  le  châtelain  despotique 
Dort  sous  les  donjons  démolis. 


Vous  savez  ,  quand  nous  arrivâmes 
Morphée  encore  dans  vos  âmes 
Distillait  ses  subtils  pavots  ; 


—    13J   — 

Nous  dûmes  longtemps  vous  attendre 
Jamais  vous  ne  pouviez  descendre  : 
La  toilette  a  tant  de  travaux. 


Vous  rappelez- vous  cette  entrée 
De  tant  de  bravos  saluée  , 
Puis  I  armi  les  chants  et  les  cris 
^'otre  déjeuner  qui  s'apprête 
Et  le  bouquet  de  votre  fête 
Aux  nombreux  œillets  si  jolis? 


Et  notre  départ  pour  le&îles  , 
Vos  airs  aidant  nos  mains  agiles 
L'abord  contre  le  rocher  vert , 
Le  bédouin  dont  l'œil  sauvage 
Loin  des  sables  de  ce  rivage 
Cherchait  les  sables  du  désert  ? 


Dites,  vous  souvient-il  encore 
Des  pins  séculaires  que  dore 
Le  rayon  de  l'astre  brillant , 
Du  genêt  cueilli  sur  la  plante  , 
De  notre  gaîté  si  bruyante  , 
De  nos  pieds  aux  rocs  vacillant? 


132 


Du  noir  marabout  en  prière , 
A  genoux  sur  la  même  pierre 
Qu'autrefois  le  Masque  de  Fer, 
Du  cimetière  poétique 
Où  ce  pauvre  enfant  de  l'Afrique 
Se  lamentait  avec  la  mer  ? 


De  Saint-Honorat ,  l'île  sainte  , 
Saint-Honorat  et  son  enceinte 
De  ruines  et  de  tombeaux  ? 
Des  restes  du  castel  antique  , 
Lieux  sacrés  ,  pieuse  relique 
Qu'on  dirait  gardés  par  les  eaux  ? 

Et  des  colonnes  de  porphyre 
Dont  la  grandeur  n'a  pu  suffire 
A  combattre  contre  les  ans  ; 
Et  du  palmier  de  la  légende 
Dont  le  front  tout  courbé  demande 
Une  foi  de  petits  enfants  ? 

Dieux  Pénates  de  ces  décombres  , 
Des  moines  les  timides  ombres 
Habitent  le  mur  crevassé  ; 


—    133  — 
ISiille  voix  sous  la  voûte  immense  , 
Kul  écho  ,  tout  dort  :  le  silence 
Est  l'expression  du  passé. 

Le  soir  une  douce  tristesse 
Remplaça  notre  folle  ivresse  : 
Au  cloître  avaient  gémi  les  vents  , 
Et  nos  pas  avaient  sous  le  lierre 
Remué  la  sainte  poussière 
D'un  ancien  peuple  de  savants. 

La  nuit  tombait ,  nous  reparti  mes  , 
Les  lames  alors  sur  leurs  cîmes 
Firent  craquer  mâts  et  bateau  , 
Le  mistral  siffla  plein  de  rage  , 
On  craignit  de  faire  naufrage  : 
Ce  fut  là  l'ombre  du  tableau. 

Joyeuse  et  rapide  journée  ! 
Le  Temps  l'a  vite  moissonnée  , 
Plus  vite  encore  elle  nous  fuit , 
Mais  son  souvenir  dans  mon  âme 
Sera  toujours  en  traits  de  flamme 
Comme  un  astre  isolé  qui  luit  ! 


Cannes 


—  434  — 


tPâ    <LJÙac/e'. 


aoremocôeite 


Hier,  je  rêvais  près  du  flot  solitaire 
Où  se  miraient  les  étoiles  en  feu  , 
Et  tout-à-coup  du  pied  poussant  la  terre 
Je  m'élançai  vers  le  trône  de  Dieu  ; 

Et  là  je  vis  sur  les  lèvres  des  anges 
Percer  la  joie  en  sourire  éternel  : 
Dans  leur  amour,  au  lieu  de  mots  étranges  , 
Us  échangeaient  un  baiser  fraternel. 

Et  je  me  dis  :  pour  goûter  plus  de  fête 
Que  ces  esprits,  ces  élus  du  Seigneur, 
Il  me  faudrait  le  temps  que  la  tempête 
Met  à  briser  l'épi  du  moissonneur  ; 


—   135  — 

Je  ne  veux  pas  la  puissance  et  la  foudre  , 
Je  ne  veux  pas  les  prestiges  de  l'or, 
Ni  des  lauriers  pleins  de  sang  et  de  poudre  , 
Ni  le  génie  à  l'immortel  essor  ; 

Contre  le    cœur  d'une  tendre  maîtresse 
Qu'un  seul  moment  puisse  battre  mon  cœur, 
Et  de  mon  âme  en  contemplant  l'ivresse  , 
L'ange  â  son  tour  enviera  mon  bonheur  ! 


Cannes,  1849. 


—    136 


cP^    ^Û a(/e<?^^i^:)iàe//6    9& . 


Lorsque  vers  moi  ton  front  s'incline 
Comme  le  lys  de  la  colline 
Sons  les  gouttes  d'or  du  matin, 
Lorsque  j'ai  tes  mains  dans  ma  main 
Que  mes  lèvres  audacieuses 
A  tes  lèvres  si  gracieuses 
Dérobent  un  baiser  divijn  , 

Que  je  respire  ton  haleine  , 
Que  ta  chevelure  d'ébène 
De  ses  boucles  effleure  à  peine 
Mon  visage  qui  te  sourit  , 
Que  sur  toi  mon  regard  se  pose 
Comme  l'abeille  sur  la  rose  , 
Comme  un  passereau  sur  son  nid  , 


—   137  — 

Et  que  nous  devisons  ensemble 
D'un  amour  plus  pur  qu'une  fleur  : 
O  ma  chère ,  alors  il  me  semble 
Que  les  seuls  moments  de  bonheur 
Sous  les  brocarts  et  sous  le  chaume , 
Ici-bas  se  comptent  à  l'homme 
Par  les  battements  de  son  cœur  ! 


Cannes.  1850. 


—  t38 


cPo^    ^fiOaaemacéôi 


Les  blanches  vagues  sur  la  grève 

Venaient  expirer  tour  à  tour , 

Et  leur  voix  qui  n'a  pas  de  trêve 

En  berçant  mon  cœur  d'un  doux  rêve , 

M'entretenait  de  ton  amour. 

Quand  le  zéphyre  ,  dans  la  plaine 
Que  dore  le  déclin  du  jour  , 
Caressait  les  feuilles  du  chêne  , 
Le  bruit  léger  de  son  haleine 
M'entretenait  de  ton  amour. 


Les  chants  joyeux   que  l'hirondelle 
Modulait  sur  la  vieille  Tour 


—   139  — 

Où  la  nuit  s'abrite  son  aile 
Et  les  accords  de  Philomèle 
M'entretenaient  de  ton  amour. 

L'eau  qui  bruissait  sous  la  verdure 
Où  s'égara  le  troubadour  , 
Chaque  soupir,  chaque  murmure  , 
Chaque  souffle  de  la  nature 
M'entretenait  de  ton  amour  ! 


Cannes,  1850. 


'140  — 


cpé^  ^iâ/^tc  rS^a^e. 


Félix  ,  oh  !  felix  qui  pectore  vivit  amici 


Tes  caresses  ,  ami  >  viennent  sécher  mes  pleurs  , 
Tes  fraternelles  mains  ont  jeté  quelques  fleurs 

Parmi  les  ronces  de  ma  vie  , 

Oh  !  merci  !  Mon  âme  ravie 
Oublie  auprès  de  toi  ses  précoces  douleurs. 

De  mon  cœur  mon  amour  déborde  ; 

Comme  au  doigt  qui  touche  une  corde 

La  lyre  rend  des  sons  divins  , 
11  me  semble  à  ta  voix  apaisant  mes  chagrins 

Qu'ici-bas  les  cieux  se  découvrent  , 
Et  je  crois  au  bonheur  et  mes  lèvres  s'entr'ouvrenl 

Pour  remercier  les  destins. 


—  <i1  — 

Cependant  l'ennui  nie  dévore  , 
Mon  cœur  ne  pourra  plus  battre  long-temps  encore  , 
Ma  nef  sans  avirons  s'égare  sur  les  eaux  , 
Je  languis,  la  langueur  me  rend  la  \ie  amère  , 

Je  ne  suis  point  t'ait  pour  la  terre  , 

Je  soupire  après  les  tombeaux. 

Mais  quand  pour  moi  le  glas,  de  ses  plaintes  funèbres 

Comme  un  râle  au  fond  des  ténèbres 

Fera  vibrer  la  vieille  tour  , 
Au  moins  j'emporterai  ta  suave  mémoire  : 

Si  Dieu  me  refuse  la  gloire 

J'aurai  possédé  ton  amour  ! 


Aix,  1852. 


—  142  — 


=Jr  a  '^40e7zrAa7i/e  a  éG7i  ^nien . 


Pauvre  animal ,  toi  dont  le  zèle 
Dans  l'infortune  m'est  fidèle  , 
Viens  ,  viens  consoler  mes  douleurs 
Viens  japper ,  bondir  d'allégresse  , 
Toi  que  dans  ces  jours  de  détresse 
Si  souvent  je  baigne  de  pleurs! 


Il  fut  un  temps  où  j'étais  reine  , 
Où  l'amour  avait  à  ma  chaîne 
Attaché  captifs  tous  les  grands  , 
Et  maintenant  je  trouve  à  peine 
De  la  pitié  chez  les  passants. 

A  mes  pieds  j'avais  un  ministre 
Qui  prodiguait  son  or  pour  un  désir  léger 


—   143  — 

Aujourd'hui ,  présage  sinistre  ! 
Nous  n'avons  pas  de  quoi  manger. 


Mon  cœur  ardent  battait  sous  des  voiles  de  gaze  , 
La  soie  et  l'édredon  protégeaient  mon  sommeil 
Et  des  courtisans  en  extase 
Venaient  attendre  mon  réveil  , 


Et  maintenant  sous  ces  guenilles 
Mes  vieux  os  s'agitent  de  froid  : 
Ce  que  je  gâtais  en  vétilles 
Hélas  !  nous  donnerait  un  toit. 


J'avais  dans  mon  palais  de  brillants  équipages 
Dont  un  baiser  était  le  prix  , 
J'avais  des  esclaves  ,  des  pages 
Au  moindre  caprice  soumis  , 


Mon  regard  en  colère  assassinait  un  homme  , 
Mon  sourire  d'un  autre  égayait  le  destin  , 
Et  maintenant  leur  fils  avec  mépris  me  nomme  , 
Et  maintenant,  la  nuit,  je  pose  sur  le  chaume 
Mon  front  ridé  par  le  chagrin  ! 


—  144  — 


Que  reste-t-il  ?  que  vois-je  autour  de  moi  ?  Misère 
Ronces  qui  déchirent  mes  pas  , 
Honte  ,   remords  ,  douleur  amère  , 
Et  sur  cette  terre  étrangère 
Tout  le  malheur  des  Parias. 


Et  toi  seul  bientôt  sur  ma  tombe 
Où  toute  vanité  succombe  , 
Tu  feras  entendre  des  cris  ; 
Loin  de  tant. d'amis  des  richesses  , 
Ami  vrai ,  toujours  tu  t'empresses  ; 
Tu  ne  fuis  pas  mes  cheveux  gris  , 
Tu  n'as  point  réglé  tes  caresses 
Sur  le  luxe  de  mes  habits  ! 


Cannes,  1852. 


—   145  — 


tS^  Ly/6ac/em(>eje/!^.  ^. 


Il  parlar  che  neiranîma  si  sente. 

(PÉTKABait.) 


L'alcyon  qui  fuit  les  rivages 
Confie  au  souffle  des  orages 
Le  soin  de  bercer  ses  amours  ; 
Et  l'hirondelle  passagère 
Tous  les  ans  joyeuse  et  légère 
Revient  chanter  aux  mêmes  tours 

L'un  aux  flots  demande  un  asile  , 
L'autre  sur  un  chaume  tranquille 
Vient  de  l'hiver  fuir  la  rigueur, 
Partout  on-  s'aime  sans  mesure  , 
L'amour  fait  vivre  la  nature 
Et  fait  partout  battre  le  cœur. 


—   U6  — 


Et  moi  j'aime  ,  et  toute  mon  àm« 
S'anéantit  dans  cette  flamme  , 
Je  suis  esclave  de  ma  foi , 
J'aime  ,  je  languis  ,  je  soupire  ; 
J'aime  ,  j'aime  jusqu'au  délire. 
Et  tout  cet  amour  est  pour  toi. 


Oh  !  combien  de  fois  ta  pensée 
Dans  mes  longs  rêves  s'est  placée 
Comme  une  fleur  sur  mon  chemin , 
Que  de  fois  ta  riante  image 
Dans  un  voluptueux  mirage 
A  semblé  me  tendre  la  main  ; 


Que  de  fois  sur  ton  sein  candide 
J'ai  cru  coller  ma  lèvre  avide 
Et  boire  l'amour  à  longs  traits , 
Et  que  de  fois  ,  ma  toute  pure  , 
J'attachais  à  ma  vie  obscure 
Ta  destinée  et  tes  attraits  ! 

Mais  hélas  I  ce  plaisir  s'écoule 
Et  nul  oracle  ne  déroule 
Les  mystères  de  l'avenir  : 


—   147   — 

Un  mortel  pourrait  il  nous  dire 
Si  le  destin  doit  nous  sourire , 
Si  nos  astres  doivent  s'unir? 


Le  ciel  toUjOurs  me  crie  :  espère 
Chacun  pour  soutien  sur  la  terre 
K'a-t-il  pas  un  ange  avec  soi? 
J'espère  donc  ,  mais  de  ma  vie 
Je  donnerais  une  partie 
Pour  que  cet  ange  ce  fut  toi  ! 


Cannes.  165^ 


—  448 


cPc?    icne  ac^^ 


tce. 


Le  théâtre  sans  vous  ,  madame , 
Devient  un  triste  amusement; 
Mais  dès  que  vous  entrez  ,  mon  âme 
Contre  ce  dégoût  d'un  moment 
Trouve  un  délicieux  dictame 
Dans  votre  sourire  charmant. 


Vous  entrez  ,  et  les  plus  rebelles 
De  bâiller  finissent  soudain  , 
Vous  entrez,  et  parmi  les  belles 
Je  vous  cherche  une  égale  en  vain  , 
Car  laissant  l'ennui  derrière  elles 
Les  Grâces  vous  donnent  la  main  ; 


—  149  — 

Plus  brillant  que  la  luciole  , 
Votre  œil  noir  attire  et  confond , 
Vénus  envierait  une  épaule 
Où  les  Ris  se  groupent  en  rond  , 
Et  le  talent  d'une  auréole 
Entoure  votre  joli  front  ; 

Et  ce  que  mon  aveu  respire 
D'enthousiasme  louangeur , 
Ce  que  pour  vous  chante  ma  lyre , 
Parfum  qui  retourne  à  sa  fleur, 
Mon  âme  heureuse  me  l'inspire  , 
A  moins  que  ce  ne  soit  mon  cœur  î 


Aix,  1853. 


—  150  — 


cPc'   une   ae?n.&€-éeue  ^^oTnan^ft-aue, 


Tristior   in    ramis    !uge    pliilomela    dolorem 
Heu!  suus  est  misero  nec  mihi  fidus  amor! 


0  mon  bel  ange  , 

Quand  je 
T'aperçus  pour 
Le  premier  jour  , 


Pour  toi  mon  âme 

A  me 
Rendre  idiot 
Brûla  bientôt. 


—  Jiil 


Ta  gentillesse 

Et  ce 
Regard  fasci- 
Nateur  et  si 


Doux  ,  ton  épaule 

Molle 
Ou  je  puisais 
Mille  baisers  , 


Ton  sein  candide  , 

Dit  de 
Neige  en  blancheur 
Et  ta  douceur , 


Gage 
De  nos  serments 
De  vrais  amants  , 

Et  tant  de  charmes 

D'armes  : 
Tout  contre  ma 
Raiion  s'arma. 


1o2  — 


«  Tout  ,  ô  Clélie  , 

«  Lie , 
a  Dis-je  en  émoi  , 
«  Mon  sort  à  toi.  » 


Notre  existence 

En  ce 
Moment  coulait 
Comme  du  lait. 


Mais  dans  la  tombe 

Tombe 
Tout  ,  depuis  lors 
Tes  feux  sont  morts. 

Et  moi  je  t'arme  , 

Même 
Quand  la  froideur 
Est  dans  ton  cœur  : 


Je  te  souhaite 

Fête, 
Santé  ,  vin  ,  gant , 
Bal  ,  robe  ,  argent 


—  153  — 

Que  chacun  t'aime  , 

Sème 
Tes  pas  de  fleurs 
Loin  de  mes  pleurs 

Que  l'on  t'adore 

Au  re- 
coin d'un  sérail 
D'or  et  d'émail  , 


Comme  à  la  Mecque 

Et  que 
Un  beau  muphti 
Te  die  Houri  î 


Aix,  1853. 


—  1d4  — 


(L.4'{!^o'}i<iceu?^  c 


Voici  le  jour  de  votre  fête  : 
Le  plus  harmonieux  caquet 
Pour  vous  la  souhaiter  parfaite 
Dirait  bien  moins  que  ce  bouquet. 

Nous  vous  l'ofifrons  ,  mais  à  l'oreille 
Nous  vous  rappelons  qu'un  gourmet 
Trouve  dans  le  jus  de  la  treille 
Un  autre  genre  de  bouquet  ; 

Vos  caveaux  remplis  de  mystère 
Le  sont  aussi  de  vin  sablé  » 
C'est  pourquoi  nous  voudrions  faire 
Un  simple  échange  de  bouquet. 


Ail,  1854. 


—  155  — 


(lP&   ^na   ôœar-    <iyf'balce/c7ze. 


L'hymen  en  tressant  sa  couronne 
De  notre  sœur  pare  le  front  ; 
Ce  soir  le  Champagne  bouillonne 
Les  verres  circulent  en  rond  ; 


La  joie  est  ?ur  tous  les  visages  ; 
L'Amour  qui  préside  au  festin 
Pour  égaliser  tous  les  âges 
Met  la  jeunesse  dans  le  vin. 

Pourtant  une  douleur  secrète 
De  nos  cœurs  comprime  l'élan  , 
Hélas  !    noire  mère  à  la  .fête 
Ne  peut  pas  béuir  son  enfant. 


—    I.jG  — 


Mais  ne  va  point ,  triste  et  timide 
Croire  un  augure  malheureux  , 
Au  banquet  si  sa  place  est  vide  , 
Elle  te  contemple  des  cieux  ; 

Et  puisque  Olivier  «e  dispose 
A  t'orner  de  lieurs  l'avenir. 
C'est  que  tes  larmes  vont  Unir  : 
Sous  le  cyprès  naîtra  la  rose. 


Cannes,  avril  1854. 


—  i;i7 


rS^h  <iJé)cu/c?nocôeÛ"e    ^\   ^, 


Le  vent  qui  lail  de  riianiionle 
Aux  crevasses  d'un  vieux  manoir, 
Les  noies  de  l'Iiynitie  hénicî 
Qu'on  nujrrnure  à  l'auUîl ,  le  soir, 
La  voix  des  animes  en  piirie  , 
Des  Mois  (|ui  eouient  se  briser 
Valent-ils  le  doux  l)ruit  ,  ma  chère 
D'un  seul  baiser  ? 


Sous  le  verl  ^a/on  de;   la  plaine 
Suivi(î  les  ondes  du  ruisseau  , 
Du  bocage  sentir  l'haleine  , 
Guôler  les  amours  de  l'oi^-eau  , 


Des  nuits  rechercher  le  mystère 

Où  l'âme  vient  poétiser 

Je  préfère  à  cela  ,  ma  chère  , 
Un  seul  baiser. 


Partout  l'homme  inquiet  s'agite  , 
Brûlé  de  la  soif  du  bonheur , 
Sans  que  gloire  ,  trésors ,  mérite 
Puissent  jamais  remplir  son  cœur  : 
Eh  bien  !  ce  rèvs  de  la  terre  , 
Moi  pour  le  voir  réahser 
Je  ne  voudrais  de  vous  ,  ma  chère  , 
Qu'un  seul  baiser  ! 


Toulouse,  185- 


—  150  — 


cPé  ^Ha   ^eue=ôccu/^  Ou^cc, 


Quoi  !  ta  fille  est  déjà  ravie  à  tes  caresses  ! 
Tu  n'as  plus  ces  baisers  qui  payaient  ta  douleur  I 
Autour  d'un  berceau  vide  à  présent  tu  t'empresses 
Pour  te  rappeler  ton  bonheur  ! 

Sans  doute  c'est  bien  peu  :  le  Seigneur  dans  sa  grâce 
A  ton  rêve  exaucé  n'a  donné  qu'un  moment  ; 
Comme  l'étoile  d'or  qui  file  dans  l'espace  , 

Elle  est  passée...,  en  t'embrassant ! 

Mais,  tu  lésais,  souvent  dans  nos  destins  étranges, 
L'amertump  est  au  fond  de  la  coupe  de  miel  ; 
Cache  df;nc  sans  regret  ses  inutiles  langes  , 
Ne  pleure  plus  :  si  Dieu  l'a  rappelée  au  ciel , 

C'est  qu'il  doit  lui  manquer  des  anges  !! 

Toulouse  ,  1855. 


—    160  — 


çpfe  '^/la  couôi^72e  ^S%.  c/c^hfauc/. 


Un  compliment  pour  votre  fête 
Ne  sera  pas  un  long  écrit  , 
Je  n'y  voudrais  qu'un  peu  d'esprit 
Mais  vous  seule  avez  la  recette. 


Si  j'étais  Satyre  ou  Sylvain  , 
J'emprunterais  sa  robe  à  Flore 
Et  je  parerais  votre  sein 
Des  atours  brillants  de  l'Aurore 


J'irais  ,  si  j'étais  enchanteur  , 

Voler  à  Vénus  sa  ceinture  , 

Si  j'étais  prince  ,  sans  murmure 


—   161   — 

Je  suis  bien  laid  comme  un   Satyre  , 
Mai^  je  n'ai  guère  le  talent 
Des  vieux  enchanteurs  ,   et  partant 
Que  vous  offrirai-je  ?  Ma  lyre» 

Oui  ,  ma  lyre  ,  et  j'ai  bon  espoir 
Pour  ces  vers  que  ma  Muse  emporte  , 
En  souriant  sur  votre  porte 
Les  Grâces  vont  les  recevoir. 


Ce  que  m'a  dicté  la  tendresse 
Serait-il  jugé  sans  pitié  , 
Quand  du  temple  de  l'Amitié 
Je  chante  l'aimable  prêtresse  ? 

A  vous  mille  vœux  de  bonheur  , 
Mille  souhaits  de  bonne  fête  , 
Vous  qui  seriez  à  notre  tête', 
Si  l'on  commandait  par  le  cœur  ! 

A  vous  un  avenir  d'ivresses  : 
Il  sera  long  si  vos  enfants 
Au  Seigneur  demandent  le  temps 
De  rendre  toutes  vos  caresses  I 


—  162  — 

Pour  vous  que  les  sylphes  rôdeurs 
Dans  la  plus  riche  porcelaine 
Rangent  les  plus  suaves  fleurs 
Dont  vous  serez  toujours  la  reine  ! 

A  vous  une  félicité 
Qui  soit  ici-bas  sans  mélanges  : 
On  a  droit  au  plaisir  des  anges 
Quand  on  les  égale  en  bonté  ! 


Toulouse  ,  1855. 


—   163  — 


(lP^ 


ae'^iGiàeite 


Quand  les  vagues  comme  des  pleurs 
Baignent  les  sables  du  rivage, 
Devant  la  beauté  de  la  plage 
La  foule  heureuse  des  rameurs 
Oublie  entièrement  l'orage  ; 


En  fuyant  le  monde  importun 
Dans  les  sentiers  d'une  ravine  , 
Souvent  pour  cueillir  l'églantine 
On  se  pique  ,  mais  son  parfum 
Fait  bien  vite  oublier  l'épine  ; 


Du  printemps  par  mille  chansons 
Les  passereaux  sur  la  toiture 


—   IG4  — 

Chantent  la  naissante  verdure  : 
IS'ont-ils  pas  aux  premiers  rayons 
Oublié  la  triste  froidure  ? 

Vous  dont  l'amour  si  vrai ,  si  doux  , 

Avec  les  roses  qu'il  y  sème 

M'a  rendu  cher  l'exil  lui-même  , 

Oubliez  mes  soupçons  jaloux 

En  voyant  combien  je  vous  aime  I 


Toulouse,  18S5. 


i 


—  165 


^Sé)  ^^(car/e^nofé€//e  t^.  ^. 


Hier  dans  ma  chambre  où  la  Fortune 
JN'a  pas  besoin  de  gros  verroux  , 
Aux  pâles  clartés  de  la  lune 
Je  pensais  à  vous  ,  ô  ma  brune  , 
3Ia  brune  ,  je  pensais  à  vous; 

Et  sur  un  rayon  de  lumière 
Une  fée  arrivant  des  cieux 
Surprit  ma  Muse  roturière  : 
Ses  petits  pieds  comme  poussière 
Laissaient  des  rubis  précieux  ; 

Et  la  fée  ôtant  sa  couronne 
La  mit  en  riant  sur  mon  front  : 
G  Prends  ,  dit-elle ,  je  te  la  c'onne  , 


—    166   — 

«  Pour  l'amante  fidèle  et  bonne  , 
«  Elle  a  dans  chaque  fleur  un  don. 

u  Une  fleur  sera  la  richesse  , 
0  Une  fleur  sera  la  beauté  , 
«  Une  autre  sera  la  jeunesse  , 
«  Une  autre ,  la  gloire  et  l'ivresse , 
«  Une  autre  eufin  ,  la  volupté  ! 

«  Mais  pour  que  la  fleur  merveilleuse 
«  Ainsi  se  transforme  à  l'instant , 
«  11  faut  que ,  (le  t'a  voir  heureuse 
«  L'amante  la  plus  gracieuse 
«  Te  jure  amour  et  de\ouement  !  » 

La  belle  foc  alors  m'embrasse  , 
Et  puis  sur  l'aile  dus  zéphyrs 
Elle  ouvre  son  vol  dont  la  trace 
A  travers  les  champs  de  l'espace 
Forme  une  ligne  de  saphirs. 

Et  cette  couronne  divine 
Aux  fleurons  toujours  embaumés  , 
Aux  roses  toujours  sans  épine  , 
Elle  est  pour  vous',  ma  Joséphine  , 
Elle  est  pour  vous  si  vous  m'aimez!! 

Toulouse  ,    septembre  18b>. 


1G7   — 


-S^  ^/6ac/a^?ie   c^ 


3Ies  vœux  vous  paraissent  étranges  , 
Mes  désirs  vous  paraissent  fous  , 
Comme  un  refrain  de  billet  doux 
Vous  considérez  mes  louanges  : 
Je  suis  trop  vieille  ,  dites-vous. 

Vieille  !  Qui  le  croira?  Personne. 
Et  vous  m'en  voudrez  bien  longtemps 
Si  jamais  au  mot  je  vous  prends  , 
Et  si  j'ose  aux  fruits  de  l'automne 
Préférer  les  fleurs  du  printemps. 

Les  Ris  entourent  votre  tête. 
Votre  guimpe  cache  un  trésor, 
Les  Grâces  font  votre  toilette  : 


—  468  — 

Vous  n'êtes  donc  pas  vieille  encor 
Puisqu'encor  vous  êtes  coquette. 


D'ailleurs  ce  que  la  bouche  dit 
Prouvez-vous  que  le  cœur  le  veuille  ? 
Une  vieille  de  votre  esprit 
Sait  qu'une  femme  qui  vieillit 
Est  une  rose  qu'on  effeuille  ! 


Toulouse,  1853. 


169 


iy/6ac/a 


ccme 


Pardonnez-moi ,  je  ne  sais  plus 
Dans  un  embarras  fort  étrange 
Comment  rimer  une  louange  , 
Vous  êtes  sans  doute  au-dessus. 

Irai-je  chanter  d'une  mère 
Les  ten  Cesses  et  la  douceur  ? 
Mais  l'éloge  de  votre  cœur 
Votre  en'ant  seul  pourrait  le  faire. 

0 

Dirai-je  que  toujours  je  vois 
Les  trois  Grâces  à  votre  suit©  7 
Mais  à  ma  discordante  voix 
Elles  prendraient  toutes  la  fuite. 


470 


Vanterai-je  au  monde  étonné 
Vos  chefs-d'œuvre  de  broderie  ? 
Mais  je  craindrais  pour  une  amie 
Les  infortunes  d'Arachné. 

De  votre  luth  plein  d'harmonie 
Je  répéterais  bien  les  airs  , 
Mais  une  juste  jalousie 
M'empêche  de  citer  vos  vers. 

Je  dois  donc  garder  le  silence  : 
Quand  la  simple  et  franche  Amitié 
Avec  des  compliments  s'avance  , 
Aux  Amours  elle  fait  pitié. 


Toulouse,   18bî>. 


—  471  — 


cP&  ^non  a'^tc   &i&ca9?ît/^  de  ta  ^oue , 


Restaurateur  des  Tableaux  du  Musa'e  de  Toulouse. 


Dieu  !  yotre  toile  est  animée  , 
Quel  coloris  et  quels  contours  ! 
Vous  renouvelez  de  nos  jours 
Le  miracle  de  Frométhée. 


Sans  doute  pour  joindre  si  bien 
La  force  à  la  touche  moëlkuse  , 
Vous  trempez  le  pinceau  de  Greuse 
iSur  les  couleurs  du  Titien. 


—  m  — 


ia  comparaison  est  gent  lie  . 

e  m'inspire  d'après  vos  goûts  : 
Apollon  ,  Titien  et  vous 
K'est-ce  pas  la  même  famille  ? 

Je  voudrais  bien  en  votre  honneur 
Rimer  un  chant  d'apologie  , 
Mais  les  fleurs  de  la  poésie 
Valent-elles  l'élan  du  cœur  ? 

Votre  palette  ,  à  la  muraille 
Où  le  cadre  me  sert  d'autel  , 
Dès  ce  jour  m'a  fait  immortel  : 
Elle  m'a  fait  à  votre  taille. 


Cependant  l'excès  est  un  mal"; 
Quand  je  ne  voulais  qu'un  Sosie 
Vous  avez  trop  mis  la  copie 
Au-des.'Us  de  l'original. 

3Iais  d'une  telle  enjolivure 
Je  vous  accuse  injustement  ; 
Voyez  ,  mon  petit  doigt  m'apprend 
Que  votre  œuvre  est  une  imposture. 


473  — 


Soyez  sincère  ,  ce  portrait 
N'est  pas  de  vous  :  dans  la  nuit  sombre, 
D'un  grand  artiste  la  grande  ombre 
L'a  peint  sur  votre  chevalet  ; 


Et  pour  qu'une  gloire  sublime 
Là  vous  paraisse  en  pronostic  , 
Rocamir  est  un  pseudonyme 
Qu'à  dessein  a  choisi  Van-Dic 


Toalouse,  1855. 


<sé    <yfhcc/ame  ^ 


oca9Jii/^ 


ae  /a  tJ&Me> 


Je  ne  puis  vous  rendre  un  hommage 
A  votre  mérite  ex  œquo. 
Tout  l'esprit  d'Eugène  Guinot 
Ne  le  pourrait  pas  davantage. 


Avec  quel  art  vous  restaurez  ! 
Quelle  touche  légère  et  nette  ! 
Est-ce  un  ange  aux  cheveux  dorés 
Qui  vous  tient  pinceaux  et  palette  ? 


Comme  un  brin  de  lilas  fané 
Donne  encore  du  miel  aux  abeilles  j 
Vous  recomposez  des  merveilles 
Avec  les  cendres  du  passé  ; 


Et  loi'sque  une  vieille  figure 
Vous  redoit  l'éclat  de  ses  yeux  , 
L'auteur  même  de  la  peinture 
A  coup  sûr  ne  ferait  pas  mieux. 

De  Coypel  vous  suivez  les  traces  , 
Mais  vous  avez  bien  plus  d'honneurs 
Les  Muses  vous  broient  les  couleurs 
Que  vous  octroyèrent  les  Grâces. 

Néanmoins  chez  vous  le  talent 
IS'empêche  pas  la  bonne  mère  : 
Votre  éloge  le  plus  sincère 
Sort  des  lèvres  de  votre  enfant  ; 

Aussi ,  si  les  dieux  de  la  Grèce 
Pouvaient  ressusciter  encor, 
Appollon  dans  un  temple  d'or 
Vous  choisirait  pour  sa  prétresse. 

.Parmi  les  fleurs  qui  sous  vos  pieds 
Vous  rendent  la  route  si  belle  , 
Quend  Rocamir  prend  les  lauriers  , 
Votre  main  cueille  l'immortelle! 

Toulouse  M  855. 


—  176 


cPé?  /'S^^ùanc/e/i^. 


La  Garonne  ,  ô  fille  des  airs  , 

Pour  toi  n'a  que  des  flots  profanes; 

Voici  la  saison  des  hivers  , 

Allons  ,  de  l'espace  où  tu  planes  , 

Au  loin  cherche  des  champs  plus  vevts , 

Cherche  ,   n'aperçois-tu  pas  Cannes? 

Vole  ,  vole  ,  où  la  brise  aura 

Plus  de  fraîcheur,  plus  d'harmonie  , 

Où  le  plus  beau  ciel  brillera  , 

Où  de  la  plus  belle  prairie 

Le  plus  doux  parfum  montera , 

Arrête  ,  c'est  là  ma  patrie  ! 


Oh  !  que  ne  puis-je  comme  toi  , 
Y  fuir,  6  charmante  hironf^elie  , 


—   117  — 

Que  n'y  puis-je  sous  mon  vieux  toit 
Préparer  un  gîte  à  ton  aile  ! 
Mais  hélas  !  dans  l'exil  sur  moi 
Le  sort  pose  une  main  cruelle. 

Va  ,  raconte  a  tous  mes  amis 
Combien  pour  eux  mon  cœur  soupire; 
Dis-leur  que  le  mot  de  pays 
Fera  toujours  vibrer  ma  lyre  , 
Dis-leur  d'accueillir  ces  écrits 
Par  un  bravo ,  par  un  sourire  ; 


Va  ,  va  revoir  le  sable  blanc  , 
Les  pins  ,  les  rochers  ,  l'onde  amère  , 
Va  saluer  chaque  parent , 
Et  sur  le  tombeau  de  ma  mère 
Où  la  croix  fait  gémir  le  vent , 
Pour  moi  murmure  une  prière  !  ! 


Toulouse,  ccloLre  1355. 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


ODES. 


Ma  Pipe. 

9 

La  Côte. 

11 

Le  Sabbat. 

14 

L'Exposition  de  Londres. 

16 

Napoléon  III. 

19 

Le  Jour  de  l'an. 

23 

La  Mort  de  ma  Mère. 

28 

Ma  Brune. 

38 

Le  Beau  Ciel  de  Cannes. 

41 

Le  mois  de  Marie. 

46 

Le  Mistral. 

48 

Le  Boute-Selle. 

S2 

L'Amour  du  Poète. 

55 

La  Garonne. 

61 

Le  Poète. 

65 

La  Mort  de  ma  Sœur. 

73 

Sébastopol. 

77 

TABLE    DES    MATIERES. 
EPITRES. 


A  Frédéric  Aube  ,  avocat. 

83, 90,  91 

A  ma  belle-sœur  Eliza. 

107 

A  Mademoiselle  J.  L. 

119 

STANXES. 

A  ma  cousine  A.  Rigaud. 

129 

A  Mademoiselle  X.           15i  ,  156 

.  158,   145 

A  Frédéric  Aube 

140 

La  Mendiante  à  son  chien. 

142 

A  une  Actrice. 

148 

A  une  demoiselle  romantique. 

150 

A  Monsieur  M. 

154 

A  ma  sœur  Marceline. 

155 

A  Mademoiselle  L.  G. 

157 

A  ma  belle-sœur  Eliza. 

159 

A  ma  cousine  A.  Rigaud. 

160 

A  MaJernoiselle  H.  G. 

163 

A  Mademoiselle  J.  L. 

165 

A  Madame  T. 

167 

A  Madame  D. 

169 

A  mon  ami  Rocamir  delà  T,:!T'^ 

171 

A  Madame  Rocamir  de  la  Tuirr. 

171 

A  l'Hirondelle. 

176 

Toul<Mi^f>  ,  TvpogT.  V,  Sen»  et  P.  Savy 
rue  Saint-Rome  ,  4, 


I 


e^^Si^y 


PQ     Négrin,  Emile 

2376      La  folle  du  lac  d'Go 

N33^ 


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